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«Est-il nécessaire que le faubourg de la Cambre soit relié à la ville par un chemin de fer? »

La réponse me paraît ne pouvoir être qu'affirmative.

1er juillet 1857.

QUESTION D'ARGENT.

Ne sutor ultrà crepidam. Voilà un précepte latin qui recommande au bottier de ne faire que des bottes.

Cet avis est sage; mais il ne faut pas en faire une application trop rigoureuse. Si vous laissiez les architectes bâtir toujours comme ils l'entendent, sans vous permettre la moindre critique de leurs plans, la ville et les faubourgs verraient s'élever un grand nombre de monuments agréables à voir peut-être, mais de maisons habitables un très-petit nombre; et vous risqueriez d'avoir plus de sculpture à votre façade que de jour et d'air dans vos appartements.

Si vous laissiez toujours la parole aux idéologues, vous qui n'êtes point philosophes, vous verriez le champ de la politique, de la morale et de la religion singulièrement labouré.

Il m'est avis qu'il est permis à chacun de faire usage de son bon sens, en toute matière.

Les hommes spéciaux, pourquoi exposent-ils leurs idées? Pour que le public juge s'ils ont raison.

Nous qui sommes du public, nous pouvons donc avoir notre mot à dire sur l'objet de leur spécialité.

Les économistes et les hommes de finance ont beaucoup écrit depuis quelque temps sur l'or et sur l'argent. Il me plaît à moi de dire aussi mon mot sur cette vile matière. Personne du moins ne me répondra « Vous êtes orfévre, Monsieur Josse. >>

Quand on se fut assuré que chaque ruisseau de la Californie et même de l'Australie était un Pactole, tous les hommes de bon sens firent un raisonnement bien simple :

<< La découverte du Pérou a eu pour effet immédiat un épouvantable renchérissement du prix de toute. chose; la découverte bien plus importante de l'or californien et de l'or australien sera suivie d'un renchérissement doublement épouvantable. » Il est évident en effet que la rareté d'une valeur échangeable en fait le haut prix, et que plus l'or deviendra abondant, moins vous aurez de marchandises en échange de votre or.

Les économistes ne pouvaient nier cela; mais il faut toujours compliquer un peu les choses, quand on parle au nom de la science. Les publicistes de l'économie sociale ont donc si bien compliqué, on pourrait dire embrouillé la question de l'or, que le bon vulgaire a fini par croire qu'il s'était trompé, et que l'abondance de l'or, au lieu de tourner à mal, serait un bienfait, et que le prix de toutes les choses nécessaires à la vie diminuerait au lieu d'augmenter.

Malheureusement l'expérience de ces dernières années a terriblement prouvé le contraire, et comme il paraît que la Californie et l'Australie, sans parler de la Russie, ne seront pas épuisées d'ici à longtemps, il est bon, il est prudent de nous mettre en garde contre les théories, et d'examiner les choses par nos propres yeux.

Après avoir un peu lu et un peu plus réfléchi, j'ai trouvé (mille pardons, ami lecteur, pour cette vieille

habitude peu littéraire que j'ai contractée de parler à la première personne du singulier, le pluriel me paraissant encore moins tolérable), j'ai trouvé, dis-je, qu'un revenu de 10,000 francs, il y a cinquante ans, valait autant qu'nn revenu de 20,000 aujourd'hui, et qu'un revenu de 10,000 aujourd'hui ne vaut pas plus que 6 à 7,000 il y a dix ans.

La progression décroissante continuant de la même manière, et il est à prévoir qu'elle continuera, je vous engage à établir dès à présent vos calculs et à songer sérieusement à l'avenir, afin de ne pas avoir à descendre inopinément, vous et les vôtres, peut-être jusqu'en bas de l'échelle sociale, où vous tenez jusqu'à présent une certaine place, fût-ce même une place distinguée. -Que faut-il faire? allez-vous demander.

La réponse est difficile et compliquée.

Règle générale. Si vous êtes rentier, ce qui est une magnifique profession, tâchez d'asseoir votre revenu, ou du moins une bonne partie d'icelui, sur quelque chose de solide, comme une terre ou des briques. C'est la vieille méthode; mais nulle autre n'est sûre, croyezmoi.

