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caractère de bonté, qui fied fi bien aux grands génies: car il en eft d'eux comme des Rois; on leur fçait gré de daigner être hommes.

Que ceux qui ne protègent les gens de lettres que par oftentation, & qui abufent de leurs befoins pour les avilir, foient humiliés par l'exemple de DAGUESSEAU. Il refpectoit les favans, comme une portion choifie de citoyens qui ont renoncé à la fortune, pour l'art pénible & dangereux d'éclairer les hommes. Confident de leur

génie, cenfeur de leurs ouvrages, digne de les apprécier, il leur prodiguoit cette confidération qui eft le feul prix digne des talens.

Suivons-le dans l'intérieur de fa famille, nous y verrons un spectacle auffi noble que touchant. Père, époux, fils vertueux, il remplit ces devoirs facrés, comme dans les premiers âges du monde (29). Il adore la vertu dans fon père, il l'a reçue en dot avec fon

épouse, il l'enseigne lui-même à fes enfans. Je vois cette famille auguste & fimple, unie par les nœuds les plus tendres, vivre fous la garde d'une austère discipline, dans cette joie que la paix, la concorde & la vertu infpirent. C'est là que l'on apprend à ne pas rougir de la nature. Quel fpectacle de voir un père favant & vertueux revêtu de la pourpre, affis fur le trône de la justice, entouré de fes jeunes enfans, former ces ames encore tendres, transporté de joie en voyant leurs vertus éclôre, les ferrer dans fes bras les baigner de larmes de tendresse les offrir à la Patrie! O luxe! ô dignité de notre fiècle! jamais ta fauffe grandeur ne donna un pareil fpectacle au

monde !

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Avec tant de reffources, DAGUESSEAU pouvoit-il n'être pas heureux même dans l'exil? On fçait trop combien pour les hommes ordinaires, il eft difficile de paffer tout-à-coup de la vie active & tumultueufe des grandes

places, à une vie tranquille & privée. L'ame accoutumée aux affaires, aux honneurs, aux courtifans & aux efclaves, transportée tout-à-coup dans la folitude, féparée de tous ces objets qui fervoient d'aliment à fon inquiétude ou à fa vanité, eft réduite à fe dévorer elle-même. Pour foutenir une pareille épreuve, il faut cette philofophie de l'ame qui eft fi fupérieure à celle de l'efprit, qui peut-être eft la feule utile, & que les vastes connoiffances ne donnent pas toujours.

DAGUESSEAU par-tout égal à luimême, porte dans la retraite ce calme profond qui l'avoit accompagné dans les orages de la cour. La religion, les loix, l'amitié, fa famille, les fciences, les arts, c'eft-à-dire tout ce qu'il y a de plus doux & de plus facré fur la terre, occupent & partagent fon temps (30). Autour de lui tout eft tranquille. La vie champêtre retrace à fes yeux l'innocence des premiers

âges du monde. Il cultive de fes mains l'héritage de fes pères. Souvent il fe délaffe à tracer lui-même le plan de fes jardins, où il réunit, comme dans fa conduite, ce double caractère de fimplicité & de grandeur, qui lui étoit naturel; tant il eft vrai que les goûts des hommes portent prefque toujours l'empreinte de leurs mœurs.

Ainfi couloient dans l'exil les jours d'un fage. Rappellé enfin aux fonctions de fa place, il ne s'arracheroit qu'avec peine à fa retraite, s'il n'étoit confolé par la douceur de fervir encore fa patrie; il va lui confacrer les derniers jours de fa vieilleffe. Chaque inftant femble ajouter quelque chofe à fa dignité. Tous ceux qui le contemplent, voyent autour de lui foixante ans de fervices & de travaux pour l'état. Sa vie toute entière l'environne, & répand fur lui un éclat qui attire tous les regards. Magiftrats, courtisans, tout l'honoroit, tout faifoit

des vœux pour lui; mais la nature ne fait que prêter les grands Hommes à la terre; ils s'élèvent, brillent & difparoiffent. Les maux de la vieilleffe attaquent DAGUESSEAU; & fon ame n'habite plus que parmi des ruines.

Dans cet état, il fe compare à fes devoirs, & rougit d'être encore puiffant, lorsqu'il ne peut plus être utile. Il fçait que l'homme eft aux dignités, & que les dignités ne font pas à l'homme. Il a accepté les honneurs en citoyen; il les a remplis en fage; il les quitte en héros dès qu'il ne peut plus les remplir, & donne encore un grand exemple, lorfqu'il ne peut plus rendre de grands fervices (31).

Dès ce moment, libre des liens qui l'attachoient à la terre, il ne s'occupe plus que des fentimens augustes de la religion. Cette vertu, fi capable de nous élever l'ame, fi néceffaire pour la confoler, avoit accompagné D AGUESSEAU dans tout le cours de fa vie,

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