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dispenses et d'indulgences, tout cela excitait depuis longtemps les plaintes et les murmures et favorisait les doutes. Déjà en 1381, un théologien allemand, nommé Henri de Hesse ou de Langenstein, écrivant un conseil 1 sur la nécessité de rétablir la paix dans l'Eglise et de réformer sa constitution, réservait les cinq derniers chapitres de son ouvrage à exposer, dans toute leur nudité, les vices et la corruption de la cour de Rome. Le tableau qu'il fait des débordements du clergé est complet; rien n'y manque, si ce n'est peut-être l'impartialité, car le clergé lui-même subissait l'influence de l'esprit de liberté qui animait les populations. Toutefois, quelle que fût l'exagération et l'enflure des détails dans. lesquels est entré Henri de Hesse, on peut juger de la violence du mal d'après la hardiesse des mots.

Lenfant a donné la substance de cet écrit, et nous la reproduisons, parce qu'il importe de montrer que la réforme ne fut pas une œuvre toute personnelle, éclose dans le cerveau d'un moine saxon, mais l'expression des besoins de toute une génération, une manifestation multiple et variée de l'esprit du moyen âge, un développement naturel de la civilisation. « Après avoir parlé de l'ignorance, de la simonie et du libertinage des papes, Henri de Hesse passe aux désordres du bas clergé. Là, il représenté les prêtres concubinaires, ici les moines débauchés, les églises cathédrales devenues des cavernes de brigands, les monastères des cabarets et des lieux de prostitution. >>

Il s'élève fortement contre le grand nombre de statues et de peintures qui se trouvent dans les églises, et qui ne peuvent qu'amener le peuple à l'idolâtrie. Il ne ménage pas davantage la multiplication des saints et des fêtes,

1 Consilium pacis de unione ac reformatione Ecclesiæ in concilio universali quaerenda. Cf. Lenfant, Histoire du concile de Constance.

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ni ces questions inutiles, comme celle de la conception immaculée de la Vierge, qui faisait alors beaucoup de bruit et servait d'aliment au radotage des théologiens. Il termine en signalant la polygamie qu'on tolérait en quelques endroits parmi les membres du clergé. Cet ouvrage eut assez de retentissement pour donner le ton à tous les autres écrits du même genre que l'époque vit paraître.

Les accusations devinrent bientôt générales. Au commencement du xve siècle, un moine anglais composa un pamphlet célèbre sous le titre d'Aureum speculum papæ, ejus curiæ, praelatorum et aliorum spiritualium, où il réclamait avec non moins d'énergie qu'Henri de Hesse, l'appui des princes chrétiens pour faire cesser le schisme et mettre un terme aux immoralités et aux abus de la puissance ecclésiastique. « On ne saurait croire, dit-il, combien la vénalité des charges a causé de maux dans l'Eglise. De là sont sortis des évêques inutiles, ignorants, scandaleux, ambitieux et violents. On donne les autres bénéfices à tout le monde sans distinction, à des entremetteurs, à des cuisiniers, à des palefreniers et à des enfants. Les bénéfices ne se vendent pas moins publiquement à Rome que les marchandises dans un marché autant pour la signature du pape, autant pour une dispense ou une permission de posséder des bénéfices incompatibles; autant pour un indult; autant pour lever une excommunication; autant pour telles et telles indulgences. »>

En 1408, dans un concile tenu à Reims, Jean Gerson, chancelier de l'université de Paris, signalait la négligence des évêques qui, regardant la prédication comme une fonction indigne d'eux, en laissaient tout le soin à des moines mendiants ou à de pauvres théologiens, ignorants et fanatiques. Les évêques et les hauts digni

taires de l'Église, gorgés de biens et de richesses, employaient tant de temps à leurs plaisirs et à l'administration de leur temporel, qu'ils n'avaient plus le loisir d'exercer convenablement les principales fonctions de leur ministère. La prédication s'avilissait. On altérait, on corrompait la parole de Dieu; on faisait de la piété un métier et un gain sordide, et non-seulement on répandait des semences d'erreur. et de superstition, mais on nourrissait le peuple d'impertinences et de contes frivoles.

Vers la même époque, Nicolas de Clémange, chanoine de Langres et docteur à l'université de Paris, publiait un long écrit sur la corruption de l'Eglise 1, travail qui abonde en détails piquants et qui a une importance d'autant plus grande que l'auteur ne cessa jamais de défendre les intérêts de Benoît XIII, dont il fut longtemps le secrétaire.

