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souvent qu'il le fait contre l'ingratitude de ses concitoyens (louable ingratitude!): c'est là son thème favori, il y revient à chaque page. Il est juste de dire qu'il se croyait de bonne foi le « prince des poëtes belgiens. » Il eut cela de commun avec Ronsard; comme ce dernier aussi il fut érudit en même temps que poëte, tous deux exercèrent une influence salutaire sur les lettres de leur pays; tous deux survécurent à leur gloire. Mais ici s'arrête le parallèle. Ronsard fut un homme de génie et sut se placer à la tête d'une école fameuse, tandis que Van der Noot n'est qu'un versificateur habile, rompu à tous les artifices du langage: son style est pur, qualité rare au XVIe siècle; sa versification est coulante et variée; mais il lui manque cette originalité, cet esprit d'initiative qui fait les véritables poëtes : même dans ses meilleures pièces il est imitateur, souvent servile, de Ronsard et des anciens.

Une dernière circonstance qu'il ne faut pas oublier, c'est qu'il maniait assez habilement la langue française, et qu'il a traduit lui-même ses œuvres en vers français.

A. W.

L'ÉGLISE ET LES LIBERTÉS BELGES,

PAR LOUIS HYMANS,

in-18 de 282 pages, Bruxelles, Guyot.

Ce livre est en quelque sorte l'histoire des oppressions que la Belgique a subies. M. Hymans fait voir que le clergé est l'auteur ou l'instigateur de toutes les tyrannies, et qu'il s'associe en outre à celles qu'il n'a point provoquées. Si, par hasard, on le voit s'unir au peuple revendiquant ses libertés, on peut être sûr qu'il a quelque grave sujet de plainte contre le despote qu'il combat. C'est ainsi qu'il défend la cause populaire contre Philippe le Bon, parce que ce prince avait restreint en partie les droits des monastères. C'est ainsi qu'il est hostile à Charles le Téméraire qui avait frappé d'impôts les couvents. Une fois

même le clergé soulève le pays et se met à la tête de la révolte : les réformes tentées par Joseph II et l'humiliation des prêtres avaient fait de l'insurrection un devoir, et le clergé fomenta la révolution brabançonne.

Ainsi le catholicisme et la liberté ont toujours été opposés, et l'esprit de nos institutions ne nous vient que des Germains, nos premiers pères, comme l'a si bien prouvé M. Gérard. Quant aux libertés constitutionnelles, elles sont d'origine toute moderne. Le clergé catholique, dit M. Hymans, ne veut de liberté que pour lui-même; il réclame la liberté de l'enseignement en faveur de l'université de Louvain, mais il attaque de toutes ses forces l'octroi des subsides à l'université de Bruxelles.

<< Partisan du pouvoir tant que le trône défend l'autel, il s'insurge dès qu'un souverain libéral place le bien des masses au-dessus des intérêts des églises et des monastères. Allié de l'étranger contre les communes, bourreau sous Philippe II, révolutionnaire en 1788, toutes les armes lui sont bonnes, la hache, l'épée, le poignard, la plume, la parole, toutes, excepté une seule, la tolérance. >>

Sous la forme du pamphlet, M. Hymans a fait presque de l'histoire. Il a renfermé dans un espace relativement restreint une quantité de faits; il a passé en revue la plupart de ceux qui importaient à sa thèse. Chemin faisant, il montre ce que l'on doit penser de quelques-uns des hommes illustres de notre pays, et il ne craint pas de s'attaquer à nos plus grandes gloires nationales. Il n'épargne ni Godefroi de Bouillon, ni d'Egmont, ni Juste-Lipse, ni de Lannoi, ni surtout Charles-Quint...

« Si les Flamands connaissaient leur histoire, ils renieraient ce fils dénaturé; les chanoines de Saint-Bavon seuls proclameraient sa gloire, en se rappelant que les deux tiers du produit de la vente des biens confisqués fut donné à leurs prédéces

ceurs. >>

Artevelde, Marnix, Vésale, Agneessens, voilà quels sont nos véritables grands hommes.

Notons à ce propos que M. Hymans se montre d'une singulière partialité en faveur de Marie-Thérèse. Il cherche à expliquer comment, bien que libérale, elle a eu l'appui du clergé,

et c'est là plutôt agir en courtisan adroit qu'en historien consciencieux.

Avant de dépeindre et d'expliquer l'action du clergé catholique en Belgique, M. Hymans a tracé une histoire abrégée de l'Église romaine. Le chapitre II y est consacré, et ce chapitre, emprunté en partie à M. Macaulay, est extrêmement remarquable. Il serait impossible de présenter en moins de pages. un tableau aussi complet, aussi saisissant. L'ampleur des vues, la force des réflexions, l'éclat des images, tout y subjugue l'attention du lecteur.

Si le reste du livre se soutenait à cette hauteur, nous n'aurions qu'à admirer, et la Belgique compterait un bon historien de plus. Malheureusement M. Hymans possède une facilité extrême à laquelle il a le tort de trop se fier. On dirait qu'il s'est mis à écrire, sans avoir fait de plan, sans même avoir rassemblé tous ses matériaux. Aussi le livre est-il en quelque sorte improvisé, et c'est loin d'être un mérite pour un ouvrage d'histoire, où l'abondance et la verve ne peuvent dissimuler complétement le peu de profondeur de l'idée.

