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sion nouvelle. Channing est un des plus anciens et presque l'un des premiers qui ait fait servir avec succès sa plume à la défense des idées de tolérance, des principes de progrès, de la cause de la liberté. C'est pour lui un beau titre de gloire que d'avoir fondé une religion, dégagée de toute superstition, ne s'imposant à personne, religion appropriée plus que toute autre à notre XIXe siècle, appelée peut-être à faire sortir du catholicisme les intelligences qui n'osent passer d'un seul coup à la foi rationaliste. M. François Van Meenen est le premier en Belgique qui soit venu nous parler de Channing, nous le faire connaître, par la publication de deux remarquables morceaux : De la culture de soi-même, Principes du christianisme unitaire, par des biographies de son auteur favori.

Ces écrits de Channing ont eu de l'écho dans nos populations. Depuis lors le nom de cet écrivain s'est popularisé parmi nous, et, en France, M. Ed. Laboulaye a songé à traduire aussi ses ouvrages. M. Van Meenen continue sa tâche de son côté, et, après nous avoir montré Channing apôtre et moraliste, il nous le montre aujourd'hui historien et philosophe, car c'est plus que de l'histoire pure ces pages consacrées à étudier La vie et le caractère de Napoléon Bonaparte.

Ce livre a son cachet tout particulier qui en fait l'originalité et la beauté. Channing est Américain, patriote, et n'a pas à porter les haines ou les sympathies de sa nation pour le premier empereur des Français; il a donc une des grandes conditions de l'histoire : l'impartialité. Mais ce serait peu pour Channing. Cet homme est toujours si grand, si calme, qu'il ne redoute point les passions personnelles. Il juge Napoléon avec cette sérénité que donne l'élévation de l'intelligence et du cœur. Son appréciation est toujours large, souvent sévère, parce qu'il est guidé par l'idée de la justice et du droit, et qu'il s'attache surtout à rechercher la grandeur morale. Les succès ne l'éblouiront pas

Quelle était votre valeur intellectuelle? En avez-vous fait un usage légitime? Vers quoi se sont portées vos facultés? Le but que vous pouvez atteindre, les choses à accomplir, étaient grandes. Voilà les questions que pose Channing; et à travers les

actes de la vie du général, du consul ou de l'empereur, il cherche toujours s'il n'y a pas eu déviation ou abus.

Trouve-t-il à admirer? soyez sûr qu'il ne ménage pas la vérité et qu'il approuvera. Il est sincère avant tout. C'est un travail extrêmement remarquable que ce travail de Channing. On ne peut qu'y gagner pour soi-même, qu'apprendre à bien diriger ses facultés, en le lisant. L'homme apprend à se connaître, à force d'étudier les hommes supérieurs.

Voilà pourquoi nous louons tant M. Van Meenen de sa traduction, très-bien faite du reste; M. Van Meenen a su jusqu'à présent faire un choix heureux dans les écrits de Channing qu'il a traduits; il l'a montré sous ses divers côtés. Ceci est un de ses ouvrages de plus longue haleine, et d'autant plus intéressant à lire qu'il est plus étendu, plus complet.

M. Fr. Van Meenen a ajouté au volume qu'il offre au public et que nous ne pouvons trop recommander, la traduction de quelques pages d'Émerson, Américain aussi, homme de grand mérite, mais nature toute différente de celle de Channing. Il est curieux de lire ces deux appréciations de deux citoyens des États-Unis sur Napoléon Bonaparte. M. Van Meenen a pris au livre d'Émerson : les Représentants de l'humanité, l'étude sur Bonaparte et l'a traduite. Il a voulu nous donner à comparer, et nous ne pouvons mieux caractériser les deux morceaux qu'en citant quelques lignes de la trop courte introduction dont M. Van Meenen a fait précéder sa traduction. « Voilà pourquoi nous avons été heureux de produire les belles et bonnes pages de Channing, et les pages plus ou moins humoristiques d'Émerson. Il y a dans les réflexions de Channing un sentiment profond de la dignité humaine; tout ce qu'il dit de la moralité des hommes publics, de la guerre, de l'amour du pouvoir, du désir des conquêtes, du rôle du gouvernement, porte l'empreinte de cette même élévation de pensée et de sentiment qu'on est toujours sûr de rencontrer chez lui. Il y a dans le portrait tracé par Émerson moins d'élévation et de chaleur, mais plus d'originalité, plus de personnalité, plus de bizarrerie, si l'on veut. Emerson admire en Napoléon une forte individualité, mais renfermée exclusivement en de certaines limites; aussi son

admiration est mêlée de dédain et de mépris. Channing envisage plutôt Napoléon au point de vue de l'humanité en général, Emerson, au point de vue de son individualité personnelle. »

Nous n'avons rien à ajouter à ces lignes qui apprécient si bien les deux auteurs. Nous disons seulement que M. Van Meenen remplit une tâche bien utile, en initiant le public à ces productions des esprits les plus éminents de l'autre côté de l'Océan. Nous croyons que c'est un service rendu aux lecteurs belges et une source d'intérêt pour eux. On ne peut trop engager les peuples à observer les uns chez les autres la marche et les progrès de la pensée.

A. Lx.

ESQUISSE SUR LES VICISSITUDES DE L'INSTRUCTION GÉNÉRALE ET MÉDICALE EN ESPAGNE,

Présentée à l'occasion du Congrès d'ophthalmologie de Bruxelles,

Par le Dr CALVO ET MARTIN, professeur de l'Université de Madrid.

