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La preuve de ce que j'avance se trouve partout, et notamment dans la lettre que j'adressai au roi, le 2 août, en quittant ma patrie pour l'exil : « Sauvez la Belgique, dis-je à Guillaume; il en est temps encore. Mais hâtezvous de la sauver; car il pourrait bientôt n'en être plus temps. » Je développai l'idée de la séparation, telle que je la concevais, dans une autre lettre toujours au roi, datée de Paris le 24 août, et qui fut publiée dans la Tribune. Le 7 septembre, je proposai à mes concitoyens, un plan propre à établir ce que j'appelai leur indépendance réelle, et le surlendemain, en expliquant cette idée, je leur conseillai de soumettre la nouvelle loi fondamentale qu'ils auraient votée pour la Belgique, à l'acceptation du roi des Pays-Bas qui, désormais, y aurait régné conformément à cette loi. Après les journées de la fin de septembre, le sort en fut jeté irrévocablement : les événements devinrent plus forts que toutes les idées possibles, et firent triompher de toute autre combinaison la combinaison funeste d'une séparation, non plus seulement administrative et parlementaire, mais politique, mais territoriale cette fois, mais réellement réelle.

<«< Homme de mauvaise foi, m'écriais-je dès 1829, répondant à un des écrivains français que Guillaume payait pour nous outrager, et qui m'accusait de semer dans le royaume une division qui en aurait tôt ou tard entraîné la perte; homme de mauvaise foi! il n'est aucunement question de s'armer avec les catholiques et les Belges contre les protestants et les Hollandais, ni avec ces derniers contre les autres; il est question seulement, et vous le savez aussi bien que personne, de forcer les protestants et les Hollandais à être justes, ou plutôt de forcer le pouvoir à ne pas sortir de ses limites, c'est-à-dire à laisser à tout le monde toute la liberté à

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laquelle chacun a droit, et à n'être lui-même ni protestant ni catholique, ni Belge ni Hollandais.

Ceux de mes amis qui désespéraient dès l'origine que mon idée pût jamais réussir dans le sens de nous maintenir tout à la fois unis et indépendants, s'attachèrent les uns à un replâtrage avec Guillaume, les autres à une indépendance absolue sous le prince d'Orange ou sous tout autre chef, d'autres encore à une réunion, plus ou moins franche, à la France. Tous eurent, nul n'a le droit de supposer le contraire, un égal désir de sauver la Belgique; ils ne différèrent entre eux que sur les moyens. à mettre en œuvre pour obtenir ce résultat. A nous de leur rendre justice en respectant leurs intentions.

Je me borne strictement ici à ce qui me concerne, et je dis que si, en 1829, j'avais pu, n'importe par quelle voie, acquérir la certitude démontrée que mes efforts pour tenir haut et ferme le drapeau du redressement des griefs, auraient inévitablement abouti au partage du royaume, je me serais cru le devoir, le devoir impérieux, d'ajourner pour ma part toute opposition au gouvernement, comme si l'ennemi eût été aux portes. On m'a souvent reproché la roideur avec laquelle j'ai constamment repoussé les avances qui m'étaient faites pour que, par une soumission honorable, disait-on, je contribuasse autant qu'il était en moi à rendre le calme aux esprits pendant que le gouvernement s'empresserait de donner satisfaction aux intérêts lésés. On m'a taxé d'entêtement, de vanité, que sais-je ? Eh bien, je le déclare: pour conserver l'intégrité des Pays-Bas, j'aurais volontiers demandé grâce, et subi l'humiliation du pardon.

Je sais qu'il n'y aurait point eu en ce cas de paroles assez énergiques pour flétrir ce qu'on aurait nommé ma faiblesse et ma lâcheté. Mais ces jugements passionnés

n'eussent atteint que moi, et ma réputation ici était de nulle importance. Ce qu'il importait avant tout d'empêcher, et ce qui même importait seul, ce qu'il fallait empêcher à tout prix, c'était la scission des dix-sept provinces, ruine future, mais ruine certaine, quoique plus ou moins retardée par les circonstances, de la Belgique, à laquelle elle enlèverait les conditions matérielles d'une existence à l'abri de l'ambition et du mauvais vouloir de ses voisins.

