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plus ou moins générale, en omettant toute discussion, tout examen approfondi.

La peinture religieuse, ou ce qu'on appelle encore de ce nom, semble définitivement tombée fort au-dessous de tous les autres genres. Parmi les vingt-cinq ou trente toiles qui appartiennent encore à cette catégorie, nous ne pouvons guère citer que la Vierge et l'enfant Jésus, de M. Guffens, qui rappelle avec un bonheur assez rare les traditions de l'art chrétien, et la Vierge des affligés, de M. J. Pauwels, dont la composition est heureuse et qui se recommande par une peinture sage, par un style ferme sans exagération. Ce dernier artiste semble tenir ce qu'il promettait à l'exposition précédente par son Invention de la vraie croix. Que ne pouvons-nous en dire autant de M. Pécher, qui ne nous a envoyé cette fois que l'ébauche grossière d'un Martyre de saint Sébastien, ébauche dans laquelle il est bien difficile de retrouver les premières qualités de l'auteur.

L'art ne vit que de transformations, et c'est précisément le respect ou plutôt le culte de la tradition qui fait obstacle au progrès de la peinture dite religieuse. Cette transformation a été tentée cependant, il y a trois ans, par M. Alexandre Thomas, et un succès éclatant est venu couronner ses efforts. Il était, certes, difficile de se soutenir à cette hauteur, et il fallait même un bien grand courage pour oser traiter un sujet analogue sur une toile de dimensions semblables, pour oser, en un mot, entreprendre de faire un pendant au premier tableau. Ce courage seul devrait suffire pour rendre la critique bienveillante, et c'est le contraire qui est arrivé. Sans doute, le Barabbas au pied du Calvaire n'offre pas de qualités aussi saillantes, aussi saisissantes que le Judas errant pendant la nuit de la condamnation du Christ, mais, en revanche, l'exagération, la recherche de l'effet

ont presque complétement disparu. Si l'exécution du Barabbas laisse à désirer en beaucoup de points, il est juste de reconnaître qu'il se trouve à côté de ces taches des beautés de premier ordre. Enfin le sujet, qui a malheureusement besoin d'un long commentaire, révèle néanmoins, lorsqu'on le compare au précédent, une inspiration plus philosophique, plus élevée, et en même temps plus touchante. Somme toute, le Barabbas au pied du Calvaire peut être considéré comme un bon tableau, et il dépasse d'ailleurs considérablement toutes les œuvres du même genre exposées cette année au Salon.

La bible a fourni à M. Ferdinand Pauwels deux compositions dans lesquelles nous nous plaisons à reconnaître de sérieuses qualités : Ristpa, femme de Saül, pleurant près des cadavres de ses enfants, et Débora jugeant les enfants d'Israël. Ce dernier tableau surtout se recommande à l'attention par la nouveauté du sujet, par l'harmonie de la mise en scène, par l'expression des divers personnages et par une couleur particulièrement chaude. La lumière seule paraît être le côté faible de ce jeune talent dans la première toile elle est fausse, dans la seconde elle fait défaut ou elle est mal distribuée. Mais il y a là de l'art antique, calme et sévère, fécondé par une imagination moderne, réellement créatrice. Nous croyons pouvoir prédire à M. Ferdinand Pauwels un bel avenir, lorsqu'il se sera débarrassé de certains préjugés d'école qui arrêtent visiblement l'essor de son originalité.

La peinture historique est plus pauvre encore, numériquement, que la peinture religieuse; deux toiles seulement, de petite dimension, méritent d'être distinguées d'une façon spéciale: la Défense d'un défilé en Bohême, pendant la guerre des Hussites, au xve siècle, par M. Cermak, et les Habitants de Brescia accueillant les Milanais

après la destruction de leur ville, en 1162, par M. Dell' Acqua.

Il existe des peintres qui s'imaginent que pour faire des tableaux d'histoire il ne faut pas d'idées, et que tout consiste à bien grouper les personnages et à connaître les costumes du temps. Les deux tableaux que nous venons de citer donnent un éclatant démenti à ce sophisme absurde, car il est évident que ce qui frappe, ce qui attire, ce qu'on aime dans ces tableaux, c'est surtout l'idée, avec l'émotion ou l'enseignement qui en est la conséquence. Un élan d'indépendance d'une part, un acte d'humanité de l'autre, voilà le fond de la pensée, que l'on aperçoit tout d'abord et qui donne à l'œuvre son véritable intérêt.

