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un front redoutable. Le Capitaine de la frégate où eft DUGUAY-TROUIN, fe livre à une terreur qu'il eft en droit d'appeller prudence. Il veut fuir; DuGUAY-TROUIN en eft indigné: il prend cet afcendant que les grandes ames ont fur les foibles. On combat: il auroit eu trop de regrets, fi quelqu'un avant lui fe fût élancé dans le premier vaisseau ennemi. Son fang coule; il s'applaudit de le voir couler. C'eft la première offrande qu'il fait à la Patrie. Déja il eft vengé; & le vaif feau porte le pavillon François. C'eft peu pour lui d'avoir vaincu, tandis qu'il peut encore combattre : il est prêt à s'élancer pour un fecond abordage; l'impétuofité du choc le précipite dans les flots; à peine échappé au naufrage, il va fe couvrir du fang des ennemis. Sa valeur a décidé cette feconde victoire; il vole à une troisième. Tout cède à fon courage. Un tranquille obfervateur de la na

ture, qui affis fur le fommet d'un rocher, a paffé des heures délicieuses à contempler une belle campagne, voit avec regret fur le foir, l'ombre qui s'épaiffit, & qui vient lui dérobèr ce fpectacle. DUGUAY-TROUIN vainqueur de trois vaiffeaux, & tout couvert de fang, s'afflige que la lumière en fuyant, interrompe fes triomphes.

Déja il eft digne de commander. Sa famille lui confie un vaiffeau. Bientôt fon Roi lui confiera ceux de l'Etat. Une ane telle que la fienne dut être flattée d'être indépendante.

La fortune peut élever contre lui des tempêtes; mais elle ne peut lui ôter l'ardeur de fe fignaler.Jetté fur les côtes d'Irlande, il met à profit les orages(10). La flamme des vaiffeaux qu'il brûle, éclaire ces triftes campagnes, où fume encore le fang des malheureux foldats de Jacques II; & leurs ombres errantes fur deux champs de bataille, connurent au moins qu'elles avoient un

vengeur. Le peuple qui découvrit & fubjugua le Nouveau-monde, commence à redouter fes efforts. Mais ce n'est point à l'Espagne qu'il doit se rendre terrible; fon deftin eft de la fervir un jour. Les mers enfanglantées par la défaite de la Hogue, & couvertes des débris de nos vaiffeaux, virent dans le même temps triompher DUGUAY - TROUIN (11); & l'Angleterre, après avoir vaincu la France, fut vaincue par lui.

Tant qu'il reftera en Europe quelque fentiment d'humanité, l'on fe fouviendra avec horreur de cette machine, merveille du génie de la deftruction, qui devoit en un inftant écrafer une ville entière (12). DUGUAYTROUIN, veut venger le lieu de fa naiffance. Je le vois qui cherche partout fur l'océan des ennemis à combattre. Mais les vaiffeaux femblent fair devant lui. Quel eft cet homme

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extraordinaire ? Quels font ces preffentimens qu'il éprouve (13)? N'estce que l'effet d'une imagination ardente qui voit ce qu'elle defire? Ou bien les Héros ont-ils un inftin& fupérieur qui n'est pas même foupçonné des ames vulgaires? Le ciel le juftifie, & la victoire eft venue le chercher par-tout elle le fuit. Le pavillon de Fleffingue a frappé fes regards; Fleffingue, patrie de Rhuiter (14)! Il croit voir ce grand Homme; il fe le repréfente, non point chargé d'honneurs non point décoré par l'Espagne de tous les titres de la grandeur: il le voit montant par fa valeur, des derniers rangs aux premiers, difperfant fes triomphes fur toutes les mers; il le voit mourant pour fon pays. Cette image l'enflamme. Il combat trois vaiffeaux fuyent; le plus redoutable fuccombe & reconnoît fon vainqueur.

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Mais il eft une école fupérieure peut-être à celle de la victoire; c'est

celle du malheur. Ne craignons rien pour fa gloire: c'eft le caractère des Héros d'être plus grands dans l'infortune que dans le fuccès. Marius affis fur les ruines de Carthage m'étonne plus, que Marius porté dans Rome fur un char de triomphe.

Six vaiffeaux de guerre ont environné DUGUAY-TROUIN (15). Il est feul, & il ofe les combattre. Loin de lui cette prudence timide qui ne voir que les dangers, & ne voit pas l'honneur. Quatre heures de combat n'ont pas épuisé fon courage. Cent pièces d'artillerie tonnent fur fon vaiffeau; fes mâts font rompus, fes voiles font déchirées: bientôt fes débris couvriront la mer. Une ame foible n'eût pensé qu'à fe rendre; une ame bouillante & féroce n'eût penfé qu'à mourir; DuGUAY-TROUIN ofe encore efpérer de vaincre. Mais il eft un point au delà duquel les ames communes ne paffent jamais. Ses foldats fe révoltent, & re

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