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exploite que sur l'abondance des moissons qu'il établit ses calculs. La moyenne propriété, si longtemps répudiée au delà de la Manche, est devenue dans ces derniers temps l'objet de plus de respect et de recherche. On a reconnu que la question véritable était de faire produire le plus possible une circonscription de terrain même peu considérable. Les enseignements de la science pratique, exposés au grand jour par les propriétaires des fermes modèles, n'ont pas été perdus pour le paysan anglais. Le nôtre n'en est pas là, tant s'en faut. C'est un glouton qui avale la terre et ne s'en rassasierait jamais, dût-il se trouver sans capitaux pour la faire valoir. Gardons-nous de satisfaire à ces exigences. Le pays, comme lui-même, ne s'en trouverait pas bien.

Sous la réserve de cette observation et de quelques considérations analogues qu'il serait inutile de produire ici, nous ne contestons pas et ne pouvons contester les avantages qui résulteraient nécessairement d'une plus grande abondance ou d'une plus grande facilité du crédit facilité et abondance étant deux termes différents qui expriment le même fait. Il est évident, en effet, que, si le crédit a pour objet de mettre aux mains du travailleur les instruments et la matière du travail,plus ce résultat sera obtenu, plus aussi le travail prendra de l'extension, de manière à conjurer les fâcheuses tendances auxquelles, ainsi que l'a exposé M. Haeck, semble obéir notre état social; c'est donc là le but à atteindre. C'est aussi, nous devons le faire observer, celui que l'on poursuit avec le crédit tel qu'il existe actuellement.

Mais on aura remarqué, dans la citation que nous avons faite, que l'auteur propose d'étendre la distribution du crédit à nos deux mille cinq cent vingt-quatre communes. Il ne s'agit plus de créditer quelques gros

propriétaires, quelques riches cultivateurs, ou un nombre plus ou moins considérable de fabricants, de commerçants, d'industriels établis dans des centres d'affaires, mais tous les travailleurs qui, dans quelque localité où ils soient placés, offriront de bonnes et sûres garanties.

<< Les personnes, dit l'auteur, qui s'occupent des questions d'intérêt général ou social, sont domiciliées la plupart du temps dans les grandes villes; elles se laissent facilement entraîner à perdre de vue, à négliger même tout à fait les petites localités; celles-ci leur paraissent sans doute d'une valeur trop secondaire pour les comprendre au nombre des conditions fondamentales du problème qui fait l'objet de leurs préoccupations 1. Or, il arrive que, pour la Belgique, l'omission des petites localités, des petites communes pour mieux dire, vicie profondément les propositions pratiques auxquelles on se trouve ainsi conduit. >>

L'auteur, ayant recours à l'Exposé de la situation du royaume, dresse différents tableaux pour établir le nombre des communes d'après les chiffres respectifs de leur population; sans entrer dans les mêmes détails, nous lui emprunterons la conclusion suivante, qui suffit à

notre examen :

«En rangeant dans une seule catégorie toutes les communes de moins de 10,000 habitants,

» Et, dans une autre catégorie, toutes les communes de plus de 10,000 habitants,

>>> On trouve :

» Que la première catégorie comprend 3,604,000 âmes, et la seconde, seulement 946,000.

▲ Ceci rappelle au point de vue matériel la fameuse apostrophe de Rousseau à Voltaire, dans sa lettre sur le poëme de Lisbonne : Les messieurs des villes, les seuls hommes dont nous tenions compte!

» En Belgique, la population domiciliée dans les communes de moins de 10,000 âmes est donc presque QUADRUPLE de celle qui est domiciliée dans les communes de plus de 10,000 âmes.

» Ainsi, ce qu'on est convenu d'appeler les villes principales du pays ne renferment qu'une fort minime partie des habitants de la Belgique, et nous démontrerons tout à l'heure que celles-ci ne renferment de même qu'une fort minime partie des diverses branches du travail national. »

Poursuivant cette étude à l'aide de la statistique officielle, l'auteur, qui se livre à d'autres calculs sur des bases différentes, cherche à comparer le travail tel qu'il est constitué dans nos 86 villes, dont la population totale est de 1,100,000 habitants, et le travail tel qu'il est constitué dans nos 2,438 communes rurales, dont la population est de 3,350,000 habitants, et il forme le tableau suivant pour tout le royaume :

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Sous la rubrique, autres propriétaires, sont compris tous les propriétaires qui joignent à leur qualité de propriétaire foncier, l'exercice d'une profession industrielle ou commerciale ou agricole, enfin tous les propriétaires non-rentiers.

