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Notre siècle a dominé puissamment le globe: Le lac de Harlem desséché, un pont-tube jeté sur un bras de mer; le viaduc de Venise, la navigation à vapeur, les chemins de fer, les télégraphes électriques, les télégraphes sous-marins, les tunnels perçant les montagnes : le tableau est grand; mais si l'on considère ce qui semble possible à notre siècle : le reboisement d'après un plan général pour améliorer les saisons, prévenir les inondations ou fournir d'eau toutes les cultures; les irrigations, les défrichements, les colonisations pour parer à la cherté des blés; les moyens météorologiques ou physiques de conjurer la grêle et la foudre qui font tant de ravages; l'amélioration de la race humaine; l'hygiène des aliments; le croisement et la pacification des races, et par-dessus tout la répartition des bienfaits nouveaux de l'industrie et de la science à toutes les classes; -on se demande quel intérêt supérieur, quelles préoccupations majeures peuvent empêcher de mettre la main à l'oeuvre. Cet intérêt, c'est de savoir si Bonaparte continuera à remplacer d'Orléans ou la République, si la Chine achètera de l'opium aux Anglais, si le Czar prendra Constantinople. Ces occupations sont le massacre, l'incendie, le vol à main armée au dehors pour aguerrir de bons prétoriens contre le peuple, ou pour des questions de prépondérance entre souverains; c'est l'oppression et le charlatanisme au dedans pour que des privilégiés continuent à vivre, dans le vice et les orgies, des sueurs du peuple. Lorsqu'on imagine tout ce qu'empêche de travaux et de progrès cette comédie sanglante ou ridicule qu'on nomme la politique des rois, on ne peut comprendre que le bon sens des nations ne souffle pas sur cette fantasmagorie odieuse et ne déblaye pas la civilisation de toutes ses entraves!

Ah! si le peuple savait! Mais que laisse-t-on apprendre au peuple? Quand la grêle ravage ses moissons, quand le pain manque ou que le choléra fait rage, des hommes qui parlent au nom de Dieu, lui disent que c'est la faute à Voltaire et aux hommes de progrès; on le rassure avec des processions qui attirent sur lui les grâces du ciel en épaississant son ignorance. Puisse arriver bientôt l'heure où le peuple devenu ma jeur saura!

La langue française, plus que toute autre peut-être, dès qu'elle devient scientifique, cesse d'être à la portée de tous. Le livre de M. Houzeau ne pouvait échapper à cet inconvénient. Mais notre jeune savant, esprit éminemment démocratique, comprend assez la nécessité de faire participer tous les hommes aux travaux intellectuels de l'époque, pour suivre un usage qui se répand en Allemagne. Ainsi Moleschott a publié depuis 1850 des ouvrages scientifiques importants : chacun d'eux a été suivi d'un résumé fait pour vulgariser dans les masses la science du livre. L'Histoire du sol de l'Europe ne laisse rien à désirer; mais elle fait désirer un résumé pareil. Utilité générale, enseignement du peuple, n'est-ce pas la devise de la science moderne?

L'étude du sol de l'Europe, ainsi que la carte qui l'accompagne, faite avec un grand soin, est une véritable création; on peut juger de ses difficultés si l'on songe que ce qu'on appelle le niveau de la mer, point qui sert de départ aux mesures de la hauteur des montagnes et de la profondeur des océans, est différent chez divers peuples; que tous les travaux des officiers du génie anglais reposent sur un zéro correspondant à une marée basse dont on n'a pas fixé la trace, et que la petite Belgique a voulu .avoir son point de nivellement et a pris aussi une marée basse à Ostende, sans qu'on se soit donné la peine de faire correspondre ce point artificiel avec un des chiffres de l'échelle de pilotage. M. Houzeau, pour fixer les hauteurs du sol, a réuni et classé plus de 1,200 cotes barométriques. <«<< Si nous pouvions, dit-il lui-même, mettre sous les yeux du lecteur la masse des documents que nous avons dépouillés, on se ferait une idée du désordre orographique dans lequel les matériaux sont presque toujours publiés. Que l'on prenne seulement pour exemple le principal document officiel concernant le relief de notre pays : Rapport décennal sur la situation de la Belgique, 1841 à 1850, chap. 1er. En présence d'un arrangement si peu systématique dans les données, on se sentira sans doute disposé à excuser les inadvertances qui peuvent rester encore dans notre travail.

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La carte d'Europe est faite d'après une méthode nouvelle.

