Images de page
PDF
ePub

pape. Il voyait partout des partisans de la France, dans les uns par esprit voltairien et révolutionnaire, dans les autres par amour pour les jésuites. La conduite qu'inspiraient naturellement ces préventions ridicules, lui fit perdre peu à peu la confiance des Belges; le mépris qu'il affecta de témoigner pour eux dans chacun de ses actes finit par le leur rendre odieux.

Les principes constitutifs de la loi fondamentale avaient été imposés à Guillaume par les traités de Paris et de Londres. Les libéraux réclamèrent constamment l'exécution franche et entière de cette loi, mais ne l'obtinrent jamais. Les catholiques, de guerre lasse, demandèrent également cette exécution. Ils avaient de prime abord rejeté la loi fondamentale, croyant en avoir le droit puisqu'on les interrogeait sur la question de savoir s'ils l'acceptaient, oui ou non; mais après qu'on les eut forcés d'être libres de la manière qu'ils avaient déclaré ne pas vouloir l'être, ils changèrent de tactique. Le doute ne leur était plus possible: ils se résignèrent à une position qu'ils n'avaient pas cherchée, et devinrent aussi constitutionnels que ceux qui, jusqu'à ce moment, avaient tourné la constitution contre eux. Le roi n'eut plus alors d'autre ressource que de porter lui-même la hache au pacte fondamental. Il soutint, tant contre les catholiques que contre les libéraux, que ce n'était point un contrat synallagmatique, liant au même titre les deux parties intéressées, mais bien une concession gratuite de sa part, qui obligeait ses co-associés seuls, et sur laquelle il pouvait revenir, lui, puisqu'il n'avait dépendu que de lui de ne pas l'accorder. Quand on considère les choses à ce point de vue, il devient évident que le véritable auteur de l'union de tous les Belges contre son pouvoir est Guillaume lui-même.

M. Huybrecht attribue l'infériorité politique que les

Hollandais nous reprochaient, au régime sous lequel nous avions vécu avant l'occupation française. Ne serait-il pas plus vrai de dire que ce fut cette occupation même qui, en nous aplatissant sous le niveau de la centralisation, nous fit perdre jusqu'au souvenir de nous être jamais mêlés de nos affaires et de celles de notre pays? Sous les gouvernements espagnol et autrichien, nous avions nos libertés, nos priviléges, comme on s'exprimait alors, et nous y tenions au point de nous révolter au moindre soupçon que le souverain voulût y porter atteinte. La grande nation vint, au nom de la république une et indivisible, nous enlever tout cela par le décret de réunion, et le grand Napoléon, après avoir confisqué la république, garda pour lui ce que la république avait confisqué.

Mais les couvents... Les couvents, je l'ai déjà dit, sont l'effet, non de la liberté rendue à la Belgique, mais de l'opinion dominante de ses habitants. Pourquoi les couvents se sont-ils relevés si promptement et si nombreux? Parce qu'ils avaient été supprimés par un coup d'État du despotisme. L'action violente de la suppression devait nécessairement amener la réaction dont nous sommes témoins. A moins qu'on ne la maintienne vivace par des mesures analogues à celle qui l'a occasionnée, cette réaction aura son terme.

Aurait-il fallu, par aversion pour les moines et les religieuses, suspendre la constitution de 1831, cette œuvre immortelle des hommes que Guillaume avait formés, au dire même de l'auteur avec lequel je discute ici, et qui, aussi bien que moi, fait du roi des Pays-Bas le vrai coupable de tout ce qui s'est fait contre lui en Belgique?

Selon M. Huybrecht, la fondation des couvents est un abus de la liberté. Ce serait alors la défense faite

aux catholiques de fonder des couvents qui constituerait, pour ces mêmes catholiques, l'usage légitime de cette liberté. Il y a là un bizarre accouplement de mots, qui fait soupçonner des idées peu nettes.

En effet, la liberté de chacun ne peut être restreinte que par la liberté des autres. Si elle n'est pas pour tous, elle n'est pour personne; et dès lors il n'y a plus de liberté il y a prépondérance de ceux qui sont déclarés libres, oppression de ceux qui ne le sont pas. Le gouvernement qui, en favorisant un pareil système, vient ainsi en aide à une secte, à un parti, à une opinion, pour étouffer ou écraser une autre opinion, un autre parti, une autre secte, ne témoigne que d'une chose, savoir, de sa faiblesse et de sa peur.

