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nions; en penfant que la réforme de nos loix étoit néceffaire, il crut qu'un fi grand changement ne pouvoit être fait que par degrés; que les loix font pour le peuple, prefqu'auffi facrées que la religion; qu'il y a des abus que leur antiquité même rend refpectables, & qui fe confondent prefque avec les fondemens des états ; qu'il eft quelquefois dangereux de trop fe hâter de faire du bien aux hommes; qu'au lieu de renverfer tout-à-coup ce grand Corps, il valoit mieux l'ébranler peuà peu, ou le réparer infenfiblement, en travaillant fur un plan uniforme & combiné dans toutes fes parties; & qu'enfin, malgré le zèle des magiftrats & des Rois, cet ouvrage immenfe ne peut être que le fruit des fiècles & du temps.

Nous expofons ces idées d'un Chancelier célèbre fans les attaquer ni les défendre; & nous croyons que c'est aux hommes d'état & aux philosophes

à les juger: nous dirons feulement que c'est d'après ces principes qu'il travailla fur les loix de la France. Pour célébrer les travaux d'un légiflateur, il faudroit l'être foi-même. Ce feroit à Platon ou à Montefquieu à peindre DAGUESSEAU. Vous le verriez dans la rédaction des loix parcourir d'un coup d'œil tous les avantages qu'une loi peut offrir, tous les abus qui en peuvent naître, toutes les difficultés qui peuvent en retarder l'effet, tous les moyens par où l'artifice peut l'éluder, tous les rapports qu'elle peut avoir avec les mœurs, avec les préjugés, avec les autres loix; comparer les avantages avec les abus ; chercher le terme où le bien eft le moins altéré par le mêlange du mal; car c'est là toute la perfection dont est capable notre foibleffe. S'il ne changea point l'édifice entier de nos loix, du moins il s'occupa vingt ans à en reconstruire différentes parties; & il

mérita, dans l'hiftoire de notre légiflation, de voir fon nom joint au nom de Charlemagne, de S. Louis, de François I, du Chancelier de l'Hôpital, de Louis XIV & du fameux Président de Lamoignon (12).

&

Tant de travaux & de vertus prenoient leur fource dans l'amour de la patrie. Ce fentiment tendre & fublime qui eft l'ame des républiques, qui dans les monarchies eft à peine connu que les efclaves n'ont jamais fenti, eût pu produire en lui ces mêmes prodiges que nous admirons dans l'antiquité, fans les croire ; & fi, pour fauver l'état, il eût fallu un Décius, DAGUESSEAU l'eût été.

Déja vous pensez à fes difgraces & à la noble fermeté qu'il y fit paroître. Voici le plus grand fpectacle que la terre puiffe donner; l'homme vertueux aux prises avec la fortune.

Je vois une cour voluptueufe & politique, les intrigues de l'ambition au

milieu de la licence, le génie des affaires dans le centre des plaifirs; un Prince né avec tous les talens, plein d'excellentes vues, ami de la justice, mais trop facile

,

manquant d'un point fixe pour appuyer fes vertus, environné de trop de méchans pour eftimer les hommes; des courtisans ivres de nouveautés, fe jouant de tout par flatterie, se calomniant par intérêt, courant à la fortune par la volupté; parmi eux deux hommes, dont P'un avoit honoré l'Etat dans une place importante, ardent, plein de courage, d'un efprit délié, capable des plus grands projets, mais qui peutêtre n'étoit pas infenfible à l'ambition de la faveur; l'autre fouple, adroit, connoiffant mieux les hommes que les affaires, ami peu sûr, ennemi dangercux, habile à fe rendre néceffaire, indifférent fur le choix des moyens. Un étranger d'une imagination vafd'une réflexion profonde, mais

plus habile à concevoir qu'à exécuter, cherchoit alors par inquiétude ou par ambition à mêler fa fortune avec celle de la France. Déja ce fyftême qui changeoit la mefure commune des biens, fubftituoit le crédit à la réalité, utile & dangereux en ce que dans un inftant il créoit des richeffes, avoit ébloui la cour de Philippe. DAGUESSEAU ofe le combattre (13); il en reconnoît les avantages, mais il en prévoit les abus, & refufe d'être complice des maux de la France. Tant de vertu est un crime. Déja les intrigues & les cabales fe forment contre lui. La Nation eft allarmée; lui feul demeure inébranlable. Le coup le frappe fans l'étonner. Il reçoit l'arrêt de fon exil d'un air auffi calme, que lorfqu'affis fur les tribunaux, il rendoit la juftice au peuple.

Les malheurs de la nation fuivent de près fa difgrace (14). Ce fyftême qui paroiffoit établi fur de fi vaftes

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