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florissant à Entrains que partout ailleurs. C'étoit un pays éloigné de dix lieues de celui où il venoit de fonder une nouvelle église (1). Son éloignement de la rivière d'Yonne ne le rendoit pas moins propre au culte superstitieux que les payens rendoient aux éléments. Sa situation au milieu des eaux (ainsi que le nom le porte) y attiroit un grand concours. Un seigneur payen, que l'histoire désigne par le nom générique d'Aulercus, qui est écrit par quelques-uns Æolercus (2), avoit consacré, dans ces cantons-là, des autels particuliers à Jupiter, à Apollon et aux autres divinités; mais le temple qu'il y avoit érigé en l'honneur de Jupiter, attiroit encore plus qu'aucun autre la vénération des peuples, parce qu'il étoit construit avec plus de magnificence. Pélerin, ayant appris qu'on y accouroit de tous côtés dans la saison ordinaire, quitta la ville d'Auxerre, se contentant d'y laisser quelques-uns des ouvriers apostoliques qu'il avoit amenés, et se transporta à Entrains. S'étant avancé au milieu de la foule, il commença à remontrer à ces peuples leur aveuglement, et il s'écria, à haute voix, que c'étoit Jésus-Christ et non leurs faux dieux qu'il falloit honorer; mais il ne tarda guère d'être arrêté comme perturbateur de l'assemblée et des cérémonies, et après avoir rendu de nouveau témoignage à Jésus-Christ devant l'officier auquel on le présenta, il fut mis en prison.

Le lieu où il fut enfermé étoit un souterrain qu'on voit aujourd'hui proche Bouy, à une lieue d'Entrains, sur une espèce d'éminence (3). Le saint y resta enchaîné jusqu'à l'arrivée de ceux qui avoient le pouvoir sur sa vie. Dans cet intervalle il ne cessa d'annoncer le vrai Dieu à ceux qui le gardoient ou qui approchoient de sa prison. Etant présenté au préfet ou au juge, il ne fut effrayé ni séduit par les menaces et par les promesses; mais il demeura toujours ferme et constant dans la confession du nom de Jésus-Christ. La tradition nous a conservé les belles paroles dont il se servit en répondant au

(1) Je ne sais qui a pu insinuer aux Bol- | landistes que ce pouvoit être ce qu'on appelle les Isles, proche Auxerre; erreur qui a été suivie par M. Baillet. Ils ont apparemment été trompés par le mot Interamnes.

(2) Ptolémée, le géographe, fait mention des Aulerques Cenomans, Aulerques Diablintes et Aulerques Eburoviques.

(5) Peut-être que ce lieu ne portoit le nom

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de Bouy qu'à cause de ces prisons; car en ancien latia boia signifie des fers, des liens. On peut aussi se persuader facilement que le souterrain, que l'on prend pour la prison de saint Pélerin, aura servi à renfermer les bêtes destinées à se battre Jans les arènes; car il est probable que celles d'Entrains étoient vers cette hauteur, et que le nom de Come vient de là.

juge lorsqu'il voulut l'engager par promesses à sacrifier aux faux dieux. « Vos honneurs, lui dit-il, sont la perte de l'âme, et les présents › que vous pensez faire sont de perpétuels supplices. Pour moi, ajoutat-il, j'invoque Jésus-Christ qui est le rédempteur de tous : je ne crains point de le confesser jusqu'à la mort, et je n'aurai jamais rien à >> craindre me confiant dans la promesse d'un si grand Roi. » Ces paroles sont rapportées à peu près de la même manière dans tous les mémoires tant anciens que nouveaux dressés sur ce Saint.

Une ancienne vie du même évêque, écrite avant le xe siècle, marque qu'il fut aussitôt abandonné à la fureur des soldats qui le chargèrent de coups (1), et qu'ensuite il fut conduit pour être livré aux bourreaux; mais que les soldats voyant que les forces lui manquoient, l'un d'eux lui abattit la tête de son épée. Il est vrai que ce trait n'a point l'air d'une procédure réglée, mais quelque manière que l'on ait employée pour se défaire de notre Saint, il est constant par des martyrologes peu éloignés de son siècle, qu'il eut la tête coupée le 16 mai. L'opinion la plus reçue est, que ce fut du temps de la grande persécution de Dioclétien, en 503 ou 304, d'où il faut conclure que le Saint étoit fort âgé quand il mourut et que son apostolat dans Auxerre avoit été de plus de trente ans; ou bien qu'il étoit resté plusieurs années en chemin lorsqu'il vint de Rome à Auxerre. Ce qui oblige de placer son martyre dans le temps de cette persécution, est qu'on trouve que, de tous ses compagnons, il n'y eut que saint Jovinien, lecteur, qui mourut martyr comme lui, et que la raison pour laquelle les autres ne purent avoir le même sort, fut la paix qui survint dans l'Eglise. Au moins telle étoit la croyance de l'église d'Auxerre du temps de saint Germain ; et il est difficile d'entendre par cette paix une autre paix que celle que l'empereur Constantin donna aux chrétiens. On peut voir ce qui en est dit dans l'histoire de la conversion de saint Mamert.

