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suivre dans le dédale de propositions incidentes dont il a essayé de faire un support à son argument principal. Si l'individu est le meilleur juge de ce qui est son inté rêt, l'État peut lui laisser le soin de régler lui-même ses affaires; si tous les individus qui composent une nation font des échanges profitables séparément, nous pouvons être parfaitement rassurés sur le résultat de l'ensemble. On ne fera jamais croire à personne qu'une nation s'appauvrit quand les individus qui la composent s'enrichissent.

Laissez faire, laissez passer, est et restera longtemps encore la meilleure de toutes les protections.

AD. LE HARDY DE BEAULIEU.

LE SYSTÈME PROTECTEUR

ET

LE LIBRE ÉCHANGE.

RÉPONSE A MM. CH. ET AD. LE HARDY DE BEAULIEU.

Le disciple du prétendu réformateur de la science économique veut en vain échapper aux arguments que j'ai opposés à la théorie de Frédéric Bastiat, sans que toutefois je suis le premier à le proclamer - il y ait là le moindre mérite de ma part.

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Avant d'entrer en matière, M. Ch. le Hardy de Beaulieu fait ressortir, avec raison, l'importance du débat. Reconnaître que la matière a une valeur autre que celle que les détenteurs de la matière y ont incorporée par leur travail, c'est préparer une révolution sociale; c'est admettre la légitimité, la nécessité de cette révolution, et par conséquent aussi — je le dis par rapport à quelques phrases peut-être irréfléchies de mon adversaire sur une crise pareille son caractère éminemment

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bienfaisant. Établir, au contraire, que le travail humain seul peut créer la valeur, c'est élever au-dessus de tous les doutes que ce qui existe actuellement est, en général, conforme à la justice, et ne comporte que le perfectionnement paisible de quelques détails.

Résulte-t-il de ce qui précède que chacun de nous doit accommoder son jugement à ses désirs, sans se soucier de la vérité? En résulte-t-il encore qu'une pareille supercherie peut arrêter l'humanité dans sa marche et lui prescrire les évolutions qu'elle doit exécuter ou éviter? Bien fou celui qui le croirait ! L'erreur, qu'elle soit volontaire ou non, ne peut qu'animer la lutte sur le champ de bataille, comme elle l'anime dans la littérature; elle ne peut que prolonger cette lutte et la faire en même temps plus sanglante.

Les adversaires de Bastiat ne combattent, du reste, qu'un fantôme. Je le répète : l'économie politique, d'accord avec l'expérience de tous les peuples, a décidé depuis longtemps contre la propriété foncière la question qui nous préoccupe, et c'est la certitude que toutes les rêveries, dans le genre de celle du célèbre écrivain, sont impuissantes à changer quelque chose à ce résultat, c'est cette certitude, dis-je, qui a engagé la bourgeoisie française, après le 24 février, à déserter la discussion, à préparer en pleine connaissance de cause le renversement de la tribune, l'abolition de la liberté de la presse et la création d'un Empire s'appuyant sur le sabre et sur le silence.

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M. le Hardy de Beaulieu je le rappelle au lecteur - avait fait l'argumentation suivante :

La valeur ne se proportionne ni à la quantité ni à la qualité de la matière, donc la matière n'a aucune valeur. Les services rendus à la société ou à l'individu par le magistrat, le militaire, le médecin, le musicien, ne s'in

corporent à aucune matière, et n'en sont pas moins bien réels et pourvus de valeur, donc la valeur réside dans le service et non dans la matière.

J'ai fait apercevoir, d'une manière un peu énergique mais juste, ce qu'il y a de vicieux dans cette logique, et mon adversaire reconnaît lui-même, jusqu'à un certain point, la justesse de mon appréciation en me répondant ce qui suit :

«Que M. Rittinghausen soutienne que ma conclusion est prématurée, qu'elle n'est pas appuyée sur des preuves suffisantes, cela lui est permis, mais je le défie de me démontrer que cette conclusion repose sur des faits inexacts ou qu'elle soit fausse. »

Est-ce de ma faute, je le demande, que la « conclusion » ne repose nullement sur les « faits cités, » dont je reconnais l'exactitude, avec cette restriction cependant, que toute utilité intellectuelle, pour devenir une valeur d'échange, doit s'incorporer dans la matière, quoique celle-ci soit, dans ce cas, fort souvent gratuite? Est-ce que nous ne contestons pas au père de l'Eglise la justesse de la conclusion qu'il faut quatre évangélistes parce qu'il y a quatre vents cardinaux; sans que cependant il nous vienne à l'idée de nier l'existence. exacte de ces quatre vents? La fausseté de la conclusion en elle-même, c'est-à-dire de l'opinion de M. le Hardy sur la gratuité de la matière, a été prouvée dans mon précédent article, je pense, à l'entière satisfaction de mes lecteurs. Je ne me défie même pas, sous ce rapport, du jugement de nos propriétaires. Maudissant la discussion et la lumière, ils peuvent imiter la conduite politique de la bourgeoisie française: ils n'approuveront jamais la théorie de Carey, ou, si l'on veut, de Carey Bastiat.

Mais M. de Beaulieu ne se déclare pas vaincu; il veut,

je suppose, compléter ses preuves insuffisantes, en nous apportant l'argument suivant :

« L'utilité n'a de rapport qu'avec les besoins des hommes; l'appréciation qu'ils en font reste toujours personnelle : je ne puis éprouver de la faim pour autrui, ni du bien-être (au moins matériel) de la satisfaction de la faim d'autrui. La valeur naît aussi du besoin; elle a sa source dans l'utilité, en ce sens que, sans celle-ci, il n'y a point de valeur; mais au lieu de se proportionner à cette utilité, elle se mesure, au contraire, à l'obstacle qui s'oppose à ce que cette utilité aille satisfaire nos besoins. Plus cet obstacle est grand, plus grand est l'effort qu'il faut faire pour le vaincre, et plus est élevée la valeur qui en résulte. »>

Si l'on admet que sans l'utilité « il n'y a point de valeur,» il faut bien accorder qu'elle forme une partie essentielle de la valeur ; et puisque l'utilité réside en définitive bien plus dans la matière que dans les modifications de forme que nous faisons subir à la matière par le travail, par quel miracle de logique pourrait-on prouver la gratuité de la matière? L'utilité de la matière se comprend, à la rigueur, même sans les modifications par le travail : la vie du sauvage en donne des exemples frappants; pendant que ni l'utilité, ni même la possibilité de ces modifications ne se conçoivent sans la matière.

J'admire la facilité avec laquelle M. le Hardy, dont je ne conteste en aucune manière la bonne foi, sait écarter tout ce qui le gêne. D'abord il nous dit : que la valeur se mesure à l'obstacle qui s'oppose à ce que l'utilité aille satisfaire nos besoins. L'obstacle est écarté par l'effort qui lui est proportionnel. L'effort est un service humain; donc la valeur, proportionnelle à l'obstacle, est à son tour proportionnelle au service humain, c'est-à-dire au travail.

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