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(32) Chrétien fans oftentation & fans foibleffe,il voit la mort d'un œil ferein, & l'attend avec confiance. Un ancien dit en mourant: «ô nature, je te rends » un efprit plus parfait que je ne l'a» vois reçu. Etre éternel, j'ai ajouté » à ton ouvrage ». DAGUESSEAU, après quatre-vingts ans de vertus & de gloire, pouvoit fe rendre le même témoignage; mais il eut une grandeur modefte à fa mort, comme pendant fa vie (33).

Tous ceux qui meurent font honorés par des larmes. L'ami eft pleuré par fon ami, l'époux par l'époufe, le père de famille par fes enfans; un grand Homme eft pleuré par le genre humain. Lorfque la pompe funèbre de DAGUESSEAU traversoit Paris, l'admiration & la douleur étoient le fentiment général de tous les citoyens. Le corps où avoit habité cette ame vertueufe, quoique froid & inanimé, imprimoit encore le refpect. Sembla

ble à ces temples qui long-temps ont fervi de demeure à la Divinité, la vue de leurs débris porte encore dans l'ame un fentiment involontaire de religion. Le vieillard difoit à fes enfans: «Mes fils, l'homme juste est » mort ». Le foible & le malheureux s'écrioient: « nous n'avons plus d'ap» pui ».

Des milliers d'hommes meurent & font auffi-tot remplacés: mais la mort d'un grand Homme laiffe un vuide dans l'univers, & la nature eft des fiècles à le remplir. Que du moins l'exemple de cet Homme illuftre qui n'est plus, vive fans ceffe parmi nous. Il n'est pas donné à tout le monde d'être grand; mais chacun peut apprendre de lui à être jufte.

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M'eft il permis, en finiffant, de faire un vœu pour le bonheur de la Patrie? Je fouhaiterois qu'au milieu du palais facré qui fert de temple à la justice, on élevât la statue de ce grand

Homme. Ce feroit parmi nous un mo nument éternel de religion, de fimplicité & de vertu. Ce marbre muet exerceroit fans ceffe une cenfure utile fur les mœurs des magistrats; & lorfque nous ne ferions plus, il annonceroit encore la vertu à nos derniers

neveux.

NOTES HISTORIQUES.

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AGE 82. ( 1 ) Henri-François Daguesseau naquit à Limoges le 27 Novembre 1668. Sa mère Claude le Picard de Périgny étoit fille d'un Maître des Requêtes. Du côté de son père, il defcendoit d'une ancienne famille, qui a poffédé des terres en Saintonge & dans l'isle d¡Oleron. L'histoire fait mention en 1495, d'un Jacques Dagueffeau, Gentilhomme de la Reine Anne de Bretagne, femme de Charles VIII. Anteine Dagueffeau, aïeul du Chancelier, fut fucceffivement Maître des Requêtes, Président du Grand Confeil, Confeiller au Confeil d'Etat, Intendant de Picardie, enfin Premier Président du Parlement de Bordeaux. La réputation qu'il y a laiffée, s'eft perpétuée jufqu'à préfent. Son éloge eft confacré dans l'hiftoire de Saintonge.

Idem. (2) Henri Dagueffeau, père du Chancelier, fut d'abord Confeiller au Parlement de Metz, enfuite Maître des Requêtes, Préfident du Grand Confeil, Intendant de Limoges, de Bordeaux, de Languedoc, Confeiller d'Etat, Confeiller au Confeil Royal des Finances, & enfin Confeiller au Confeil de Régence. I mourut âgé de plus de quatre-vingt-un an, en

1716. Il avoit tout le mérite que les grandes places fuppofent, mais qu'elles ne donnent pas. Jufte, défintéreffé, bienfaisant, ami des peuples, homme d'Etat, excellent père de famille; à tous ces titres il en joignoit encore un, qui étoit commun à tous les grands magistrats, celui de Savant.

Page 83. (3) On fçait combien les places d'Intendant de Provinces font difficiles à remplir. Il faut foutenir les droits du Prince & ne point opprimer les fujets, être jufte fans être dur. La ligne qui marque les limites du devoir, eft quelquefois imperceptible; un Intendant marche fans ceffe entre la haine des peuples & la crainte de la difgrace. Cette place fi difficile par elle-même, le devenoit encore plus par les circonftances, dans un pays où les peuples étoient révoltés par efprit de religion. On connoît la févérité des édits de Louis XIV contre l'héréfie; il falloit les faire exécuter, & cependant ménager des fujets utiles; poursuivre des rebelles, & ramener ceux qui pouvoient l'être ; joindre la fidélité que l'on doit aux ordres du Prince, avec la pitié que l'on doit à des fanatiques. Telle fut la conduite que tint le père du Chancelier. Auffi étoit-il adoré dans une place, où c'eft beaucoup que de n'être point haï. A la première nouvelle de fa mort, toutes les

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