Le corps de saint Pélerin fut inhumé à Bouy par quelques chrétiens cachés, et il y reposoit encore du temps de saint Germain. On peut même assurer que dès lors l'église du lieu étoit bâtie sur sa sépulture, et qu'elle portoit son nom. C'est une conséquence qui se tire naturelle(1) Pugnis et calcibus.

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Culte de S. Pélerin

Culte

de S. Pélerin.

ment de la manière de parler dont on se servoit dans l'église d'Auxerre au ve siècle, et qui se trouve employée dans le récit des visions de saint Mamert (1). L'abbaye de Saint-Denys, proche Paris, fut par la suite enrichie de ses précieuses dépouilles. On croit que ce fut le roi Dagobert Ier qui obtint le corps du saint évêque d'Auxerre (2) excepté la tête, et qu'il le fit porter dans ce monastère. Il n'est pas incroyable qu'une si célèbre abbaye ait été enrichie d'une grande quantité de reliques dans le temps de sa fondation, et que ces reliques aient été d'abord placées en différents oratoires de cette maison, jusqu'à ce qu'elles aient toutes été réunies dans la principale église. C'est cette réunion qui paroît être marquée en qualité de translation dans quelques anciens livres écrits au xe siècle. Le jour auquel elle se fit est le 22 août; on y lit cette annonce : Translatio corporum sanctorum monasterio sancti Dionysii; id est Hilarii episcopi et confessoris; Innocentii martyris, et sancti Peregrini episcopi et martyris (3). Il y avoit déjà longtemps que les reliques de saint Pélerin étoient conservées à Saint-Denys, lorsque l'abbé Suger fit rebâtir la partie de l'église qui regarde l'orient. Dans la dédicace ou consécration qui y fut faite des autels, l'an 1144, le troisième fut dédié sous l'invocation de saint Pélerin par Hugues, évêque d'Auxerre, sans doute à cause de la châsse qui contenoit son corps. Ces mêmes reliques y étoient conservées avec distinction au XIIIe siècle, puisqu'on lit que Guillaume de Seignelay, évêque de Paris vers l'an 1221, fit une fois le voyage de Saint-Denys pour les honorer, et qu'il y offrit quelques présents (4). La chapelle où elles sont aujourd'hui est la seconde du chevet. Elle ne renferme rien de remarquable par rapport à notre Saint que dans son pavé, autour duquel ont lit en son honneur seize vers latins d'une écriture

(1) Festinat Peregrinus ad proprium habitaculum Baujaco reverti.

(2) Ceci est tiré du calendrier d'un sacramentaire de l'église de Senlis écrit vers l'an 880 et conservé à Sainte-Geneviève de Paris. Les Bollandistes citent au 16 mai un martyrologe manuscrit de sainte Gudule de Bruxelles qui dit la même chose.

(3) Les manuscrits des derniers siècles contiennent de grandes fables sur cette translation, comme quand ils disent que ce

fut un paysan qui leva le Saint, le mit sur sa voiture et se trouva en rien de temps devant l'abbaye de Saint-Denys où les cloches sonnèrent d'elles-mêmes. Si c'est Dagobert Ier qui l'obtint, ce ne put être que de l'évêque Pallade. Or, on peut croire plus vraisemblablement que Pallade fut le paysan qui avait conduit Brunehaut en Bourgogne, selon Frédégaire, que non pas Didier.

(4) Les curieux doivent remarquer que le pavé de cette chapelle n'est que d'une seule

qui paroît de cinq ou six cents ans. On voit dans le mur une inscription

Culte

sur parchemin qui fait voir que la consécration de l'autel a été faite de S. Pélerin. par un évêque de Bretagne; d'où il faut conclure que cet autel n'est pas celui qui avoit été construit sous l'abbé Suger.

Dans le siècle suivant il se fit plusieurs distractions des ossements renfermés dans la chasse de saint Pélerin. Jeanne d'Evreux, veuve de Charles-le-Bel, roi de France, en obtint, l'an 1340, de l'abbé Gui: et deux ans après elle donna ce qu'elle en avoit aux Jacobins d'Auxerre, qui le lui avoient demandé pour une chapelle érigée en l'honneur de ce saint, dans leur église, au côté septentrional du grand autel. Elle fit faire pour cela une châsse d'argent du poids de dix-sept marcs, et fit présent du tout entre les mains de Guillaume Clément, jacobin, confesseur de Jean, fils de Philippe de Valois, par un acte expédié à Crécy en Brie, le 25 juin 1342 (1). Celles qu'on possède à Prague, en Bohême, dans la métropole de Saint-Vit, y furent apportées l'an 1373, et on croit que c'étoit l'empereur Charles IV qui les avoit obtenues. Il s'étoit aussi répandu à l'extrémité septentrionale du diocèse d'Autun, qu'on y possédoit un os du bras de ce Saint, dans une chapelle de son nom, bâtie sur les limites de la paroisse de la Roche-en-Bregny, à deux lieues de Saulieu, dans le hameau appelé Clermont. Cette relique pouvoit avoir été obtenue par quelque puissant seigneur de ces cantons-là. Parmi les reliques d'une des châsses qu'on voyoit ces années dernières élevées au fond du sanctuaire de

pierre taillée et ciselée fort artistement.