- Mais la terre ne me rapportera que 3 p. % au plus de sa valeur, allez-vous dire; les maisons rapportent le double; mais il faut déduire les dépenses annuelles qu'elles occasionnent, entretien, réparations, contribution foncière, sans parler des loyers qui ne sont pas toujours payés régulièrement et qui s'arrêtent quelquefois un temps.

Je réponds : la valeur de la propriété foncière ira crescendo à mesure que celle de l'or ira diminuendo. Cela est évident, cela se voit déjà à présent, et se verra encore mieux d'ici à dix ans.

Donc acheter un hectare de terre ou même une mu

raille de briques, pourvu qu'elle soit située dans une localité d'avenir, comme on dit, c'est placer de l'argent à la caisse d'épargne, avec accumulation des intérêts. Il ne s'agit que de savoir si vous êtes assez riche pour pouvoir placer à la caisse d'épargne; c'est votre affaire.

Ce qu'il y a de plus dangereux au monde, dans ce système, ce sont les rentes fixes et invariables, hypothéquées ou non, payables par l'Etat ou par les particuliers. Ceux qui n'ont que des rentes de cette espèce marchent vers leur ruine, puisque leur revenu reste le même, tandis que le prix de toute chose augmente. Les actions industrielles qui rapportent des dividendes ne sont pas sujettes au même inconvénient, vu que le dividende doit augmenter avec la valeur des produits industriels.

Aussi avons-nous vu les propriétaires d'actions dans les houillères du Hainaut, par exemple, s'enrichir dans une proportion effrayante (pas pour eux); tandis que les rentiers proprement dits (ceux à rentes fixes), gens encroûtés et incorrigibles, se sont appauvris presque dans la même mesure, en attendant leur ruine complète, que la dépréciation de l'or amènera infailliblement.

Quant aux actions des banques, elles rapportent jusqu'à présent un bel intérêt; mais ce résultat n'est dù qu'à des causes accidentelles, qui probablement ne dureront pas longtemps. L'essor prodigieux imprimé à l'industrie depuis quelques années, a nécessité l'emploi de capitaux énormes; mais cet essor doit nécessairement s'arrêter un jour, et alors les actionnaires des banques et des sociétés financières de toute espèce n'auront plus un aussi beau jeu. C'est alors que l'on pourra voir si le papier est aussi solide que la terre et les briques.

Espérons que quelque grande catastrophe politique ou sociale n'amènera pas cette démonstration d'une manière encore plus catégorique, avant que l'industrie ne soit parvenue à son apogée!

Si vous devez vivre de votre travail, ce qui est le lot de la généralité des hommes, tâchez de devenir producteur dans le sens ordinaire du mot; c'est-à-dire, ayez un travail qui produise une chose usuelle quelconque dont le prix augmentera à mesure que l'or sera plus commun soyez fabricant, cultivateur, marchand, si vous voulez. Mais gardez-vous de vendre de la science, des paroles ou des idées, parce que, de toutes les marchandises, celles-là seront les dernières dont on consentira à augmenter le prix. Ne soyez ni militaire, ni magistrat, ni employé, par la même raison. Les produits de la plume et de l'écritoire ne seront plus jamais rétribués dans une proportion équitable, c'est-à-dire eu égard au travail et au talent qu'ils nécessitent. Il est vrai, que dans ces derniers temps, on en a fait un terrible abus c'est peut-être ce qui en a dégoûté tout le monde, et déprécié la marchandise.

Quant à l'épée, on la loue et on la flatte, dans le moment où elle peut nous défendre ou nous tuer; mais ce moment-là passé, on en fait mépris et on remet son existence même en question. Quant à ce qui est d'augmenter son salaire, pour qu'elle puisse tenir le rang qui lui convient, par cette cherté écrasante... Allons donc! vous n'y pensez pas!... Les électeurs vous mettraient à la porte...

Le plus sûr parti, ce serait de fabriquer ou de vendre des objets de première nécessité. Ne voyez-vous pas déjà que depuis quelques années tout le monde (j'entends parler du demi-monde,du 1/4 ou du 1/8, veut être boucher.

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