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chaux s'y mélange. — Il faut ajouter les terrains schisteux, sillonnés de ravins, de torrents, de flaques d'eau qui séparent des collines bombées, au dos uni et dépouillé; d'une culture ingrate et d'une végétation maigre. Tels sont les divers aspects de la terre, auxquels les riches plaines, les hautes montagnes, les glaciers, les fleuves et les mers ajoutent leur grandeur ou leur beauté, leur majesté gigantesque ou leur gracieux sourire, sous la splendeur de l'atmosphère d'azur et des astres d'or.

Les sédiments ayant été déposés horizontalement et parallèlement, quand on les trouve dans une position différente, on doit conclure à un dérangement étranger à ce travail des eaux ; c'est ainsi qu'on retrouve les soulèvements successifs, et qu'on a pu déterminer leur âge et fixer leur chronologie.

Déjà l'on peut voir s'il s'agit d'une CRÉATION instantanée qui aurait duré six jours ou six semaines d'années. Ces couches qui ont jusqu'à plusieurs cents mètres d'épaisseur et qui en certains lieux se sont superposées successivement jusqu'à vingt fois, peuvent donner une idée de la durée de ce travail. Un autre ordre de phénomènes vient attester la majestueuse lenteur d'une œuvre durable.

L'eau est le grand foyer de la vie. Pendant le travail géologique, la vie avait paru, la vie animale et végétale. Or, si les couches d'abord ne conservent guère de restes d'animaux ou de végétaux; bientôt elles sont chargées de la dépouille des races mortes, qu'elles ont portées et dont elles ont été la tombe. Plus de 25,000 espèces de fossiles, animaux ou plantes, ont été étudiées jusqu'ici. Or, ces générations entassées n'ont pas vécu toutes ensemble; les couches diverses nous en montrent la chronologie; on y voit les races naître, former des générations immenses qui remplissent leur tombe de cet entassement de débris, puis disparaître ou se transformer, remplacées par d'autres races. Les premiers venus sont des poissons et des algues, puis règnent les reptiles, les lézards amphibies, et les végétaux gymnospermes; puis les mammifères, les oiseaux, et les hautes fougères; puis les pachydermes et les ruminants dans les forêts naissantes; enfin l'homme.

Pendant ce temps de nouvelles éruptions de lave engloutis

saient animaux et végétaux dont on retrouve l'empreinte dans les boues, les scories, le sédiments qu'elles ont soulevés; les forêts trop lourdes pour l'écorce de la terre s'effondraient et formaient d'immenses tourbières qui devinrent les houilles, où l'on retrouve les mêmes empreintes.

Que de siècles n'a-t-il pas fallu pour que tant de générations, dans tous les règnes de la nature, pussent naître, se développer, décroître, disparaître, se transformer et se substituer progressivement les unes aux autres !

Les dates de ces époques géologiques ne sont pas connues, mais on peut en apprécier l'immense durée et fixer l'ordre chronologique de chacune d'elles par rapport aux autres. En combinant l'étude des sédiments, des plissements ou des éruptions qui les ont dérangés, et des fossiles qu'ils contiennent, on suit les continents au fur et à mesure qu'ils surgissent.

Ainsi les sciences refont l'histoire du globe; à des époques où aucun être assez intelligent n'assistait à ce grand spectacle pour en transmettre le souvenir, la nature en gardait des tra ces muettes, des témoins nombreux, que l'esprit humain évoque et fait parler plus sûrement que les prophètes et les livres saints.

M. Houzeau déroule à nos yeux ce magnifique tableau, en y mêlant des idées élevées et des données utiles; dans son récit animé, on voit l'Europe surgir lentement des eaux et, quand l'auteur nous a fait assister à la formation du monde par l'étude des lois qui y ont présidé, il s'arrête pour étudier dans tous ses détails et avec la même sûreté de science et de coupd'œil, contrée par contrée, zône par zône, les résultats de cette genèse en Europe.

C'est que l'auteur, aussi philosophe que géographe, homme pratique autant qu'esprit spéculatif, comprend l'utilité pour l'homme d'avoir une connaissance approfondie, exacte, raisonnée, de son domaine.

La nature n'a pas tout fait. Il y a un moment où on dirait qu'elle s'arrête dans son travail de formation, et remplace les bouleversements de sa genèse par la stabilité de la vie. Le sol étant préparé, la série des êtres ayant produit l'être intelligent,

la nature semble dire à l'homme à ton tour! j'ai fait mon œuvre, fais la tienne!

Or, l'œuvre de l'homme est subordonnée à l'œuvre de la nature, nous l'avons dit; chaque fois qu'il se met en opposition avec elle, il s'égare, il échoue, il succombe. Un de ses premiers soins doit être de connaitre sa grande associée.

Dès que les conditions de vie permettent à une race d'êtres de subsister sur le sol, elle y apparaît presque partout à la fois. L'homme est contemporain du mammouth et de l'ours des cavernes; comme pour le règne végétal et animal, on voit ses races se succéder en progressant. Partout où la géologie a trouvé des preuves, elles constatent que les races noires ont paru les premières; les cavernes des côtes de la Méditerrannée et de la Belgique, en conservant des fossiles humains d'une époque très-reculée, ont prouvé que la race nègre habitait alors nos contrées; après elle, la race jaune, dont les Chinois gardent le type, tient la scène. Quand la géologie ne fournit plus de renseignements, l'étude des langues nous rend la piste de ces peuples. Puis est venue la race blanche, conquérante et plus civilisée; les Celtes d'abord, puis la race gréco-romaine, ensuite les peuples germaniques, auxquels se heurtent et se mêlent les nouvelles invasions de la race jaune des Huns et des Madgyares, et les mouvements arabe, normand, slave.