Broch. gr. in-8o de 24 pages; Bruxelles, Henri Samuel.

Placée entre la France, l'Angleterre et l'Allemagne, la Belgique, depuis plusieurs années, est devenue le rendez-vous préféré des Congrès scientifiques, préférence qu'explique d'ailleurs la liberté des institutions de notre patrie. Au Congrès d'ophthalmologie de cette année, 200 praticiens et professeurs, venus de tous les points du globe, ont prouvé par leur présence, que la science est en voie de progrès, même chez les peuples longtemps restés en arrière.

Nous voudrions pouvoir reproduire l'éloquent discours d'ouverture prononcé par M. Fallot, président du Congrès, ainsi que les nobles paroles par lesquelles M. De Decker, ministre de l'Intérieur, a remercié la savante assemblée qui l'avait appelé à la présidence d'honneur. Mais nous devons nous borner à en indiquer l'esprit et la haute portée. M. Fallot terminait ainsi :

« Partout où les hommes s'unissent en vue du progrès, ils sont frères. Que deviennent ces barrières imaginaires élevées entre eux par la différence des nationalités, la diversité des idiomes, le dissentiment des opinions et des doctrines, en présence de la cause sainte de la science et de l'humanité?

» Messieurs, le drapeau qui se déploie sur nos têtes porte donc cette devise: Liberté! égalité! fraternité! Cette fois, j'ose en répondre, elle ne sera pas un mensonge. »

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<<< Messieurs, a répondu M. De Decker, ce n'est pas dans notre Belgique, terre classique des Congrès, qu'il est nécessaire d'insister encore sur l'utilité de ces savantes réunions qui, au milieu des préoccupations matérielles de notre époque, tendent à assurer les droits de la pensée humaine et viennent consacrer périodiquement l'empire légitime de l'intelligence. >>

Le Congrès s'est occupé de questions fort importantes, parmi lesquelles nous citerons les moyens préventifs de l'ophthalmie militaire, et surtout l'ophthalmoscopie, découverte admirable qui permet de voir l'intérieur, le fond de l'œil, aussi bien que les parties extérieures, et d'en reconnaître ainsi les maladies. Ces questions ont soulevé des discussions instructives, qui seront publiées par le comité d'organisation du Congrès.

M. le Dr Calvo et Martin, de Madrid, a saisi l'occasion de ce Congrès pour appeler l'attention de ses collègues sur l'Espagne, qui s'éveille enfin de sa longue léthargie; sur cette nation abandonnée depuis deux siècles de l'Europe scientifique, et qui, adolescente encore de sa nouvelle renaissance, vient dans nos Congrès renouer les liens de la science que de tristes vicissitudes avaient rompus.

Dans un style élevé et même entraînant, bien que Mr Calvo et Martin soit obligé de s'exprimer en français, langue qui ne lui est pas entièrement familière, il retrace les causes de la décadence de l'Espagne, depuis l'époque de la conquête des Arabes.

L'influence des Arabes, si puissante à cette époque, repousse de l'Occident la barbarie qui l'oppresse; elle arrive jusqu'aux sources éternelles du savoir des Grecs, et non-seulement elle

sauve ce trésor, mais elle ouvre les voies à l'étude de la nature et des sciences. Un grand nombre de savants viennent des régions asiatiques où se conservaient de brillants restes du savoir des anciens; leurs frères d'Espagne gardent ce flambeau en établissant les mémorables écoles de l'Andalousie, sources et modèles peut-être de nos Universités d'aujourd'hui. Les Juifs, cette race proscrite alors, servaient de lien, de voie de communication du savoir. Ayant toutes les contrées pour patrie, n'appartenant spécialement à aucune, les Juifs s'adonnèrent particulièrement à l'étude de la médecine, tandis que d'autres se distinguèrent dans les sciences et les lettres. Ils établirent des académies célèbres, et l'Espagne profita le plus des bienfaits qui en résultèrent, parce qu'ils vouèrent leurs fils à l'étude de la médecine et que ceux-ci firent dans cette science de rapides progrès et acquirent une grande célébrité.

L'Espagne arriva bientôt à l'apogée de sa splendeur : ses universités se trouvaient au niveau des plus renommées de l'Europe, ses armées étaient victorieuses partout et nulle nation ne la surpassait en savoir et en culture.

Arrivée à ce point, l'intolérance religieuse la fit déchoir. Son axiome était : « Il n'y a pas d'autre science que la théologie ; l'entendement humain doit se soumettre à elle seule et il est absurde de vouloir chercher la Vérité hors de son cercle infranchissable. >>

Huit siècles de guerres et de désastres furent employés à combattre les ennemis de la foi catholique; l'expulsion des Juifs et des Maures priva l'Espagne d'une population active et intelligente; les guerres, l'émigration au Nouveau-Monde et les couvents absorbèrent le reste de la jeunesse active.

Les richesses d'Amérique enfantèrent la paresse, et l'industrie et le commerce ayant été abandonnés, les sciences eurent le même sort. Puis l'Inquisition, plus que toutes ces causes réunies, pesa sur la conscience publique de ce malheureux pays, en hâta la décadence et en acheva la chute.

Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, cette décadence arriva à son plus haut degré. « Nous arrivâmes à la paralysation la plus complète, dit l'auteur, à l'état d'être comparés à

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