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L'expérience, ce grand maître, est là, en ce moment, devant nous, qui prononce son arrêt. Le clergé, par l'influence qu'il exerce naturellement sur le peuple ignorant et superstitieux des campagnes, s'est acquis la majorité dans le parlement; par elle, il est en voie de se rendre maître du monopole de l'enseignement; il étend son influence sur les établissements et les universités de l'État. Profitant de la liberté d'association, il a peuplé notre patrie de plus de couvents qu'il n'en existait sous le règne de Marie-Thérèse. C'est ainsi qu'il reprend possession du pays. M. Gérard, dans ses remarquables articles sur la Belgique ancienne, insérés dans la Revue, a démontré, le premier, comment, sous les princes franks, le clergé de Rome a fait et consolidé sa conquête du pays en enveloppant successivement les populations de monastères semblables aux postes fortifiés dont se servent aujourd'hui les Français en Algérie et les Russes dans le Caucase. Pour compléter son système et le consolider, il fallait encore au clergé les richesses dont il disposait jadis. De là, la loi sur la charité qui a produit l'explosion populaire dont nous venons d'être témoins.

Nous concevons parfaitement que M. de Potter continue à défendre ses principes. Lorsque, comme lui, on a présidé aux destinées d'un peuple, qu'animé des intentions les plus pures, les plus généreuses et les plus désintéressées, on a voulu le doter des institutions les plus libres, et par là assurer son bonheur, il est triste et humiliant pour l'esprit humain de se voir frustré dans son attente, et de voir ses projets aboutir à la consolidation d'un ordre de choses qu'on a combattu pendant toute sa vie. Nous croyons M. de Potter trop supérieur, trop homme d'esprit pour croire à son infaillibilité et pour ne pas modifier aujourd'hui des idées

qui ont produit le triste résultat que nous venons de -décrire.

Il me reste à me justifier d'avoir fait l'éloge de la constitution en même temps que la critique des libertés qu'elle contient. La constitution, en elle-même, est le résumé de tous les progrès qu'a faits l'humanité jusqu'à ce jour. Ceci est un fait généralement reconnu, car, après 1848, tous les peuples ont voulu la prendre pour modèle. A ce titre, les hommes qui ont coopéré à sa rédaction ont témoigné des idées de progrès et d'humanité dont ils étaient animés. Mais, en formulant cet éloge, je faisais complétement abstraction de la possibilité d'appliquer à la Belgique toutes ses dispositions particulières. Entre la constitution, considérée dans son ensemble comme œuvre de législation, et son application, il y a une grande différence. La république de Platon fait, depuis des siècles, l'admiration des savants, sans qu'aucun d'eux, pas même Platon, ait songé à la possibilité de la mettre en pratique. J'avoue d'ailleurs, sans réticence, qu'à l'époque de la révolution je partageais toutes les illusions de mes contemporains, et que, s'il y a des coupables de ce chef, je n'hésite pas un moment à me ranger parmi eux.

P.-A. HUYBRECHT.

JEAN LE ROUX ET MARIE LA BLONDE,

SIMPLE HISTOIRE

a propos de l'étang d’Ixelles 1.

On comble le grand étang d'Ixelles. On va y construire une place carrée avec une église, en face de laquelle s'ouvrira une rue toute droite allant vers Bruxelles. D'un côté, il y aura encore une rue toute droite se dirigeant vers Etterbeek, et de l'autre, une troisième rue, toute droite aussi, courant rejoindre la chaussée de Charleroi. Autour de la place seront élevées de jolies maisons, peintes à l'huile, l'une jaune, l'autre blanche, une troisième grise, et ainsi de suite.

Ixelles est une commune située aux portes de Bruxelles; elle est divisée en deux quartiers distincts: l'un ayant les proportions et l'aspect d'une ville, c'est le faubourg; l'autre, resté village jusqu'en ces derniers temps, offrant les sites les plus agréables, c'est le Bas-Ixelles. Une ligne d'étangs fort joyeusement encadrés d'ormes et de maisons à demi-cachées sous le feuillage, conduit à un vaste établissement servant, depuis 1811, de dépôt de mendicité provincial et qui fut autrefois une abbaye très-importante dont la création

Les toits seront couverts de tuiles bleues ou de tuiles rouges; et toute cette grande portion de terrain sera pavée.