Dans cette récapitulation ne se trouvent pas compris les 225,156 petits cultivateurs qui ne se livrent à l'agriculture qu'accessoirement et 269,140 petits artisans de toutes les professions, y compris les petits boutiquiers.

En vertu des résultats de ces recherches statistiques, l'auteur formule cette conclusion, qui sert de base à son projet d'organisation du crédit.

« Dans les neuf provinces de la Belgique, il y a proportionnalité entre la population des villes et des villages et le nombre de personnes qui ont besoin des services des établissements de crédit, soit à titre de commerçant, soit à titre de fabricant, de cultivateur ou de propriétaire, de préteur ou d'emprunteur. »

Si le crédit est l'aliment du travail et si le travail est, pour la plupart des hommes, l'aliment nécessaire de la vie 1, tous les hommes qui ont besoin de travailler ont un droit égal au crédit, droit proportionnel, dans son exercice, à la somme des garanties solides qu'ils peuvent offrir.

Mais, dans l'état actuel du crédit et de son mécanisme, ce droit est illusoire pour la grande masse des travailleurs, parce qu'en fait il ne peut pas s'exercer. Or, le projet de M. Haeck a pour but de rendre ce droit réel.

Avant de pénétrer plus avant dans la discussion, nous avons à signaler à l'auteur une erreur, de peu d'importance, au surplus, mais que nous croyons devoir dissiper.

A propos des tableaux de statistique qu'il a dressés, l'auteur dit :

Qui est-ce qui se doutait, jusqu'à ce jour, qu'en Belgique les communes de moins de 1,000 âmes forment ensemble une population égale à la population des 86 villes réunies?

» Qui est-ce qui se serait imaginé que, dans nos neuf provinces, les villes de plus de 25,000 âmes ne forment en tout qu'une population de 570,000 âmes, sur 4,550,000 habitants?

Nous disons la plupart des hommes, car le capitaliste, à titre de capitaliste, ne travaille pas, ce sont ses capitaux qui travaillent pour lui.

» Qui encore aurait voulu admettre que les communes de moins de 10,000 âmes constituent entre elles les 7/9es de la nation?

>> Personne assurément. »

M. Haeck croit avoir fait là une grande découverte, qui aurait échappé jusqu'ici, non-seulement au public, mais, si l'on s'en tient aux termes généraux qu'il emploie, aux économistes, et peut-être aux statisticiens eux-mêmes.

M. Haeck est dans l'erreur; personne ne doutait, en effet, que la population rurale, en Belgique, ne fût plus considérable que la population des villes et d'autres grandes communes réunies. Un tel fait, exprimé dans toutes les statistiques, était parfaitement connu, et un tel fait devait l'être, rien qu'en considérant la situation des diverses industries dans le royaume. Non-seulement ce fait est évident pour la Belgique, mais il l'est aussi pour la France, où, sur 36,819 communes, il y en a 35,717 au-dessous de 3,000 âmes, comprenant une population totale de 27,151,000 habitants, tandis que les 1,102 communes au-dessus de 3,000 âmes ne comprennent qu'une population de 8,249,000 habitants. C'est la proportion la plus généralement établie en Europe, où l'ensemble des villes est beaucoup moins peuplé que l'ensemble des campagnes. L'Angleterre seule fait exception. Lors du recensement de 1851, on a constaté que la population des 815 villes de différente étendue distribuées dans l'Angleterre, le pays de Galles, l'Écosse et les îles du Canal, était de 10,556,288 habitants, et celle du reste de la Grande-Bretagne, à savoir des villages, des villes sans marché, soit des communes dites rurales, de 10,403,189. Ce phénomène, nous l'avons dit, est exceptionnel pour l'Angleterre, et il est dû à plusieurs causes aux progrès de l'agriculture et à l'emploi, sur une grande échelle, des machines,

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