La race noire a passé, anéantie en Europe par le bouleversement de la terre ou par des hordes conquérantes des autres races; la race jaune garde son type chez les rares Basques et chez les Hongrois et les Finnois. Les mouvements de la race blanche présentent bientôt un autre spectacle; ce n'est pas autant par destruction qu'elle procède. Les Celtes restent confondus aux Germains et aux Goths, les Normands et les Slaves mêlent leur sang au sang germanique; l'élément romain tient une grande place dans les peuples modernes et la race jaune elle-même s'est unie à la race européenne dans le beau peuple madgyar. Déjà l'association a commencé.

Car les races, comme les sols, ont besoin de s'associer. La prétendue unité de la race, née d'un seul couple, est, comme l'âge d'or l'avenir et le but de la société et non son commen

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cement. L'anthropophagie, la destruction des races entre elles, voilà les tristes débuts de l'humanité; la civilisation, l'union d'une société fraternelle, voilà l'idéal où tendent l'intelligence et le cœur de l'homme dans leurs progrès successifs.

Les races pures, autochtones, enfermées dans les bassins où elles sont nées, presque prisonnières entre les barrières de montagnes infranchies, s'épuisent, dégénèrent, comme les familles qui s'unissent toujours entre elles; voyagent-elles, elles ne peuvent s'habituer à d'autres climats, elle dépérissent encore sous un ciel nouveau. Le croisement, qui est l'association du sang, peut seul faire durer et progresser les races humaines en même temps que les acclimater partout. Les races mélangées, loin de périr, se transforment, unissent les aptitudes diverses et peuvent aspirer au cosmopolitisme; comme Socrate, elles ne sont pas seulement d'Athènes, mais du monde. La race grecque était mélangée, et la civilisation européenne est due à la fusion de divers éléments.

Aucune colonisation véritable n'est possible sans ce principe, le seul légitime, le seul qui établisse l'équité dans les rapports des hommes. Sans lui, la colonisation est l'exploitation, l'antagonisme des races, l'oppression de la colonie par la patriemère ou plutôt marâtre. Despotisme, iniquité, mépris, exploitation, esclavage-ou association, croisement, justice, fraternité, il n'y a pas de milieu. Si l'Angleterre, au lieu de maintenir dans les Indes une séparation méprisante et tyrannique entre les races colonisatrices et colonisées, avait formé un seul peuple . dans ce climat nouveau, en infusant le sang anglo-normand à ces races de feu, elle n'aurait pas à trembler en ce moment pour son commerce, presque pour son existence. Si l'Amérique, au lieu d'établir les mêmes distinctions impies, avait fondu les deux peuples, noirs et blancs, elle ne conserverait pas cette honte de l'esclavage dans des États républicains. Le même croisement peut seul désarmer les fièvres tropicales si mortelles aux races européennes.

Il est prouvé aujourd'hui que les premières races humaines ont paru simultanément partout où les conditions de la vie humaine étaient remplies; que diverses races se sont succédé et existent

R. T.

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encore. Il est prouvé en outre que l'humanité — qui doit s'unifier pour représenter, posséder et faire progresser le monde-ne peut atteindre à ces hautes destinées sans la fraternisation des races.

M. Houzeau rêve cette unité politique pour notre continent, et, cherchant le point central géographique et comme le centre de gravité des États-Unis d'Europe, il le trouve dans l'endroit où l'Italie, l'Allemagne et l'Illyrie viennent se joindre; car c'est là que les trois grandes races européennes latine, germanique et slave se touchent. Venise et Trieste sont le foyer de l'Europe, et si l'on pénètre par la pensée dans un avenir plus éloigné, si cette unité veut rayonner au dehors de notre partie du monde et tendre à l'unité du globe, le point d'intersection entre l'Occident et le Levant est Constantinople.

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La Méditerrannée baigne Venise et Constantinople, l'Italie et la Turquie; elle est donc un foyer de centralisation humaine. Hélas! c'est là aussi que la despotisme règne; le despotisme religieux y a son trône, et le despotisme politique y pèse de tout son poids. Il semble que ces beaux pays, aimés du soleil, destinés à une merveilleuse prospérité, centres du monde nouveau, portent ombrage aux grandes puissances, maîtresses de l'équilibre européen. Si l'Italie était prospère, comme son climat annonce qu'elle doit l'être, comme son beau peuple le promet à une époque de liberté; si les grands jours de la Grèce renaissaient; la France, l'Autriche, la Russie, l'Angleterre y perdraient quelque chose peut-être dans leur égoïsme; et l'on . préfère s'épuiser dans les vaines boucheries de la Crimée que de laisser ces nations reconstituer leur vie et leurs libertés. Il n'y a pas encore de place au soleil de la politique européenne pour tous les peuples!

La géographie, comme la comprend M. Houzeau, la géographie élevée à la hauteur d'une science synthétique et philosophique, révèle de plus nobles intérêts et conclut à une politique meilleure. Il n'y a de bonheur, de progrès, de grandeur pour les peuples que dans la vérité, la justice, la fraternité. Se conformer aux lois de la terre et des cieux est le but de l'homme, et tout sur le globe lui crie: Association! tout dans les cieux lui dit Harmonie!

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