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de maux. On n'exagère rien, en difant que dans les campagnes les hommes fe difputoient la pâture des plus vils animaux, & que des familles entières mouroient dans le défespoir. M. Daguesseau fut un de ceux qui contribua le plus à fauver la France. Il avoit prévu le premier cette calamité fur des obfervations qu'il fit à sa campagne; il en avoit indiqué le remède, en confeillant de faire venir des bleds, avant que le mal eût produit une allarme générale. On le vit alors paroître fouvent à la cour pour folliciter des fecours trop lents; il présentoit l'affreux tableau de toutes les misères humaines, dans des lieux où l'habitude d'être heureux ne rend que trop fouvent les cœurs infenfibles. En follicitant des fecours étrangers, il ne négligea point ceux qu'il pouvoit trouver dans le fein de l'état. Il fit renouveller des loix utiles, il réveilla le zèle de tous les magiftrats, il étendit fa vue dans toutes les provinces. Son activité & fes recherches découvrirent tous les amas de bleds qu'avoit faits l'avarice pour s'enrichir du malheur public.

Page 90. (10) Sur la fin du règne de Louis XIV, on crut M. Dagueffeau menacé d'une difgrace. I refufa conftamment de donner fes conclufions, pour une déclaration qu'il regardoit comme contraire aux libertés de l'Eglife

Gallicane; & pour fervir le Prince, il hasarda de lui déplaire. Cependant M. Dagueffeau eft mandé à la cour. Dans Paris on craignoit pour lui plus qu'une difgrace. Il n'en est point ébranlé. Toutes les fois qu'il alloit à Versailles, avant de partir il avoit coutume de dire ́adieu à fon époufe. Ce jour il partit fans la voir; & elle de fon côté évita fa préfence, de peur de s'attendrir mutuellement dans leurs adieux. Le public qui aime toujours qu'il y ait un peu d'appareil à tout, & qui dans les affaires qui font du bruit, veut ordinairement avoir un mot à citer, mit alors dans la bouche de Madame Dagueffeau un mot plein de courage. Mais la vertu la plus pure eft celle qui a le moins de fafte dans les paroles. Le mot put être pensé, mais ne fut point dit. M. Dagueffeau part en filence, arrive à la cour, parle à Louis XIV avec tout le refpect d'un fujet, & toute la fermeté d'un magiftrat, & revient tranquillement à Paris, où le public étoit plus allarmé pour lui, que luimême. Louis XIV. mourut peu de jours après.

Page 91. (11) M. le Chancelier Voifin mou rut d'apoplexie la nuit du 2 Février 1717. Dès le matin, M. le Régent envoya chercher M. Dagueffeau. Il étoit forti. Ce Prince envoya chez lui de nouveau. L'on dit que M. Dagueffeau étoit à l'églife. On y alla. M. Dagueffeau

répondit qu'il entendroit après la meffe ce qu'on avoit à lui dire. Après la messe il monte en caroffe, arrive au palais royal. M. le Régent, en le voyant, lui donne le nom de Chancelier. M. Dagueffeau s'en défend, fait des représentations au Prince, allègue fon incapacité pour une fi grande place. M. le Régent, pour la première fois, refufa de le croire. M. Daguesseau se vit enfin obligé de confentir à fon élévation. En'revenant du palais royal, il rencontra M. Joly de Fleury, qui étoit aufli mandé par M. le Régent; il lui annonça qu'il étoit Chancelier; mais ce qui me confole, ajouta-t-il, c'est que vous êtes Procureur Général. Il prêta ferment au Roi le lendemain. Il n'avoit que quarante - huit ans & quelques mois. Jamais choix ne fut plus approuvé. Tout le corps de l'Etat reffentit cette joie, qu'un événement heureux & imprévu donne à une nation fenfible.

Page. 107. (12) Il y a long-temps qu'on fe plaint de la diverfité des loix en France, & du nombre prodigieux de Coutumes qui la divifent. On fouhaiteroit que la nation unie sous un même Prince, le fut auffi fous une même loi. Mais c'est là une de ces entreprises qui frappent par leur grandeur, & qui étonnent par leurs difficultés. M. Dagueffeau, qui depuis Long-temps avoit conçu de grandes vues fur la

giflation, fongea enfin à les remplir. Son deffein étoit d'établir une entière conformité dans l'exécution des anciennes loix, fans en changer le fond, & d'y ajouter ce qui pouvoit manquer à leur perfection. Pour bien exécuter fon plan, il se propofa de travailler fucceffivement à des loix qui fe rapporteroient à trois objets principaux, les questions de droit, la forme de l'instruction judiciaire, & l'ordre des tribunaux. M. Dagueffeau, malgré l'étendue de fes connoiffances, ne crut pas qu'il dût fe contenter de fes propres lumières. Il avoit trop de génie pour ne point avoir recours à celui des autres. D'abord par une lettre auffi éloquente que raifonnée, il annonce fon plan de législation à toutes les Cours fouveraines. Il leur envoie enfuite la matière de chaque loi réduite en quef. tions. Les mémoires envoyés par les Cours étoient fondus & rédigés par les Avocats les plus célèbres, que M. le Chancelier honoroit de fon choix. Le tout étoit enfuite difcuté par les membres les plus favans du parlement de Paris; & le Procureur Général faifoit fon rapport à M. le Chancelier. La matière ainfi préparée, étoit de nouveau diftribuée aux Maîtres des requêtes; & la loi étoit fixée enfin dans un bureau de législation, auquel M. Daguesseau préfidoi. C'est ainsi qu'un feul homme répan

doit l'émulation & le travail dans tout le Corps de la magiftrature. Chaque loi étoit l'ouvrage de tout ce qu'il y avoit de plus favans hommes dans l'Etat.

Le premier fruit de ces travaux parut en Avril 1729. En révoquant le fameux édit de S. Maur, il rendit aux mères la fucceffion de leurs enfans, fucceffion que réclamoit la nature, & dont cet édit les avoit privées.

Le 15 Janvier 1731, une déclaration du Roi concernant les Curés primitifs & les Vicaires perpétuels, les mit en état d'obtenir une justice prompte, fur les dixmes deftinées à leur fubfiftance.

Les Février 1731, une déclaration du Roi fur les cas prévôtaux & préfidiaux, limita la jurifdiction des Prévôts des Maréchaux & des Préfidiaux, étendue à un point qui devenoit dangereux pour les citoyens.

En Février 1731, parut encore une ordonnance des donations, qui prescrivit des règles fimples fur cette manière de difpofer de fes

biens.

En Août 1735, l'ordonnance des testamens établit un jufte milieu entre la liberté exceffive de tefter & une contrainte rigoureuse, & fit ceffer la diverfité de jurifprudence fur une masière auffi importante.

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