Images de page
PDF
ePub

pas toutes ces vilaines choses, et il sera aussi bon que vous. N'est-ce pas, Jean?

Jean, pour la première fois, ne put empêcher une larme de déborder sa paupière.

- Qu'il ne nous frappe plus, et nous ne l'appellerons plus le roux !

[ocr errors]

Ne l'appelez plus le roux, et il ne vous frappera plus, dit Marie.

- Qu'il vienne alors!

Marie prit Jean par la main et l'amena auprès de ses petits amis. Il était encore bien rouge, mais c'était de bonheur.

Il s'amusa pendant plusieurs heures, et ne s'entendit plus reprocher sa laideur. Il croyait rêver. Et le soir, quand à l'église avait tinté l'Angelus, et que le soleil était descendu à l'horizon, les enfants s'en retournèrent chez eux. C'est singulier, dirent-ils, Jean n'est pas aussi méchant que nous le croyions.

Les petits drôles ne comprenaient pas qu'ils avaient seuls été cause de la méchanceté de Jean. Ils lui enfonçaient continuellement des épines dans le cœur, et trouvaient fort mal que le garçon se fâchât.

A partir de ce moment, le rousseau fut moins mal traité dans le village et sa reconnaissance fut sans bornes pour Marie.

Un trait qui achèvera de peindre les deux enfants dont nous allons tâcher de raconter l'histoire, est celui-ci : Jean, un pied dans l'eau et le rire aux lèvres, agaçait depuis quelques instants un cygne qui, en vaillant père de famille, décrivait des cercles majestueux autour de cinq ou six rejetons aux plumes encore grises, comme pour les protéger contre les dangers qui auraient pu surgir. Jean l'appelait et lui lançait des pierres. Le cygne tendit les muscles de ses ailes, et, la tête majes

tueusement levée au haut de son long cou, il arrivait superbe de courage, droit sur le rousseau.

Marie était présente : elle vit l'oiseau s'élancer rapide; elle courut pour protéger son ami. Le palmipède frappa, non pas Jean, mais la pauvre Marie qui, étourdie et entraînée, alla sombrer au fond de l'étang.

Un cri partit de la poitrine de Jean. La rage et la douleur décomposaient son visage. Le cygne restait encore là, mais le rousseau n'y prit plus garde; sans perdre de temps il s'élança au secours de son amie et la ramena à fleur d'eau, la soutenant d'un bras et menaçant de l'autre l'oiseau, cause unique, pensait-il, de l'accident.

Marie fut longtemps malade des suites de cette aventure, et, pendant de nombreux jours, Jean refusa de quitter le chevet du lit de la blonde petite fille. Le soir, il fallait l'en arracher pour qu'il rentrât chez lui; le matin, il attendait à peine le jour pour y retourner.

Ses parents, qui ne virent dans cette action de leur fils qu'une manifestation de son entêtement et de sa paresse, le corrigèrent d'importance, ne manquant pas, comme de coutume, de lui dire : Ah! le mauvais, ah! le vilain roux!

II

L'hiver a été long et rigoureux. Les secours ont été rares. Une fièvre lente s'est emparée de la veuve du maçon, et depuis plusieurs semaines elle n'a pu quitter sa couche. Le pain manque au logis. Le tonnelier et sa femme n'ont pas cessé un seul jour de venir en aide à leur voisine. Mais, pour eux aussi, la saison a été rude; la besogne s'est relâchée, et ils ne sont plus dans une position qui leur permette de faire quelque sacrifice. Le tonnelier lui-même, que nous appellerons désormais

Antoine, s'était privé de son plus grand plaisir, de son verre de bière.

-

La pauvre Madeleine, c'est le nom de la mère de Marie, redoutait de mourir que serait alors devenue son enfant, si jeune encore, si chétive? D'un autre côté, si elle guérissait, elle entrevoyait la misère s'attachant à elle et à sa fille. Je ne pourrai plus travailler, ditelle, de longtemps au moins, et comment soutiendrai-je mon enfant? Et, comme il arrive souvent dans les moments de chagrin, assombrissant encore sa position: Je serai forcée d'aller à la Cambre... A la Cambre! répéta-t-elle, avec plus de terreur encore que d'amertume... O mon Dieu! non, faites que je ne sois pas réduite à cette extrémité! ·

La bonne femme se rappelait d'avoir vu tant de fois entraîner vers cet établissement des familles entières, escortées de gendarmes, et dont l'unique crime était la misère,.. son crime à elle... Elle se souvenait aussi de ce qu'on lui avait dit du régime intérieur de ce dépôt : les mères sont séparées de leurs enfants et ne peuvent plus les voir qu'à des jours fixes, à des heures déterminées. Ne plus avoir sa fille sans cesse à ses côtés lui paraissait impossible. A cette seule idée, son œil, qu'avait séché la fièvre, s'humectait de larmes.