M. Huybrecht, qui du reste, je n'en doute pas un instant, est sur ce point d'accord avec moi, cherche à nous consoler en vantant notre force morale. Cette force, certes, est d'une haute valeur, mais exclusivement morale aussi : c'est beau, c'est noble pour un peuple que de savoir l'apprécier; mais en politique internationale c'est fort peu de chose, ce n'est même rien à l'occasion. Que nous servirait, par exemple, d'avoir raison contre la France, qui voudrait nous traiter comme si nous avions tort, et dont les projets d'ambition et de conquête ne seraient pas traversés par plus fort qu'elle? Ce qu'on décore du titre pompeux de droit public n'est un droit réel que pour les grandes nations; il impose aux petites le devoir de céder. J'ai entendu soutenir par Armand Carrel, le libéral par excellence, qu'il n'y avait de droit que pour les États de vingt-cinq millions d'habitants au minimum: la Belgique, aux yeux du publiciste que je viens de nommer, n'était bonne tout au plus qu'à contribuer à populariser le ministère français, le sien surtout, qui réaliserait enfin la prétention des frontières naturelles. Inutile d'ajouter que, dans une réunion toute française, M. Armand Carrel ne trouva que moi pour le contredire, et je ne trouvai, moi, que M. Raspail qui me permît de soutenir ma thèse dans son excellent journal le Réformateur. Hommes de

la restauration, de la monarchie constitutionnelle, de la république, de l'empire, tous les assistants votèrent la réunion des pauvres quatre millions de Belges. Je reviens à mon rôle d'opposant au gouvernement de Guillaume.

Aussi longtemps qu'il ne s'agissait que de réformes à obtenir de bon ou de mauvais gré, rien ne m'eût fait déserter le poste où les circonstances m'avaient placé, et que je tenais à défendre coûte que coûte; mais les questions changeant de face, je devais de mon côté, pour rester fidèle à mes principes, changer d'attitude et de conduite et je l'eusse fait, la rougeur au front, mais la conscience tranquille.

Ces sentiments qu'il m'a paru utile de manifester à propos des doctrines émises par M. Huybrecht sur le règne de Guillaume Ier et les événements qui y mirent fin, expliquent tout ce que j'ai pu penser, dire et faire, de 1831 à 1839, où le partage du royaume des PaysBas fut si honteusement consommé. Ils m'ont valu, à cette dernière époque, l'ovation de trois grognements, proposés contre moi par mes amis, MM. Lucien Jottrand et Adolphe Bartels, réunis en meeting avec M. Jacques Kats, qui a, depuis lors, quitté les tréteaux de la démocratie pour aller figurer sur un autre théâtre.

Le grognement est une des expressions de l'opinion dont la constitution garantit la libre manifestation. Il est insolite sans doute, chez les êtres capables d'articuler des sons auxquels se rattache un sens déterminé, et lui-même, par son bruit peu harmonieux, ne réveille que l'idée vague d'un sentiment de blâme et de mécontement, qu'il eût été difficile de combattre en lui opposant un raisonnement suivi. Force me fut donc de laisser passer cette rafale de colère patriotique, blotti sous le manteau des temps et des vicissitudes qu'il entraîne

avec lui... Je ne puis mieux terminer ma lettre qu'en remerciant M. Huybrecht de m'avoir fait entrevoir que j'avais pris le bon parti.

DE POTTER.

A Monsieur le Directeur de la Revue Trimestrielle,

Je suis on ne peut plus flatté du suffrage que M. de Potter accorde à mes articles sur la révolution de 1830, tout en faisant ses réserves au sujet de quelques contradictions qu'il croit remarquer dans les idées que j'ai émises relativement au principe de la liberté en tout et pour tous, principe que j'ai considéré comme une utopie dans l'application qu'on en a faite en Belgique.

J'admets ce principe pour tous les pays complétement émancipés et soustraits à la domination du clergé de Rome, tels que l'Angleterre, la Hollande, la Suisse et les États-Unis d'Amérique; mais je ne puis en faire autant pour les pays qui, comme la Belgique, n'ont pu se soustraire à l'influence d'un clergé qu'on doit, à juste titre, considérer comme une parti anti-national, recevant ses inspirations de l'étranger, et systématiquement hostile par ses doctrines à toutes les libertés publiques.

La politique longtemps suivie par l'Angleterre et la Hollande envers les catholiques, se trouve justifiée, aujourd'hui, par ce qui se passe chez nous; ce n'est qu'au bout de trois siècles, que, rassurées désormais

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