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fes progrès, ennemi des Chrétiens par religion comme par politique, qui forti des marais de la Scytie, a inondé l'Afie & l'Afrique, fubjugué la Grèce, fait trembler l'Italie & l'Allemagne, mis le fiége devant la capitale de l'Autriche, & dont les débordemens peut-être auroient dès longtemps englouti l'Europe, fi la difcipline & l'art de la Guerre ne devoient avoir néceffairement l'avantage fur la férocité courageufe. MAURICE étudia contre ces nouveaux ennemis l'art de prendre les Villes, & de gagner les batailles (4).

Il eft des guerriers qui ne font que braves, qui ne fçavent qu'affronter la mort, auffi incapables de commander aux autres qu'à eux-mêmes, femblables à ces animaux belliqueux, fiers & intrépides au milieu des combats mais qui ont befoin d'être conduits, & dont l'ardeur doit être fans ceffe, retenue of guidée par le frein. Comme

MAURICE fentoit en lui-même cette fupériorité qui donne le droit de commander aux hommes, dans le temps qu'il combattoit en foldat, il obfervoit en philofophe. Un champ de bataille étoit pour lui une école, où parmi le feu, le carnage, le bruit des armes, tandis que la foule des guerriers ne pensoit qu'à donner ou à éviter la mort, fon ame tranquille embraffant tous les grands objets qui étoient fous fes yeux, étudioit l'art de faire mouvoir tous ces vaftes corps; d'établir un concert & une harmonie de mouvement entre cent mille bras; de combiner tous les refforts qui doivent concourir ensemble; de calculer l'activité des forces & le temps de l'exécution; d'ôter à la fortune fon afcendant, & de l'enchaîner par la pru→ dence; de s'emparer des poftes & de les défendre; de profiter de fon terrein, & d'ôter à l'ennemi l'avantage du fien; de ne fe laiffer ni étonner par

le danger, ni enivrer par le fuccès; de voir en même temps & le mal & le remède; de fçavoir avancer, recu→ ler, changer fon plan, prendre fon parti fur un coup d'œil; de faifir avec tranquillité ces inftans rapides qui dé cident des victoires; de mettre à profit toutes les fautes, & de n'en faire foi-même aucune, ou, ce qui eft plus grand, de les réparer; d'en imposer à l'ennemi jufques dans fa retraite; &, ce qui eft le comble de l'art, de tirer tout l'avantage qu'on peut tirer de fa victoire, ou de rendre inutile celle de fon vainqueur, Telles étoient les leçons que le Prince Eugène donnoit au Comte de Saxe. L'un méritoit la gloire de les donner, l'autre celle de les recevoir; & ces deux Hommes étoient également dignes l'un de l'au

tre.

Bientôt une paix profonde fuccéda aux troubles de la guerre ( 5 ). Alors, d'un bout de l'Europe à l'au

tre, les Nations furent tranquilles ; & les calamités du genre- humain furent au moins fufpendues dans ce beau climat toujours désolé. MAU RICE qui ne pouvoit plus exercer fa valeur dans les combats, ne perdit point de vue ce grand art, pour lequel la nature l'avoit formé. Il fçavoit qu'outre la discipline des camps, & cette école guerrière où l'on apprend à combattre & à vaincre par fon ex périence, il eft une autre manière de s'inftruire dans la retraite, par l'étude.

&

par les réflexions. En effet, depuis la révolution qu'a produite en Europe l'invention de la poudre, & fur-tout depuis que la Philofophie, née pour confoler les hommes & pour les rendre heureux, a été forcée de leur prêter fes lumières pour leur apprendre à fe détruire, l'art de la Guerre forme une science auffi vafte que compli quée, compofée d'un grand nombre de fciences réunies.

MAURICE jetta fes regards fur tous les peuples de l'Europe, pour en trouver un qui fût digne de l'inftruire; & fon choix fe fixa fur la France. Cet afcendant de réputation & de gloire que LOUIS XIV, Colbert & les Arts lui avoient donné, & que dix années d'orages & de malheurs n'avoient pu lui faire perdre, fe confervoit encore fous la régence d'un Prince qui cultivoit, honoroit, jugeoit tous les arts, fçavoit connoître les hommes, & à qui il n'a manqué dans fes grandes vues, que de fçavoir s'arrêter avant le point où commence l'excès.

La réputation de MAURICE l'avoit devancé à la Cour de Versailles. Le génie de Philippe connut bientôt qu'il la méritoit, & qu'il la furpafferoit un jour. MAURICE fut donc attaché à la France par un grade (6) qui excita la jaloufie des Courtifans: mais ils ne voyoient en lui qu'un jeune étranger, ami des plaifirs; & le grand Homme

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