Cette méthode consiste à indiquer le relief du sol par des lignes qui figurent les côtes successives qui resteraient aux continents si la mer montait toujours. M. Houzeau trace ces lignes de côtes de 200 en 200 mètres de niveau; il avait fait sa carte à la reduction d'un millionième, de sorte qu'un kilomètre⚫y fût représenté par un millimètre; il a dû la réduire encore au cinquième par le procédé du pantographe; il a de plus coloré sa carte de teintes diverses selon les hauteurs de la sorte les lignes et les couleurs montrent aux yeux le relief des terrains et les directions des grandes arêtes de l'Europe, pendant que le récit animé nous en montre la formation, nous en peint l'aspect et nous en fait quelquefois l'histoire.

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M. Houzeau a déjà publié dans le même ordre d'idées une Géographie de la Belgique; il est en ce moment en route pour l'Amérique, où il recueillera sans doute les matériaux néces-saires pour étendre son étude au Nouveau-Monde. Qu'il soit suivi des vœux de tous les Belges qui aiment leur pays! M. Houzeau a une science profonde, des vues larges, une analyse sûre, une synthèse élevée, un génie créateur : il pourra · donner un nouveau Humbold, un Humbold belge, à la science.. Mais il a l'esprit libre et le cœur démocratique; tandis que tant de nullités font des voyages aussi stériles qu'agréables aux frais de l'État, notre jeune savant s'expose à ses frais au long passage d'un navire à voiles. Puisse-t-il être bien accueilli dans une terre libre ! Mais espérons qu'il n'y oubliera pas sa patrie qui heureusement a, pour la représenter auprès de son esprit et de son cœur, d'autres hommes que des ministres prêts à destituer tout ce qui n'est pas servile. C'est en illustrant leur pays par des œuvres immortelles que les grands esprits se vengent des petitesses de la politique d'un jour!

CH. POTVIN.

LE SALON DE 1857

A BRUXELLES.

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L'abstention de plusieurs de nos bons artistes, MM. Simonis, Joseph Geefs, Wappers, De Keyser, Wiertz, Gallait, Verboeckoven, Leys, Navez, Bossuet, Slingeneyer, etc., et le peu d'œuvres vraiment remarquables en ce qu'on est convenu d'appeler la grande peinture, donnent à l'exposition de 1857 une physionomie singulière, fort difficile à apprécier dans son ensemble.

Nous avons expliqué, il y a trois ans, dans cette même Revue, les tendances actuelles de la peinture et de l'art en général : nous nous refusions à voir une décadence dans la prédominance du paysage et du tableau de genre, et dans l'espèce d'individualisme qui se révèle de plus en plus parmi les artistes, du moins dans notre pays. Nous faisions observer que l'art, en se répandant davantage, en dehors des écoles et des systèmes, se prépare des destinées plus brillantes que lorsqu'il était le domaine exclusif de quelques esprits

supérieurs, et, tout en considérant notre époque comme une époque de crise, nous y constations un progrès réel, déjà parfaitement appréciable.

Le progrès se manifeste, quoi qu'on en ait dit, d'une manière plus évidente encore au Salon de 1857. Ce que nous reprocherons à la plupart des artistes, ce n'est pas le manque d'originalité, mais le manque d'études, de méditation nécessaires pour guider cette originalité et la rendre féconde. On dirait que faire bien est une affaire d'inspiration, c'est-à-dire de hasard; mais au moins cherche-t-on à y parvenir, et, parmi ces tâtonnements, ces essais, il y a des efforts louables qui méritent tous nos encouragements, toutes nos sympathies.

La critique se montre beaucoup trop sévère, beaucoup trop exigeante sous ce rapport; elle ne tient pas assez compte des difficultés toutes nouvelles que font naître et la disparition des écoles, et l'obligation où se trouve l'artiste de se frayer lui-même une route favorable à ses idées. Sans être d'un optimisme exagéré, d'une indulgence ridicule, elle pourrait mettre plus d'empressement à signaler les qualités d'une œuvre, surtout lorsque ces qualités sont le fruit d'un travail consciencieux et réfléchi. Parmi les défauts mêmes, il faudrait distinguer ceux qui accompagnent d'ordinaire toute tentative un peu neuve, un peu hardie, et ceux qu'engendrent le parti pris, le charlatanisme ou la prétention : ces derniers seuls ne méritent aucun ménagement, tandis que les premiers doivent, dans la plupart des cas, trouver grâce devant la critique.

Tel est le point de vue où nous aimons à nous placer. Toutefois, le peu d'étendue qu'il nous est permis de donner à ce compte rendu nous obligera non-seulement à faire un choix plus rigoureux que nous ne l'aurions voulu, mais à formuler nos appréciations d'une façon

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