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ment entre les mains du gouvernement calviniste était civilisateur, tandis qu'il proclame contraire à la liberté, l'influence du clergé catholique, invoquée par le gouvernement belge, qui la croit utile à la prospérité de ses établissements d'instruction. Cela ne saurait être vrai que pour autant que la civilisation et la liberté soient incompatibles entre elles chose fort possible du reste, puisque notre liberté n'est pas plus éclairée que notre civilisation n'est clairvoyante. Mais je ne vois là aucun motif raisonnable pour préférer l'enseignement du pouvoir qui, s'il est faux, entraîne tout le monde dans l'erreur, à l'enseignement libre qu'on accepte ou qu'on repousse à volonté, et qui laisse à chacun l'erreur de son choix.

L'historien de Guillaume n'est pas partisan de l'intervention du clergé dans l'instruction donnée par l'État; je ne le suis pas plus que lui: mais je vais plus loin. A mon avis, puisque l'enseignement est libre, l'État n'a pas le droit d'enseigner; car il ne peut le faire que conformément à un principe quelconque, et ce principe, patroné par l'État, acquiert une prépondérance contre laquelle aucun autre enseignement ne peut lutter avec avantage. L'équilibre est rompu; et, avec l'égalité de conditions, toute liberté réelle s'évanouit.

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« La raison, je rapporte textuellement ici les paroles de M. Huybrecht, la raison, que la philosophie spiritualiste considère comme la voix de Dieu, guidant l'homme à la recherche de la vérité, » est expulsée de tout enseignement non libre. Appliquons ce raisonnement à l'enseignement monopolisé sous Guillaume, et rien ne pourra empêcher de conclure que, sous le régime hollandais, l'instruction imposée aux Belges était dépourvue de toute raison. Elle imprimait uniformément à ce que M. Huybrecht appelle l'individualité hu

maine, une même estampille, celle du maître. L'opinion, il est vrai, pèse aussi sur notre instruction publique, mais cette opinion varie; tantôt catholique, tantôt libérale, elle permet à notre individualité de troquer à l'occasion le scepticisme contre la foi, et vice versa. Je ne prétends pas que cela soit plus rationnel, mais n'est-ce pas évidemment moins despotique? Or, c'est sur la liberté, non sur la raison, que roule la discussion entre mon collègue à la Revue et moi.

Je serai beaucoup plus bref sur les doctrines que M. Huybrecht a développées dans son article: la Révolution de 1830, que je ne l'ai été sur celles qui sont contenues dans l'article: Règne de Guillaume Ier. Les faits abondent à mesure que l'historien avance, et les réflexions deviennent plus rares. Comme j'en ai prévenu, je ne m'arrête qu'aux idées exclusivement.

M. Huybrecht ne conteste qu'à notre révolution belge, au milieu de toutes les révolutions qui, à la même époque, éclatèrent ou du moins menacèrent d'éclater en Europe, sa raison légitime d'être. Pour la révolution, il se trompe, à mon avis; pour les suites que les événements imposèrent à cette révolution, il a complétement raison. Une fois que l'opposition à la marche tortueuse du gouvernement fut résolue et organisée, si le gouvernement n'était pas assez fort pour la dompter, et s'il n'était pas assez prudent pour la satisfaire, il fallait, de toute nécessité, qu'elle se transformât en révolte ouverte. Et malheureusement, au lieu de la solution ordinaire, celle de la victoire d'une des parties engagées dans la lutte, de la défaite et de la soumission de l'autre, toutes choses d'ailleurs demeurant comme avant le combat, la révolte dont il s'agit laissa chacun des adversaires invulnérable sur un des lambeaux du ter

rain qu'ils s'étaient disputé entre eux, et fit ainsi tomber sur le pays où avait surgi leur funeste division tout le poids de ses conséquences.

Ce fut de cette manière que se consomma l'événement le plus regrettable, je n'hésite pas à le proclamer avec M. Huybrecht, qui pût affliger et accabler nos provinces.

