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trouve de fait organisé dans aucune localité, pour aucune branche de la richesse nationale. Quelle en est la cause? La croyance qu'il faut créer autant d'institutions spéciales qu'il y a de grandes branches de richesse qui ont besoin de crédit.

« Si quelqu'un s'avisait de prétendre qu'entre Bruxelles et Anvers, il y a lieu de construire un chemin de fer spécial pour le transport des solides, un autre chemin spécial pour le transport des liquides, un autre encore pour les voyageurs, etc., il n'est pas douteux qu'il ne fît beaucoup rire à ses dépens. L'idée de la division du travail étendue aux institutions de crédit n'est pas plus sérieuse. Sa mise en pratique nous mettrait en présence d'un quadruple système de circulation pour les valeurs : un pour les cultivateurs, un autre pour les commerçants, à côté d'un troisième pour les propriétaires fonciers et d'un quatrième pour les industriels, manufacturiers, fabricants, etc. Ne seraitce pas la reproduction, pour la circulation des valeurs, du système des routes spéciales, pour les liquides, les voyageurs et les solides? >>

Au nombre des méthodes de raisonnement, celle qui est fondée sur l'emploi de l'analogie a une grande importance dans les sciences et dans la pratique de la vie, mais cet instrument, d'ailleurs si nécessaire, il faut s'en défier, car il produit souvent l'erreur. L'analogie n'est bonne que lorsque la similitude est réelle, non dans des circonstances ou dans des accessoires, mais dans les conditions essentielles des choses.

Or, l'analogie dont fait usage l'auteur ne nous paraît pas être de cette dernière catégorie. En effet, il ne s'agit pas ici de différence dans les matières transportées, mais de différence dans les mouvements du transport. Ce serait une idée ridicule de faire des chemins de fer spéciaux pour transporter les liquides, les voyageurs et les solides, mais ce serait une idée sage de construire des chemins de fer spéciaux, si des convois à grande vitesse devaient se succéder de demi-heure en demi

heure sur un railway pour les voyageurs, ce qui impliquerait la nécessité d'établir, à côté, un railway pour les convois de marchandises, qui n'ont besoin que de voyager à petite vitesse. Si les wagons à grande et à petite vitesse parcouraient le même railway sans que l'on tînt compte de la différence du temps employé aux voyages, il en résulterait des chocs fréquents et d'inévitables catastrophes.

Appliquez cette analogie aux prêts commerciaux et aux prêts fonciers, et vous verrez que la division du travail en matière de crédit est sérieuse.

«De ce qu'on ne peut donner, dit l'auteur, le crédit au cultivateur du sol aux mêmes conditions que le crédit au propriétaire foncier, ou qu'on ne peut confondre un effet de commerce à trois mois et à trois signatures, avec l'obligation à un an d'un industriel qui offre pour gage de son emprunt ses marchandises, ses machines, sa fabrique, il ne s'ensuit nullement qu'il faille charger de ces diverses opérations autant d'institutions de crédit séparées. Le même établissement placé au chef-lieu du canton peut fort bien se charger de ces quatre espèces d'opérations, et cela au grand avantage de tout le monde... Au lieu d'appliquer le principe de la division du travail aux institutions de crédit, il suffit de l'introduire dans l'organisation d'une même institution localisée...

>> S'il nous était donné de vous mettre sous les yeux le tableau dressé par cantons,

1o Des propriétaires fonciers ;

2o Des cultivateurs ;

3o Des commerçants,

Et 4o Des industriels, fabricants, etc.,

>> Vous vous convaincriez sans peine de l'impossibilité absolue d'arriver à quelque chose de satisfaisant au moyen d'institutions spéciales disséminées dans chaque canton. Dans tel canton où un bureau de crédit foncier trouverait assez d'affaires, un bureau de crédit commercial ou un établissement de crédit agricole n'aurait pas assez de clients pour pouvoir subsister.

A qui s'adresseraient dès lors les cultivateurs, les commerçants et les industriels livrés à eux-mêmes? Ailleurs, dans un autre canton, le même sort écherrait aux propriétaires ou aux commerçants en trop petit nombre pour que les opérations pussent couvrir les frais généraux, les risques et les intérêts du capital engagé; et, ainsi de suite, de canton en canton Si, au contraire, l'on concentre toutes les opérations dans un même établissement cantonal, en ayant soin de subordonner, ainsi que cela doit être, chaque branche de crédit ou de compte courant au réglement spécial qui lui convient d'après les garanties offertes, le problème d'organisation du crédit dans tout le pays, se résoud sans la moindre difficulté. Le crédit commercial vient en aide au crédit foncier, et le crédit agricole au crédit industriel; tous les intérêts se trouvent satisfaits; la sécurité de chaque intérêt s'accroît du concours des autres. »

Ce tableau est bien séduisant, mais les faits qu'il retrace se réaliseraient-ils?

