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Le favant Italien admira beaucoup la vafte érudition du Chancelier François ; & dans la fuite, entretint avec lui un commerce de lettres. M. Dagueffeau étoit de même en correspondance avec la plupart des favans de l'Europe, qui le confultoient fur leurs ouvrages. Dans la dernière année de fa vie, il reçut un hommage trèsflatteur de la part de cette nation philofophe, qui porte dans les fciences cet efprit de hauteur & d'indépendance, l'ame de fa politique, & nous difpute la gloire de l'efprit comme celle des armes; l'Angleterre confulta M. Dagueffeau fur la réformation de fon calendrier. M. le Chancelier fit une réponse favante & pleine de réflexions utiles, que les Anglois suivirent.

Page 121. (26) M. Dagueffeau ne connut jamais les plaifirs & ce qu'on appelle amusemens. Son principe étoit, qu'il n'eft permis de fe délaffer qu'en changeant d'occupations. Il ne faifoit aucun voyage, même à Versailles, fans lire ou fe faire lire en chemin quelque ouvrage de philosophie, d'histoire ou de critique. Ainfi la durée qui eft fi courte pour nous, s'étendoit pour lui, & il vivoit plus que le refte des hommes.

Page 122. (27) Il ne demanda, ne défira jamais aucune charge. Les honneurs vinrent le chercher. Au commencement de la régence,

lorfqu'il n'étoit encore que Procureur Général,

il refufa de faire des démarches pour son élévation, quoiqu'il fût prefque affuré du fuccès. A Dieu ne plaife, dit - il, que j'occupe jamais la place d'un homme vivant!

Page 123. (28) Son défintéreflement étoit tel qu'on le représente ici. Il n'aspiroit qu'à être utile: & pendant 60 ans paffés dans les premières charges de l'Etat, il n'eut pas même la penfée qu'il pouvoit s'enrichir. Il auroit cru que c'étoit vendre fes fervices. Loin que fa fortune augmentât, elle fut diminuée par la révolution du fyftême; on ne l'entendit jamais s'en plaindre. Il s'oublia lui - même pour ne s'occuper que des autres; & donna en tout l'exemple à la nation. Il n'a laiffé d'autre fruit de fes épargnes que fa bibliothèque ; encore n'y mettoit-il qu'une certaine fomme par an. Son efprit folide dans tous les goûts, n'aimoit que les livres utiles; il méprifoit ceux qui n'étoient que rares. Page 125. (29) M. Dagueffeau aimoit fon père, comme il aimoit la vertu tendreffe & par admiration. Ces deux ames qui fe connoiffoient fi bien, étoient étonnées l'une de l'autre, & s'infpiroient mutuellement du respect.

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par

Anne Lefebvre d'Ormesson, mariée à M. Dagueffeau en 1694, étoit digne de fon époux & du nom qu'elle portoit. C'eft à fon sujet que

M. de Coulange, efprit aimable & facile de ce temps-là, dit qu'on avoit vu, pour la première fois, les Grâces & la Vertu s'allier enfemble. Elle mourut à Auteuil le premier Décembre 1735. La douleur de M. Dagueffeau égala fa tendreffe pour elle. Cependant à peine eut-il effuyé fes larmes, qu'il fe livra aux fonctions de fa place. On craignoit que le poids. des affaires, joint à celui de l'affliction, ne l'accablât. Je me dois au public, difoit-il, & il n'eft pas jufte qu'il fouffre de mes malheurs domestiques.

Je ne dirai rien des enfans de M. Dagueffeau. C'eft au public qui les connoît à les louer. En ne rendant que justice, je craindrois de paroître flatteur, & c'est une tache que tout homme de lettres doit éviter.

Page 127. (30) M. Dagueffeau appelloit le temps de fon féjour à Frefnes, les beaux jours de fa vie. Il en employoit une partie à l'étude des livres faints, fur lefquels il fit des notes favantes, après avoir comparé les textes écrits. en différentes langues; une autre partie à rédiger les vues qu'il avoit conçues fur la légiflation; une autre à exercer lui-même fes enfans fur les belles lettres & fur le Droit, & à compofer pour eux un plan d'études. Tels étoient les trois objets de fon travail. Les mathémati

ques, les belles lettres & l'agriculture formoient fes délaffemens. Le Chancelier de la France fe plaifoit quelquefois à bêcher la terre. Tous ceux qui excelloient dans les arts ou dans les fciences, venoient en foule fe rendre auprès de lui, pour profiter de fon loifir & de fes réflexions. Il n'avoit que des vues grandes & nobles; & ce goût de grandeur perçoit jufques dans le plan qu'il fit pour embellir fon

parc.

Page 129. (31) M. le Chancelier jouit jufqu'à plus de quatre-vingt-un ans d'une fanté vigoureufe, confervée par la fobriété & par l'égalité d'ame. Dans le cours de l'année 1750, des infirmités douloureuses l'obligèrent d'interrompre fouvent fon travail. Il réfolut de quitter fa place, parce qu'il ne pouvoit plus remplir qu'une partie de fes devoirs. Il y avoit près de trente-quatre ans qu'il étoit Chancelier. Il écrivit au Roi pour lui demander la permiffion de fe démettre de fa charge. Il dicta lui-même sa démiffion; il en figna l'acte, le jour même qu'il finifloit fa quatre-vingt-deuxième année. Il le remit le lendemain à M. le Comte de Saint-Florentin, Secrétaire d'Etat : & fes deux fils allèrent avec ce Miniftre, remettre les fceaux au Roi, qui lui conferva les honneurs de Chancelier de France, avec une pension de cent mille livres.

Page 130. (32) On peut affurer que M. Daguesseau étoit un véritable philofophe chrétien; La religion étoit le fondement de toutes fes vertus. Jamais il ne passa un jour de sa vie fans lire l'écriture fainte. Il éprouvoit ce qu'on a déja dit de ce livre, qu'on ne pouvoit le lire fans devenir plus vertueux. Convaincu de la vérité de la religion, fidèle à tous les devoirs qu'elle impofe, zélé pour l'honneur de l'Eglife, affligé de ses malheurs, il répandoit autour de lui, & parmi tous ceux qui l'approchoient, cet efprit de religion dont il étoit animé.

Idem. (33) M. Dagueffeau mourut le 9 Février 1751. Il porta même au delà du tombeau l'horreur du luxe, & la fimplicité qui fit fon caractère. Il voulut que fes cendres fussent mêlées & confondues parmi celles des pauvres, dans le cimetière de la paroiffe d'Auteuil, où fon épouse étoit enterrée. Leurs enfans ont fait élever une croix au pied de leur fépulture, dont les marbres ont été donnés par le Roi. Il est à remarquer que la France a perdu dans l'efpace de deux mois, le Maréchal de Saxe & le Chancelier Dagueffeau, les deux plus grands Hommes qu'elle eût alors dans deux genres différens.

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