Sans trop exagérer la valeur du tableau de M. Dell' Acqua, on peut dire que l'harmonie de la composition et le charme des détails y dénotent à la fois une imagination vive et une grande expérience de l'art. Les accessoires sont en outre traités avec un soin d'autant plus digne d'éloges, qu'il devient plus rare de jour en jour. La Tête de moine du même peintre est une étude d'un caractère et d'une vigueur extrêmement remarquable, et elle suffirait à elle seule pour faire la réputation d'un artiste.

M. Cermak révèle dans sa Défense d'un défilé en Bohême une force de conception, une hardiesse de style, auxquelles nuisent cependant le manque de relief et la couleur terne de l'ensemble. Les deux guerriers du premier plan ont un air de résolution, d'audace et de fierté qui contraste heureusement avec le calme d'un troisième personnage, et surtout avec la physionomie inquiète des deux femmes qui passent dans le lointain. M. Cermak s'est montré meilleur coloriste et non moins penseur dans son Cimetière des juifs à Prague au

XVIIe siècle. Ici encore, c'est l'idée qui domine et qui imprime à l'œuvre un cachet d'art. Cette composition. pleine de vie et de lumière, de grâce et de fraîcheur, encadrée pour ainsi dire dans ces tombes et ces symboles funèbres, provoque d'elle-même, invinciblement, la haine de l'intolérance religieuse. Nous avons à peine le courage de remarquer que le dessin de quelquesunes des figures n'est pas rigoureusement correct, et, tout entier aux douloureuses réflexions que vient exciter l'aspect de l'enfant apprenant à marcher sur la tombe de ses ancêtres, nous voyons cet enfant plus beau que ne l'a fait le pinceau de l'artiste.

La vaste toile de M. Dobbelaere, représentant le Cadavre de Charles le Téméraire retrouvé le lendemain de la bataille de Nancy, a d'épouvantables défauts de composition, de couleur, de dessin, de perspective; le sujet lui-même est atroce; et, néanmoins, nous croyons démêler dans cette peinture de remarquables intentions et le germe d'un grand talent. M. Dobbelaere est fort jeune; son œuvre montre toute la fougue, toute la témérité, toute la maladresse de la véritable originalité encore privée des leçons du goût et de l'expérience, encore privée d'étude et de méditation. Nous n'hésitons pas à prédire à M. Dobbelaere une brillante carrière, et cette prédiction n'a d'ailleurs rien de merveilleux en présence de l'autre toile du même auteur: Hemling peignant la châsse de sainte Ursule à l'hôpital de Bruges. Ici les couleurs ne choquent plus, les expressions sont parfaitement rendues, la pose du personnage principal est des plus heureuses, et l'inexpérience ne se montre réellement que dans le groupe des nonnes, massé et entassé pour ainsi dire dans un espace beaucoup trop restreint.

Nous nous abstiendrons complétement de parler des

artistes qui, ayant une réputation faite, n'ont point soutenu cette réputation ou l'ont même gravement compromise par leurs derniers travaux. Assez d'autres critiques se sont chargés à leur égard de la tâche de justicier, avec une sévérité plus ou moins légitime i nous répugnerait, on le conçoit, de jouer le rôle d'un de ces animaux de la fable, qui vinrent attaquer le lion devenu infirme.

L'allégorie compte, au Salon de 1857, une œuvre importante et d'un genre nouveau : Volupté et dévouement, par M. Van Lerius. Les attaques dont ce tableau a été l'objet ne prouvent, à nos yeux, que l'originalité dont l'artiste a fait preuve, sinon dans l'idée du moins dans la traduction picturale de cette idée. Pour nous, nous n'avons à blâmer l'auteur que d'avoir représenté, dans la première barque, le dévouement par des moines, et surtout par quatre moines occupés d'un seul malade : ce qui diminue beaucoup la tâche et par suite le dévouement de chacun d'eux. Mais comme ces moines sont habilement présentés! comme leur maintien est simple et austère! comme ils semblent absorbés dans leur œuvre! Nous comprendrions ces moines-là, s'il était possible d'en trouver autre part que dans le tableau de M. Van Lerius.

Quant à la seconde barque, allant à la dérive et entraînée un instant dans le sillage de celle qui remonte péniblement le fleuve, elle nous offre des groupes ravissants de grâce, d'abandon, de folle ivresse et de volupté. Le contraste de cette joie bruyante et de la morne solennité qui règne dans la première scène, est des plus émouvants. Il y a là tout un poëme, rendu avec bonheur, avec talent, et c'est ainsi que nous aimons l'allégorie, parfaitement saisissable à la première vue, sans intervention de personnages mythologiques

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