Voici les vers qui bordent cette pierre: (a)

Quisquis amat Dominum sanctumque colit Peregrinum,
Gratiam habet Domini, voto, meritis Peregrini,
Quod petit implorat, quod mundo corde precatur.
Sanctum, sanatur morbo quocunque laborat.
Versibus his memora Peregrinum quisquis honoras,
Qui præsul pridem prior Autricus fuit, idem
Ad nos translatus quondam in capsaque locatus,
Quam super altare hoc præsens cernis rutilare.
Altisiodoricus præsul jacet hic Peregrinus,
Egregius dominus, Christique fidelis amicus,
Multis tormentis fuit huic constantia mentis.

Truncato capite cœlestis gaudia vitæ.

Martyr hic insignis dat ne noceat sacer ignis
Sive venenosum morbumque fugat furiosum :
Hunc supplex ores, hunc tu devotus honores,
Hunc animo recolas lector, eumque colas. Amen.

Sur la même pierre, derrière l'autel, est
gravée une figure de saint Pélerin, et devant
lui celle d'un religieux (qui est peut-être
l'abbé Suger), avec ces deux vers:

Oro Dei testis mireri mişerere jacentis,
Es mihi patronus; sis clemens, sisque benignus.

(1) Archiv. Dominican. Autiss.

(a) M. Viollet-Leduc, dans une restauration récente de cette chapelle, vient de découvrir une partie de cette mosaïque qui avait été masquée au XVIIIe siècle par un pavage. (Note des Editeurs.)

Culte

de S. Pélerin.

l'église de Sens, et qui paroissent y avoir été renfermées il y a trois ou quatre siècles, est un morceau d'étoffe avec cette inscription: De vestimento S. Peregrini sanguine resperso (1): ce qui dénote quelque lambeau tiré anciennement de la châsse qui est à Saint-Denys, où il y a en effet des vêtements de notre Saint (2). Avant que les calvinistes eussent pillé la cathédrale d'Auxerre (3), on y montroit une partie considérable de l'un des bras de saint Pélerin, dans une croix d'argent qui pesoit huit marcs: un catalogue des reliques de la même église, rédigé au xve siècle et conservé à Rome, au Vatican (4), porte ces mots : De ossibus sancti Peregrini protopræsulis, in jocali collato à domina Andegavensi. Une comtesse d'Anjou avoit donné ce reliquaire, mais la croix et le reste sont perdus depuis l'an 1567.

Les reliques de l'abbaye de Saint-Denys n'eurent pas le même sort, parce qu'elles furent portées à Paris avec les reliquaires qui les contenoient. Ainsi la châsse de saint Pélerin y ayant été portée comme les autres, les ossements du saint martyr furent sauvés, et après leur retour, l'abbé Charles de Lorraine, ayant fait faire la châsse où on les conserve aujourd'hui, les y transféra le 9 octobre 1570, suivant le procès-verbal qui y a été trouvé le 13 juin 1716. Ce fut de cette châsse que l'on tira, l'an 1634, le 27 mars, environ la moitié d'un os de la cuisse pour donner à messire Dominique Séguier, évêque d'Auxerre. J'en parlerai plus au long à l'article de ce prélat.

Onze ans après, c'est-à-dire en 1645, le 23 novembre, comme on creusoit sous le grand autel de l'église de Bouy qui porte le nom de saint Pélerin, on trouva, à la profondeur de cinq à six pieds, un reste de sépulcre qui renfermoit d'un côté une tête, et de l'autre le corps d'un petit enfant (5). Il s'étoit conservé parmi les peuples une pieuse coutume de ramasser de la terre en cet endroit. On l'appeloit la terre de Saint-Pélerin, et les fidèles qui en répandoient dans leur maison et ailleurs, se trouvoient préservés des bêtes vénimeuses. La maçonnerie

(1) Inventaire du trésor de Sens.

(2) Dom Georges Viole, parlant de la Chartreuse de Basseville, située au diocèse d'Auxerre, dit qu'on y conserve encore un morceau de l'étole de saint Pélerin.

5) Hist. de la Prise d'Auxerre, p. 25. (4) Cod. Reg. Sueciæ 1283, p. 75, Pièces justif.

(3) Procès-verbaux de ce temps-là.

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