Pour en finir une bonne fois avec les couvents, disons qu'il y a un moyen bien simple de rendre déserts ceux qui existent et de faire qu'ils ne se repeuplent jamais : c'est de convertir les catholiques au protestantisme, au libéralisme ou au rationalisme. Ce moyen est un peu long peut-être, mais il est sûr, il est radical, et d'ailleurs il n'y en a point d'autre.

On m'objectera probablement mon aveu de tout à l'heure, celui que la liberté a pour but la domination. Je réponds que cette domination n'est jamais de longue durée à peine le parti le plus fort a-t-il porté la main sur l'arche sainte, qu'il décline; le parti opposé, devenu libre, prend sa place, d'où, coupable de lèse-liberté, il est chassé à son tour. C'est la loi de l'époque d'ignorance sans foi ni autorité, de l'époque sociale de doute, de notre époque. Nous devons la subir.

Et cela est vrai pour les libéraux comme pour les catholiques, et le sera aussi longtemps qu'il y aura des catholiques et des libéraux, des conservateurs et des progressistes, des bourgeois et des prolétaires, aussi

longtemps qu'il y aura des partis, des opinions, c'est-àdire qu'on ne saura pas avec certitude ce qu'il faut penser et faire. Quand les hommes auront une idée commune sur l'organisation rationnelle de la société, sur le droit de chacun et de tous, la liberté ne sera plus comprimée, qui la redouterait? - ni invoquée, - nul n'aura besoin d'y faire appel. Est-il jamais question de liberté en fait de calcul? A-t-on jamais songé à défendre, sous une autre peine que celle du ridicule, d'affirmer que deux et deux font trois ou cinq?

[ocr errors]

L'incessante préoccupation, ou plutôt l'obsession de M. Huybrecht, est la crainte des catholiques. « Les Hollandais, dit-il (t. XIII de la Revue, p. 273), voyaient mieux et plus loin que nous dans nos propres affaires : leur esprit réfléchi comprenait parfaitement que cette union des partis, sous la devise de la liberté en tout et pour tous, nous conduirait droit à un régime théocratique, et que les libéraux, tôt ou tard, seraient les dupes du clergé. » Et un peu plus bas (p. 279): « Nous approchons à grands pas d'un régime théocratique dont l'histoire nous fait connaître les résultats : appauvrissement et décroissance de la population, ruine du commerce et de l'industrie, et, par suite, diminution des ressources de l'État. >>

Les évêques de Gand et de Bruges ne pourraient-ils pas, avec autant de raison que leur adversaire, rétorquer contre lui ces sorties accusatrices, en y changeant seulement les mots libéral en catholique et catholique en libéral; régime théocratique en direction maçonnique ou domination bourgeoise? De quel côté alors serait la vérité? Au choix de chacun probablement, puisque la preuve n'est nulle part. Plaisante vérité que celle qui appartient aux deux camps ennemis, pourvu qu'elle modifie légèrement son uniforme! Mais ne badinons

pas; la matière est trop importante pour ne point être traitée sérieusement.

M. Huybrecht a beau insister, je ne vois pas en Belgique les symptômes alarmants qu'il signale, et le régime théocratique m'y échappe complétement. Ce régime m'apparaît plutôt en Hollande, où le gouvernement cherche à s'étayer de l'orthodoxie calviniste, que l'opposition libérale combat avec les mêmes armes qui ont servi aux Belges à conquérir la liberté en tout et pour tous.

Notre pays prospère comme tous ceux qui se trouvent dans les mêmes conditions, c'est-à-dire en pressurant ses prolétaires, en augmentant le nombre de ses pauvres, qui, chez nous comme ailleurs, contribuent par leur misère à la fortune publique, et qui supportent cette misère avec une rare longanimité. Notre population est loin de décroître, si ce n'est celle des riches qui voudraient bien que la classe des prolétaires se multipliât moins effrayamment. Quant au commerce et à l'industrie, il n'y a de souffrance que chez les petits fabricants et les négociants à peu de ressources; et c'est précisément de cette souffrance que découlent les bénéfices toujours plus considérables de l'aristocratie manufacturière et marchande. Du reste, au sommet de ce déplorable système, tout marche à souhait : l'État n'éprouve aucune peine à se faire avancer par les capitalistes l'argent dont il a besoin, tantôt sous la forme de l'impôt ordinaire, tantôt sous celle d'un emprunt quelconque, sauf à donner main forte aux prêteurs pour que ceux-ci se fassent rembourser avec usure par les salariés.

Soyons de bon compte la question du catholicisme peut fort bien intéresser les bourgeois, protestants politiques ou religieux, les libéraux en un mot, qui se

« PrécédentContinuer »