Ce projet, qui a déjà reçu un commencement d'exécution, doit donner, pense-t-on, plus d'importance à la commune; les propriétés environnantes vont acquérir plus de valeur, et ce qu'il y aura de plus agréable, c'est que pendant six mois, un an, plus peut-être, on aura la vue des échafaudages, des plâtras et des moëllons. Ce ne sera beau ni pendant, ni après la construction.

Nous n'exprimons pas un blâme; nous consignons un regret, isolé peut-être, mais qui n'en est pas moins profond.

Nous espérons bien que, l'architecte et la commission des monuments aidant, on construira une église qui aura quelque ressemblance avec une œuvre d'art, et moins avec une pièce de pâtisserie, comme nous en connaissons, pour notre part. Ah! que l'enthousiasme pour la liberté dans l'art se sent refroidi à la vue de pareilles maçonneries!

Cela dit, revenons à notre regret.

remonte au XIe siècle. L'histoire a conservé le nom de sa fondatrice et de son bienfaiteur; celui-ci fut Henri Ier, celle-là fut Giselle, religieuse de l'ordre de Citeaux.

Ixelles a eu la gloire de loger, dit-on, J.-B. Rousseau. De Bériot et la Malibran y habitaient un pavillon devenu depuis Maison communale. A la voix de la célèbre cantatrice a succédé le timbre de l'officier de l'état civil. Dans ce même salon où, il y a vingt-trois ans, retentissaient les accents de la diva Garcia et où l'archet du célèbre maestro pleurait sur l'instrument magique, se discutent aujourd'hui les questions importantes du curage des égoûts et de l'enlèvement des immondices.

Ixelles, le village, possède une église qui, à son tour, possède, comme relique justement vénérée, une parcelle de la vraie croix. Cette commune, qui a une académie de dessin, a toujours été et est encore le séjour privilégié d'un grand nombre d'artistes de talent.

R. T.

10

Encore un site pittoresque qui s'en va! encore une promenade charmante que nous n'aurons plus! Partout l'utile fait la chasse à l'agréable.

Où seront bientôt ces trois étangs et leurs bords ombragés? On n'a même pas pensé aux gendarmes ni aux prisonniers qu'ils conduisent au dépôt de mendicité, et qui auront désormais le soleil en plein jusqu'au bout. Ce sera bien fait... pour les gendarmes. Les arbres disparaissent avec les étangs, et ce sont eux qui, partis, enlèveront au paysage cet ensemble qu'on se plaisait à voir.

Que deviendra la Maison-Blanche et son orchestre si joyeux aux jours de kermesse, lorsque, passant l'onde, le son aigu de la flûte, le bruit strident de la trompette et le ronflement sonore de la contrebasse, allaient réjouir l'autre bord? On ne verra plus, se reflétant dans l'eau, les ébats champêtres des couples se livrant, pleins d'ardeur, aux transports de quadrilles fantastiques. Sous le hangar ne viendront plus danser les jeunes filles que l'oeil somnolent des mères tenait dans les bornes d'une conyenance sans sévérité. Sous les tilleuls, à la lueur de trois quinquets fumeux, ne frétilleront plus les roses-pompons et les titis, ni les fils de famille entamant leur première contredanse en même temps que leur premier cigare. - Adieu! plaisirs d'il y a vingt ans ! Nous n'avons plus de vous que le souvenir, mais qu'à vous évoquer seulement nous éprouvons de joie!...

L'étang, la Maison-Blanche, la petite église avec sa cloche fêlée, et que pourtant nous aimions à entendre, parce qu'elle tintait ainsi dans nos jeunes années, tout cela va disparaître. Ixelles, le simple, le pittoresque village, suit les tendances de notre époque les tentations du luxe l'enivrent, les beautés monumentales de

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