Il y règne un ton acerbe et violent qui semble extraordinaire chez un homme que les faveurs pontificales n'avaient pas oublié, et qui avait, moins que tout autre, le droit de se plaindre des vices de la cour de Rome. On jugera de la hardiesse de cet écrit par l'extrait sui

vant :

«Les premiers ministres de l'évangile étaient devots, >> humbles, charitables, libéraux, désintéressés, ils >> négligeaient les biens de ce monde. Lorsqu'ils en » possédèrent par la libéralité des princes et des autres >> séculiers qui partageaient avec eux leur opulence, » contents d'une table frugale, vivant sans luxe et sans » pompe, ils employaient à des aumônes et aux œuvres » de l'hospitalité ce qui n'était pas nécessaire à leur >> entretien. Mais avec le temps, les richesses s'accru

De corrupto ecclesiæ statu. Cf. Lenfant, Loco suprâ.

>> rent, et la piété diminua. La religion, l'humilité, la >> charité firent place au luxe, à l'ambition, à l'inso»lence. La pauvreté fut une honte et l'économie un » vice. L'avarice vint soutenir l'ambition, et, comme » ce qui était à soi ne suffisait plus, il fallut prendre le » bien d'autrui, piller, usurper, opprimer les petits >> et dépouiller tout le monde. » Des papes, Nicolas de Clémange fait un portrait déplorable. Quant aux cardinaux, il les tient pour si fiers et si superbes, qu'à son avis, quiconque voudrait peindre l'orgueil, n'y pourrait mieux réussir qu'en exposant un cardinal. Tout à la fois moines, chanoines, réguliers, séculiers, possesseurs de plus de cinq cents bénéfices, ils se font encore usuriers et exercent une simonie si honteuse qu'on les prendrait plutôt pour des courtiers ou des maquignons que pour des ecclésiastiques. La corruption s'étend à tous les membres du clergé. Les évêques, incapables de remplir leur ministère, vont en chasse, au bal, au jeu. Les curés, appauvris par les exactions de leurs supérieurs et tondus comme des brebis, doivent à leur tour extorquer pour vivre; ils vendent à prix d'argent le pardon des fautes et les sacrements. Les moines fanatiques, superstitieux, cruels, allient la sottise à la vanité, l'orgueil à l'ignorance. Des religieuses, il ne dit qu'un mot dont la sombre énergie est plus éloquente que de longs discours : « Voiler une fille, c'est la déshonorer. >>

Comment porter remède à ce mal qui minait sourdement la papauté, et qui, s'il grandissait, pouvait exercer une funeste influence sur l'état moral des populations? Le mot de réforme était dans toutes les bouches; d'un bout à l'autre de l'Europe, il n'y avait qu'un cri pour réclamer la réformation de l'Église dans son chef et dans ses membres. Mais cette question, déjà si grave, se com

pliquait d'une autre non moins importante: le dogme. A voir les papes offrant au monde chrétien le spectacle de leurs scandaleuses querelles, on se demandait aveceffroi si c'étaient bien là les vicaires du Christ et les chefs de cette doctrine qui prétendait moraliser l'humanité. En doutant de leur infaillibilité, on mettait en doute celle du dogme, et l'on était naturellement amené à examiner ces théories religieuses sur lesquelles les papes avaient assis leur puissance. Les périls s'accumulaient une catastrophe devenait imminente. L'Eglise romaine menaçait de s'affaisser dans le gouffre qu'ellemême avait creusé. Les timides tentatives de Pise et de Constance, impuissantes à arrêter les abus dénoncés. par Gerson, n'ont d'autres résultats que d'enlever à l'autorité pontificale le peu de respect qu'on lui porte encore. Le spectacle deux fois répété d'un pape déposé fournit un nouvel aliment à l'animation des masses; l'imprimerie leur donne une voix; elle reprend en sousœuvre les essais de Wicleff, de Jean Hus et de Jérôme de Prague, les développe et les popularise. De toutes parts elle attaque la foi superstitieuse, proclame la liberté de conscience et la libre interprétation des textes. Elle ravage la vieille Eglise gothique, balayant sur son passage ses dogmes et ses coutumes surannées, ses légendes et ses mystères qui faisaient jadis sa force, qui font aujourd'hui sa faiblesse. Pendant près d'un demi-siècle, ce ne sont que chansons populaires, pamphlets, satires, thèses des docteurs, commentaires sur la bible. Lorsqu'au mois de décembre 1517, Ulric de Hutten publie le livre de Laurent Valla sur la donation de Constantin, la réforme avait envahi la presse, et les papes avaient reconnu l'impossibilité de soumettre cette puissance. Deux ans plus tard, au moment où s'ouvre l'immense débat entre la liberté de conscience et l'au

R. T.

6.

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