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ces. Pour parvenir à connoître les vérités, il faut commencer par connoître les fignes. Cette étude ingrate, qui a rempli la vie entière de tant de favans, n'étoit pour M. Dagueffeau qu'un amufement, comme il le difoit lui-même. Il fçavoit la langue françoise par principes, le latin, le grec, l'hébreu, l'arabe & d'autres langues orientales, l'italien, l'espagnol, l'anglois & le Portugais. On pouvoit dire de lui qu'il étoit contemporain de tous les âges, & citoyen de tous les lieux. Il n'étoit étranger dans aucun pays, ni dans aucun fiècle.

Page 113. (18) Il avoit étudié à fond la logique, qui n'eft autre chofe que l'art de conduire fucceffivement l'efprit, de ce qu'il connoît à ce qu'il ne connoît pas. On lui fit lire d'abord ces ouvrages prétendus-philofophiques, où l'on débitoit fous le nom d'Ariftote, des fottifes que ce Philofophe n'avoit jamais dites. Un efprit tel que celui de M. Daguesseau, n'étoit pas fait pour s'en contenter. Bientôt on lui mit Defcartes entre les mains; il en fentit auffi-tôt la différence. Il admira les avantages de cette méthode, qui en partant d'un point évident, conduit à une démonftration affurée. Dans la fuite il en fit toujours ufage, foit pour s'inftruire luimême, foit pour convaincre les autres.

Page 114. (19) Perfonne n'a plus approfondi

que M. Dagueffeau la science des loix. Son génie ardent l'entraînoit à toutes les autres fcienCes; mais il s'appliquoit à celle-ci par devoir, Il avoit remonté aux principes du droit naturel, du droit des gens, du droit public: il avoit lu & médité les loix romaines, les loix ecclé fiaftiques, les ordonnances de nos Rois, les différentes Coutumes de la France; il en avoit recherché la fource dans les antiquités du droit féodal, & s'étoit encore inftruit des loix de tous les pays étrangers.

Page 115. (20) Il avoit un goût dominant pour les mathématiques. Son génie l'avoit conduit jufqu'à ce qu'il y a de plus abftrait dans ces fciences. On l'a vu fouvent, lorsqu'il étoit fatigué des affaires, prendre, pour le délaffer, un livre de géométrie ou d'algèbre.

Page 116. (21) Dans la jeunesse, il étoit étroitement lié avec Racine & Boileau. Leur fo ciété faifoit fes délices, & il ne s'en permettoit point d'autre. Boileau, qui n'a été flatteur que pour Louis XIV, nomme M. Daguesseau avec honneur dans plufieurs endroits de fes ouvrages.

Page 117. (22) La lecture des anciens Poëtes fut, felon fon expreffion, une paffion de fa jeuneffe. Un jour il lifoit un Poëte Grec avec M. Boivin, fi connu par fa vafte érudition. Hâtonsnous, dit-il, fi nous allions mourir avant d'avoir

achevé! Il avoit une mémoire prodigieufe. It lui fuffifoit pour retenir, d'avoir lu une feule fois avec application; il n'avoit point appris autrement les Poëtes Grecs, dont il récitoit fouvent des vers & des morceaux entiers. A l'âge de quatre-vingt-un ans, un homme de lettres ayant cité peu exactement devant lui une épigramme de Martial, il lui en récita les propres termes, en avouant qu'il n'avoit point lu cet auteur depuis l'âge de douze ans. Il retenoit quelquefois ce qu'il avoit feulement entendu lire. Boileau lui ayant un jour récité une de fes pièces qu'il venoit de composer, M. Daguesseau lui dit tranquillement qu'il la connoiffoit, & fur le champ la lui répéta toute entière. Le Satirique, comme on s'en doute bien, commença par entrer en fureur, & finit par admirer.

Ibid. (23) M. Dagueffeau faifoit de trèsbeaux vers latins & françois. Il conferva ce talent jufqu'à fes dernières années. Ayant été menacé de perdre fon époufe, il compofa une très belle pièce fur fa convalefcence; & M. Boivin traduifit en vers grecs cette pièce latine d'un Chancelier de France. Le talent de la poéfie ft un trait de reffemblance qu'il a de plus avec le Chancelier de l'Hôpital.

Page 119. (24) Il s'étoit fait par fon éloquence la réputation la plus brillante. On difoit

de lui qu'il penfoit en philofophe, & parloit en orateur. Son éloquence, pour se former, avoit emprunté le fecours de tous les arts & de toutes les sciences. La logique lui prêtoit la méthode inventée par ce génie auffi hardi que fage, qui a été le fondateur de la philosophie moderne. La géométrie lui donnoit l'ordre & l'enchaînement des vérités; la morale, la connoiffance du cœur humain & des paffions. L'hiftoire lui fourniffoit l'exemple & l'autorité des grands Hommes; la jurifprudence, les oracles de fes loix. La poéfie enfin répandoit fur Les difcours le charme du coloris, la chaleur du style, & l'harmonie du langage. Ainfi, dans M. Dagueffeau, aucune fcience n'étoit oifive, toutes combattoient pour la vérité. On auroit cru que chacun de fes plaidoyers étoit le fruit d'un long travail. Cependant il n'en écrivoit ordinairement que le plan, & réfervoit les détails & les foins d'une compofition exacte, pour les grandes causes, pour les réquifitoires, ou pour les mercuriales qu'il prononçoit à la rentrée du Parlement. Il étoit pour lui-même le cenfeur le plus rigide de fes ouvrages ; & l'idée qu'il s'étoit formée du beau étoit fi parfaite, qu'il ne croyoit jamais en avoir approché; c'est pourquoi il corrigeoit fans ceffe. Un jour il confulta M. Daguesseau fon père, fur un difcours qu'il

avoit extrêmement travaillé, & qu'il vouloit retoucher encore. Son père lui répondit avec autant de fineffe que de goût: Le défaut de vo-` tre difcours eft d'être trop beau: il feroit moins beau, fi vous le retouchiez encore. Dans la mercuriale qu'il prononça après la mort de M. le Nain fon ami, & fon fucceffeur dans la place d'Avocat Général, il plaça un portrait de ce magiftrat, qui fit une fi forte impreffion fur lui-même & fur fes auditeurs, qu'il fut obligé de s'arrêter par fa pròpre douleur, & par des applaudiffemens qui s'élevèrent au même inftant. Quel moment pour un orateur! On en compte peu de pareils dans l'hiftoire de l'éloquence.

Page 119. (25) Beaucoup d'étrangers attirés par la grande réputation de M. Dagueffeau, s'empreffoient de le voir. L'Abbé Quirini, depuis Cardinal & Bibliothéquaire du Vatican, paffionné pour les arts & pour tous les genres de connoiffances, fut curieux, dans un voyage qu'il fit en France en 1722, de voir & d'entendre M. Dagueffeau. Il alla le voir à Frefnes où il étoit alors. Né en Italie, & entrant chez un magiftrat chargé de défendre les maximes de France, me voici, dit-il, dans le château où l'on forge les foudres contre le Vatican. Au contraire, reprit Dagueffeau, ce font les boucliers contre les foudres du Vatican qui fe forgent ici.

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