M. Huybrecht revient sur la monstrueuse union, — style du temps, qui, d'après M. de Gerlache, avait transformé le panégyriste de l'évêque réformateur, Scipion de Ricci, et du grand-duc Léopold d'Autriche, son maître, en un homme dévoué au peuple catholique belge, peuple essentiellement hostile aux réformes de Guillaume; et l'historien de la révolution de 1850 se demande comment a pu s'opérer cette étrange conversion. De conversions, j'en ai beaucoup vues. J'ai applaudi à quelques-unes; nombre d'autres m'ont attristé. Quant à moi, je n'ai point encore eu de motif suffisant pour me convertir. Travesti je ne dis pas transformé — en athée par les dévots, en jésuite par les sceptiques; honni comme calotin, maudit comme philosophe; me couchant républicain farouche et me réveillant apostat éhonté de la cause du peuple; tour à tour brouillon, conservateur, radical, rétrograde, révolutionnaire quand même, orangiste, — oui, orangiste, socialiste, rationaliste, j'ai constamment voulu la même chose, savoir la liberté pour les croyants et pour les incrédules, pour les politiques de toutes les nuances, pour les utopistes même de toutes les couleurs, y compris ceux qui ne veulent pas de la liberté. Je me suis toujours montré prêt à prouver, en m'appuyant sur les faits, que, depuis que la presse a mis la libre discussion au-dessus de toute contrainte physique, il est devenu impossible de faire triompher le jansénisme, le

R. T.

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joséphisme, le protestantisme, le libéralisme, par les moyens de la force brutale ou gouvernementale. Il me semble que si j'avais aujourd'hui un procès à soutenir comme en 1828 et 1829, accusé dans les mêmes termes, je serais fort bien défendu, non par les mêmes hommes, mais par les mêmes raisons. C'est là, ou je me trompe fort, la meilleure preuve que, sous toutes les dénominations possibles, je n'ai au fond pas changé du tout; c'est là plus qu'il n'en faut pour ôter aux paroles de M. de Gerlache le sens que M. Huybrecht leur a donné.

car,

L'unique but de l'union, répétons-le pour une dernière fois, était d'empêcher que le pouvoir ne pesât sur un des bassins de la balance, qui ne devait baisser ou s'élever que par la propre gravité des opinions qui y étaient soumises à l'appréciation générale. Les catholiques, en 1830, se figuraient à tort - je n'ai jamais varié sur ce point que leur bassin l'emporterait; les libéraux, en 1857, craignent à tort également —— je ne varierai pas davantage à cet égard — que le leur ne soit emporté. Les uns et les autres actuellement, chose étrange, les libéraux n'ont pas gagné en courage ce que les catholiques perdaient en confiance,-les uns et les autres demandent à la loi de les protéger contre leurs adversaires. Ont-ils donc oublié que protection et asservissement sont corrélatifs? et que, la force étant désormais essentiellement ambulatoire, celle qui les soutient aujourd'hui les renversera demain? que le pouvoir qui les caresse ne tardera pas à les fustiger? Et ils lui fourniraient eux-mêmes des verges exceptionnelles ! Ce serait pousser l'ingénuité un peu loin.

M. Huybrecht compare entre elles les révolutions de 1830, en France et en Belgique à Paris, dit-il, on s'était insurgé contre les jésuites; à Bruxelles, on se souleva pour les prêtres. Non pas. Les deux révo

lutions se firent également contre l'arbitraire qui, chez nos voisins, défendait les jésuites et les avait pour auxiliaires, chez nous, proscrivait avec les jésuites, quiconque lui était hostile en réclamant le même droit pour tous les citoyens, jésuites et autres.

Je n'ai personnellement qu'à me louer de l'impartialité, je dirai même de la bienveillance avec laquelle M. Huybrecht m'a jugé ; je suis d'autant plus sensible à cette équité courtoise qu'elle m'a été départie fort rarement. Il ne m'accuse pas, comme le roi Guillaume faisait de tous ceux qui osaient lui résister, d'avoir été un partisan plus ou moins déclaré de la France. Je n'avais en effet pour but que la liberté pour tous mes concitoyens de toutes les opinions, et l'indépendance entière de mon pays, bien entendu la Hollande comprise. C'est même le lieu de le déclarer formellement je mettais l'indépendance, qui est, pour un État l'existence même, en première ligne et fort au-dessus de la liberté de ses habitants, qui n'est qu'un mode pour eux d'y exister. La question d'une séparation entre les provinces du nord et celles du midi, que j'avais déjà soulevée bien avant la révolution, ne se présenta jamais à mon esprit comme devant entraîner le morcellement du royaume des PaysBas. Je ne l'entendais exclusivement que comme une séparation purement parlementaire et administrative, qui aurait réuni les deux grandes divisions de l'État par un lien fédéral sous une seule et unique direction politique. Il n'y avait à mes yeux point d'autre moyen de rendre la liberté aux provinces belges, plus peuplées que celles de Hollande, et qu'une représentation seulement égale avait permis jusqu'alors d'opprimer, tandis que cela aurait empêché la Belgique, qui, tôt ou tard, aurait fini par conquérir une représentation équitable, de jamais opprimer les provinces hollandaises.

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