E. V. B.

TWEE GODDELOOZEN,

VERHAEL DOOR JAN DE VRY,

in-18 de 80 pages. Bruxelles, H. Samuel.

« Deux impies, » tel est le titre d'un simple récit qui a pour héros un ouvrier et une ouvrière, aux sentiments à la fois naïfs et élevés; pour scène, une de ces petites villes de la Flandre, où la cagoterie domine, et pour but, pour pensée, l'émancipation religieuse de l'homme du peuple, du travailleur.

L'apparition de ce petit ouvrage dans la littérature flamande ne peut manquer d'attirer l'attention, tant par sa forme littéraire, qui est l'une des plus parfaites pour une œuvre de ce genre, que par ses tendances qui sont franchement rénovatrices. On y voit un ouvrier menuisier, Arie, et une dentellière,

Anna, sa future, braver ensemble les préjugés et les superstitions du catholicisme, les répudier, lutter courageusement contre les difficultés qui leur sont suscitées par les dévots et les intrigants des sociétés de Saint Jean-François Regis et de Saint Vincent de Paule, et finir par se marier sans l'intervention du clergé, en ne reconnaissant que la suprématie de la loi civile.

Jusqu'ici, tous les écrits flamands, à l'exception de quelques chansons, épigrammes et brochures, avaient une teinte quelque peu catholique : le vieux culte romain y était, sinon respecté, du moins ménagé. Les écrivains flamands ne craignaient pas ses foudres, mais ses manoeuvres souterraines, encore plus funestes pour la littérature renaissante que pour eux-mêmes, et ils traitaient leur ennemi en allié. Le vieil hypocrite qui, de son côté, voyait le profit qu'il en pouvait tirer, acceptait la condition qu'on lui faisait; et il avait eu depuis maintes fois l'occasion de s'en féliciter. C'est cette alliance monstrueuse, du reste toute fortuite et sans consistance, qui a fait accuser le mouvement flamand, encore trop faible pour pouvoir éviter les étreintes de son mauvais génie, d'être catholique et rétrograde. Espérons que bientôt quelque historien fidèle de notre littérature nationale saura le relever de cette accusation, car il fut toujours et ne saurait être que démocratique, ayant pour mission de réveiller un peuple qui dort du lourd sommeil de l'ignorance.

Aujourd'hui le spectre catholique vient de recevoir une rude atteinte Jan de Vry, non-seulement ne le craint ni ne le ménage plus, mais le bafoue dans une satire mordante, d'autant plus cruelle qu'elle est calquée sur la société actuelle, et qu'elle nous retrace des épisodes de notre vie de chaque jour. On sent percer l'ironie dans ce style et la colère sourde de l'homme aux profondes convictions qui voit les progrès du mal et ne trouve nul remède assez efficace pour le combattre. Il y a dans ce récit des passages émouvants où une larme involontaire vient mouiller notre œil, d'autres où l'indignation nous saisit contre tous ces dévots, soi-disant charitables et propagateurs de la foi, d'autres encore où l'on plaint les infortunées victimes

de l'intrigue et de la calomnie. Après avoir passé par toutes ces impressions, tristes ou pénibles, on se retrouve dans l'Amérique du Nord, sur cette terre de liberté, où nos deux impies, riches d'une petite famille de trois enfants, ont su, grâce à leur activité et à leur courage, conquérir l'aisance, le bonheur et un refuge contre les erreurs et les superstitions de leur vieille patrie, la Flandre.

Disons, pour terminer, que Jan de Vry a rendu un immense service à la littérature flamande et au progrès des idées, et que les hommes de cœur regretteront sincèrement qu'il ne puisse continuer son œuvre d'émancipation. Hélas! il n'est plus. Nous ne pouvons malheureusement divulguer ici le nom véritable de cet écrivain bien cher aux Flamands, mais sa mémoire, que ses adversaires ne savent pas respecter, sera dignement vengée par ses Twee Goddeloozen.

J.-B. L.

LE CAMÉLÉON,

PAR ÉMILE LECLERCQ,

in-18. Bruxelles, Aug. Schnée.

Il y a des personnes qui n'ouvrent un roman que dans l'espoir d'y rencontrer des aventures extraordinaires ou piquantes, des péripéties inattendues et une intrigue bien entortillée ne laissant jamais deviner le dénouement, lequel n'est que le mot de l'énigme. Quant à la peinture des mœurs ou des caractères, quant au développement d'une idée morale, d'une idée vraie, quant à ce qui s'appelle l'art, c'est aux yeux de ces personnes un simple accessoire, ou, pour mieux dire, l'art ne consiste, pour elles, que dans la façon de mener l'intrigue, et l'idée morale n'est que dans la punition ou la conversion du coupable. A ce compte, le roman de M. Émile Leclercq n'aurait que fort peu de mérite, puisque l'intrigue si toutefois c'en est une, n'offre ni commencement ni fin bien déterminés, et que héros reste ce qu'il était, sans aucun changement dans sa vie

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