<< Avant de s'engager dans la banque, » dit M. Courcelle-Seneuil, «< il convient d'étudier avec soin la vocation et l'aptitude qu'on peut y apporter. S'il est vrai que ce commerce réserve une rémunération presque assurée aux travaux de l'homme actif et capable, celui qui s'y engage imprudemment n'y rencontre que des écueils presque inévitables, des désagréments sans nombre, des inquiétudes perpétuelles et en dernier résultat peutêtre la ruine et le déshonneur. »

Et cependant le banquier a pour sauvegardes et pour conseillers, son intérêt, son expérience, sa responsabilité personnelle et la pratique des affaires; il n'a à poursuivre et à surveiller que des opérations, multipliées il est vrai et souvent compliquées, mais ayant toutes à peu près le même caractère et s'accomplissant toutes à peu près sur le même terrain.

Mais voici que des propriétaires, des cultivateurs, des industriels, des artisans d'un petit canton se réu

nissent et fondent entre eux une institution de crédit; ils n'ont que des notions vagues sur ce qu'ils vont faire, ils ne connaissent pas la science de la banque, ils n'en ont jamais pratiqué l'art. Ils sont lancés dans des opérations de longue haleine et pressés par des opérations à court terme. Il faut qu'ils se retrouvent dans ce dédale d'affaires, qu'ils supputent leurs ressources, qu'ils les échelonnent avec sagacité, qu'ils fassent honneur à leurs engagements multipliés, que leur intelligence coordonne et compense les recettes et les créances, que l'ordre règne dans toutes les parties de l'administration, qu'une surveillance sévère s'exerce, qu'on ait assez de présence d'esprit, de fermeté et de connaissance des choses pour résister à des difficultés et à des crises.

Tant vaut l'homme, dit-on, tant vaut l'institution, et cette maxime est vraie. Où sont, dans la plupart de nos cantons ruraux, les hommes qui feraient marcher les comptoirs de manière à produire les résultats que l'auteur en attend?

On signalera l'Union du crédit de Bruxelles. Mais les fondateurs et les directeurs de cette institution étaient et sont des praticiens intelligents, rompus au métier, connaissant les affaires et capables de leur donner un tour favorable aux intérêts de l'établissement.

L'homme honorable qui est placé à sa tête, avait non-seulement la pratique, mais la vocation et le talent.

L'Union du crédit ne fait qu'un seul genre d'affaires : l'escompte, et il n'y a dans ce genre d'affaire nulle complexité.

Mais voyez le comptoir cantonal aux prises avec les complications incessantes des divers crédits qui s'enchevêtreraient les uns dans les autres.

<<< L'industrie et le commerce qui empruntent des capitaux, dit M. Martou 1, les reproduisent dans un temps rapproché. Il en est autrement de l'agriculture. La terre ne restitue que lentement les avances qu'elle a reçues; elle ne peut se libérer dans la courte limite de temps assignée d'ordinaire aux prêts sur hypothèque. Améliorer la culture, c'est-à-dire dessécher, défricher, planter, construire, réparer des bâtiments qui se délabrent ou deviennent insuffisants, tels sont les travaux du propriétaire foncier ou du laboureur. Mais dans les premières années, ces opérations ne rendent que péniblement l'intérêt des sommes empruntées; ce n'est qu'au prix de longs et persévérants efforts qu'elles font renaître le capital lui-même. L'amortissement annuel et presque insensible de la dette est donc le seul mode de libération qui convienne au cultivateur; s'il contracte à d'autres conditions, il court à sa ruine; au jour de l'échéance, il est forcé de subir l'expropriation ou de renouveler son obligation et de faire de nouveaux sacrifices qui l'entraînent tôt ou tard à une dépossession totale...

» L'organisation du crédit foncier peut seule procurer à la fois à l'emprunteur, un mode de remboursement qui soit en harmonie avec les exigences de la propriété foncière; au prêteur, la disponibilité constante des fonds engagés, le service ponctuel des intérêts, l'amortissement régulier du capital. >>

Voilà donc le comptoir cantonal chargé de cette espèce d'opération savante, qui consiste « à mettre en contact la terre et le capital, à faciliter par l'amortissement la libération du débiteur et à mettre à la disposi

1 Des priviléges et hypothèques ou commentaire de la loi du 16 décembre 1851 sur la révision du régime hypothécaire, par M. Martou, avocat à la cour d'appel de Bruxelles. Préface, p. 13.

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