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veftige de tant de défaftres. Tous les jours le Navigateur paffe avec fécurité & avec joie fur des lieux où des milliers d'hommes ont péri.

Peut-être (1) devons-nous regretter ces temps d'une heureuse ignorance, où nos aïeux moins grands, mais moins criminels, fans industrie, mais fans remords, vivoient pauvres & vertueux, & mouroient dans le champ qui les avoit vus naître. Mais on voudroit envain perfuader à l'homme de renoncer à des forces qui lui font pernicieuses rien ne l'effraye autant que fa foibleffe. La navigation eft devenue pour les peuples policés un fléau nécessaire, auffi utile aux Etats (2), que funefte au genre-hu

.main.

La France liée à toute l'Europe par fon commerce, au Nouveau - monde par fes colonies, obligée de combattre les flottes de deux peuples puiffans, vit autrefois la mer remplie de

fes vaiffeaux; & plufieurs hommes célèbres la rendirent victorieufe fur cet élément. La Renommée, parmi ces noms, a publié long-temps le nom de DUGUAY-TROUIN. Il a droit à la reconnoiffance de fa patrie, puifqu'il en fut le vengeur.

Dans Athènes, c'étoient les plus fameux orateurs qui célébroient les vainqueurs de Salamine & de Marathon; & ils avoient pour auditeurs les Socrates & les Periclès. Je n'ai point les mêmes talens, & j'ai des juges auffi redoutables: mais ici la vérité fera prefque toujours étonnante par ellemême. Dans un fujet auffi grand, c'eft être éloquent que d'être fincère.

Je peindrai DUGUAY-TROUIN d'abord fimple Armateur, & faifant dans cette école l'apprentiffage de la Marine. Je le peindrai enfuite dans la Marine royale, & fervant le Roi & l'Etat dans les plus grandes entreprises.

Le fujet que je traite m'annonce que j'exciterai l'attention de mes concitoyens. Quelle que foit l'indifférence de notre fiècle pour les talens qui l'honorent, il rend du moins justice à ceux qui ne font plus.

PREMIÈRE PARTIE.

QU'EST-CE qu'un homme de mer(3)? C'est un homme qui placé fur un élément orageux où il a des ennemis à combattre, doit mettre toute la nature d'intelligence avec lui-même; connoître toutes les qualités du navire qu'il monte, en saifir d'un coup d'œil toutes les parties; leur commander comme l'ame commande au corps, avec le même empire & la même rapidité; distinguer la direction réelle des vents, de leur direction apparente; diminuer ou augmenter à fon gré leur impulfion; tirer de la même force des effets tout contraires; se

rendre maître de l'agitation des vagues, ou même la faire concourir à la victoire; enchaîner l'inconftance de tant de caufes différentes, de la combinaifon defquelles réfulte le fuccés; enfin calculer les probabilités, & maitrifer les hafards: tel eft l'art d'un homme de mer.

La nature fans doute contribue à le former elle lui donne le génie des détails, ce coup d'œil qui faifit les rapports, cet inftin&t qui décide tandis que la raifon balance, & le courage qui agit quand la prudence délibère. Mais la nature ne fait que commencer l'ouvrage, c'eft à l'homme à l'achever. Il faut qu'il ajoute les connoiflancès aux talens. Où les prendra-t-il? Sera ce au milieu des cours ? dans les villes? dans l'oifiveté des ports? Non: ce fera parmi les travaux, les dangers & les épreuves de la mer. Mais ces épreuves ne doivent point être dangereufes pour la Patrie : il faut

que

que l'homme de mer foit éprouvé au plus grand rifque pour lui-même, au moindre pour l'Etat. J'oferai donc le dire ( car les préjugés nationaux n'ont point d'empire fur la vérité) nous ne ferons puiffans fur les mers, que lorsque la Marine marchande fera la pépinière de la Marine royale.L'Angleterre nous en donne l'exemple. Ayons le courage d'adopter une vérité qui nous eft montrée par un ennemi (4); ou laiffons-nous convaincre du moins par l'exemple de nos grands hommes. C'eft du fein de la Marine marchande que font fortis & Jean Bart, & Tourville & le Chevalier Paul (5): c'est elle qui a formé DUGUAY-TROUIN.

Le ciel qui le destinoit à faire de grandes chofes, lui accorda la faveur de naître fans aïeux. La véritable noblesse est de fervir l'Etat: le fang qui coule pour la Patrie est toujours noble. Remarquons (6), à l'honneur de la Bretagne, que cette province lui donna

Tome III.

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