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Laisse un pédant, d'une ardeur peu commune, User ses yeux sur un vieux parchemin.

Plus d'un savant, pour terminer sa course,
A de l'hospice emprunté les grabats;

Il te suffit du jargon de la Bourse;
Devant ton or on mettra chapeau bas.

Quand d'avoir femme il te viendra l'envie, Choisis-la bien, tiens la bride à ton cœur ; Prends la raison pour guide de ta vie :

Que la beauté trouve en l'or son vainqueur.
Si tes vingt ans font que ton sang pétille,
En attendant légitimes appas,

D'un pauvre diable il faut louer la fille;
Devant ton or on mettra chapeau bas.

De quelques gens l'oreille bénévole
En eux entend des voix se révéler :
Leur conscience a le don de parole,
Mais à la tienne interdis de parler.

Qui vend ses bras t'appartient, et pour cause.
De son salaire avec droit tu rabats.
Un ouvrier vit de si peu de chose!..
Devant ton or on mettra chapeau bas.

Ta liberté te soit toujours sacrée ;
Qui suit son cœur nuit à ses intérêts.
Déjà peut-être une âme désœuvrée
De l'amitié t'a vanté les attraits.
Ris des liens qu'un malade se forge:
Dois-tu tirer profit de leur trépas,
A tes amis tu peux couper la gorge;
Devant ton or on mettra chapeau bas.

Mais vis toujours en paix avec le code : Sans l'entamer, marche juste à côté. De t'agrandir c'est la bonne méthode, Pour homme intègre il faut être cité. Partout alors en pâture on te jette, Titres, honneurs, rubans, cordons, crachats; Le roi lui-même en grand prince te traite; Devant ton or on mettra chapeau bas.

Enfin, mon fils, chaque chose a son terme, Il faut partir telle est la loi du sort.

Ris, chante et mange, aime, joue et bois ferme,
Le vin guérit de la peur de la mort.

Va, ne crains point que le diable t'emporte;
Que de ta main tombent quelques ducats,
Du paradis on t'ouvrira la porte;

Devant ton or Dieu mettra chapeau bas.

JOSEPH DELBOEUF.

LE METAYER.

Le monde est aux plus fins; le ciel est aux plus dignes
PETIT-SENN.

Dors, pauvre paysan; dors dans ta solitude...
Garde ton lourd sommeil, ta profonde torpeur.
Si tu te réveillais, la douce quiétude

S'enfuirait de ton cœur,

Ne laisse pas troubler ton séjour d'innocence;
Établir un rempart autour des vieux hameaux.
Que ta vie ici-bas soit une longue enfance,
Pour que ton âme reste à l'abri de nos maux.

Rien ne vaut ce ciel bleu qui domine la plaine,
Cette fraîcheur des bois et ce parfum des champs.
Reste loin des cités, qu'empoisonne l'haleine
Des sots et des méchants.

Ton élément à toi, c'est la terre féconde,
La terre qui promet ses fruits à tes efforts;
L'inépuisable sol qui, pour nourrir le monde,
Comme un fleuve éternel lui verse ses trésors.

Dieu sait de quel amour tu l'aimes, cette terre
Dont les flancs généreux s'entr'ouvrent si souvent,
Pour te récompenser de ton travail austère,
De ton espoir fervent!

C'est avec tant d'ardeur que ton regard épie
Le printemps plein de séve et son joyeux soleil !
Du germe déposé dans la terre assoupie,
N'es-tu pas le premier à guetter le réveil?

La terre t'aime aussi : c'est une fiancée
Qui ne peut un seul jour se passer de te voir...
Le sol boit tes sueurs en buvant la rosée

Du matin et du soir.

Ah! s'il était à toi, ce champ, ce coin de terre,
Pour mieux l'aimer encor, tu grandirais ton cœur!
Mais, pauvre métayer, tu n'es qu'un prolétaire,
Un serf qui se doit tout à son riche seigneur.

Tu ne dois posséder ici-bas que la vie !

(Ce bien même on pouvait te le prendre autrefois.) Aussi, ton existence, à ton maître asservie, Subit de tristes lois.

Quand tu creuses le sol, et que dans ses entrailles
Tu déposes, tremblant, ce germe précieux
Qui doit, si Dieu bénit tes pieuses semailles,
En beaux épis dorés se changer à tes yeux;

Quand sous l'ardent soleil qui dévore l'espace,
Qui brunit ton visage au feu de ses rayons,
Tu fauches ces épis, ne laissant que la trace
Des pénibles sillons;

Tu sais où vont aller ces moissons si brillantes,
Et quelle portion du dois en recevoir :

Laisser le froment pur aux tables opulentes,

Pour tes fils et pour toi, conserver le pain noir!...

Quand la culture a fait ton éternelle étude,
Quand ton enclos fleurit sous tes yeux enchantés,
Et que ta main recueille avec sollicitude

Ces beaux fruits veloutés ;

Tu sais où vont ces fruits: le château les réclame;
Tu n'y toucheras pas; le marché les attend.
Ton œil les suit de loin... ils emportent ton âme :
Ils paîront ton enclos... tu dois être content!

Lorsqu'au milieu des prés, dans le gras pâturage,
Bondissent ces agneaux à la blonde toison,
Ces bœufs et ces taureaux au reluisant pelage,
Qui rongent le gazon,

Tu sais qu'ils rejoindront et la blanche génisse
Et la vache si douce avec son grand œil noir...
Toi-même, tu devras le conduire au supplice,
Ce bétail engraissé pour le sombre abattoir.

La boucherie attend la troupe mugissante;
Ton maître a besoin d'or; il faut subir sa loi...
Chacun donc va goûter cette chair nourrissante...
Chacun... excepté toi!

Le terrain caillouteux s'est fait jardin superbe;

La plaine aride et nue étale sa moisson :

Tu créas, avec Dieu, le chêne et le brin d'herbe :

Et tu manques de pain peut-être en ta maison!

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