Un jour que cette idée la poursuivait avec plus de persévérance, elle se souleva, comme pour s'arracher à ce grabat où la maladie la tenait attachée...

- Qu'as-tu, mère? dit une douce voix. Souffres-tu davantage?... Veux-tu quelque chose? La mère saisit l'enfant, l'attira vers elle comme pour la défendre contre quelque danger. Elle colla ses lèvres décolorées sur les lèvres roses de Marie.

-Oh! qu'on ne me sépare jamais de toi, vois-tu; j'en deviendrais folle de chagrin.

[ocr errors]

Mère !

Non, c'est impossible, n'est-ce pas? Et cependant

s'il faut que l'on m'y mène !...

Te mener, où? mère.

Hélas! à la Cambre, mon enfant.

Une vague terreur s'empara de la petite fille, qui se pressa instinctivement contre le sein décharné de Madeleine.

-Oh! non, tu n'iras pas... Je prierai tant, que Dieu t'enverra la santé et la force de travailler!

A ce moment, un léger bruit se fit entendre du côté de la porte. Marie se leva. C'était Jean qui n'avait attendu que le jour pour venir s'informer de la santé de la veuve.

[ocr errors]

Oh! Jean, dit-elle, viens avec moi. de la maison, elle entraîna son ami.

[blocks in formation]

C'était dimanche. Le soleil venait de se lever radieux, après une nuit de quelques heures : la journée promettait d'être belle, et tout respirait la joie et le bonheur. Les premières senteurs du printemps s'élevaient vers le ciel comme un encens, et les chants des oiseaux, comme une harmonie de louanges.

De l'autre côté des étangs, un frais éclat de rire avait retenti, rire plein de jeunesse et d'insouciance, et, à travers les arbres qui bordent l'eau, se voyaient quelques groupes de jeunes filles et de jeunes gens de la ville allant passer au bois toute une journée de repos. Ce rire, Marie l'avait entendu, et il avait résonné dans son cœur comme une fausse note dans une musique.

Jean la suivait sans oser rien dire. Ils arrivèrent ainsi jusqu'à cette petite et modeste chapelle qui se trouve à l'un des angles du second étang, et qui, d'après l'inscription qui y est consignée, est dédiée à « Madame Isabelle-Claire Grobendonck, abbesse de la Cambre, qui a

FAIT FAIRE CETTE CHAUSSÉE. » Marie indiqua du doigt la chapelle à son ami et vint se mettre devant à deux genoux.

-Jean, veux-tu bien prier avec moi pour ma mère?... Elle est si malade ! J'espère qu'à nous deux nous obtiendrons que le bon Dieu la guérisse : j'ai tant prié depuis huit jours, et rien n'y a fait; à nous deux, nous serons peut-être mieux écoutés.

Jean ne répondit pas; il ôta sa casquette et il alla se placer à côté de Marie.

-

Ma bonne Vierge, dit-elle, s'adressant à la petite madone qui est derrière le treillis de la chapelle, ma mère est si souffrante! Enlève-lui son mal; que, comme elle vous le demande tous les jours, elle puisse bien vite se lever pour travailler et gagner de quoi nourrir sa petite fille car sans le bon Antoine qui lui donne de quoi acheter du pain, je serais morte de faim... Fais, Sainte Vierge, que je la retrouve mieux quand je reviendrai; qu'elle ne pleure plus autant de peur de devoir aller à la Cambre! -Et, à ce mot, une nouvelle et vague terreur vint la saisir.-Oh! je t'en supplie, dit-elle avec cette ferveur anxieuse de l'âme qui souffre, viens à son

secours.....

A ce moment, il parut aux deux enfants qu'un sanglot s'échappait de la poitrine de la petite madone; ils se regardèrent pâles d'émotion et d'étonnement. Mais, tout préoccupés de ce bruit étrange, les mains entrelacées et les yeux se confondant, ils n'avaient pas vu que de derrière la chapelle était apparue une fraîche jeune fille, des larmes d'attendrissement aux paupières, et qui, tendant une petite bourse de soie à Jean et à Marie, semblait leur dire tenez, prenez ceci, en attendant mieux; c'est tout ce que j'ai...

-Prenez, mes petits amis, insista-t-elle, et dites-nous

« PrécédentContinuer »