Imágenes de página
PDF
ePub

férieusement la comparaifon d'Hélène avec Hercule, à peu-près comme Fontenelle dans fes dialogues compare Alexandre & Phriné. Cette manière de chercher de petits rapports qui étonnent l'efprit fans l'éclairer, n'a du être approuvée dans aucun fiècle. Cet éloge en vingt pages ne vaut pas les trois vers d'Homère, où deux vieillards qui s'affligeoient ensemble des maux de la guerre, en voyant pas fer Hélène auprès d'eux, ceffent toutà-coup de s'étonner que l'Europe & l'Afie combattent depuis dix ans. Les trois vers font d'un grand homme: les vingt pages font d'un rhéteur.

On trouve enfuite l'éloge de Bufiris, Roi d'Egypte. C'eft à peu-près comme l'éloge de Domitien ou de Néron. Comment un Ecrivain eft-il affez malheureux pour fe dire à lui-même de fang-froid, effayons de faire l'éloge d'un tyran. Ce n'eft pas qu'lfocrate ne blâme ce fujet : mais il le

[ocr errors]

traite, dit-il, pour faire voir à un rhẻteur qui l'avoit manqué, comment il auroit dû le traiter lui-même. Il faut en vérité estimer bien peu l'art d'écrire & de parler aux hommes, pour donner de pareilles leçons.

Le troisième éloge eft pour l'exécution & le fujet, d'un mérite fort fupérieur à celui-là. C'eft l'éloge funèbre d'un Roi, adreffé à fon fils. Ce Roi, grand homme affez obfcur, fe nommoit Evagoras & étoit Souverain de l'ifle de Chypre. Ligué avec les Athéniens & les Perfes, il contribua à abbattre les Lacédémoniens oppreffeurs de la Grèce, & tirans d'Athènes. Il fervit affez bien le Roi de Perfe pour mériter d'en être craint,& ayant effuyé l'ingratitude & l'orgueil ordinaires aux grandes puiffances contre les petites, il ofa combattre le Roi qu'il avoit fervi, & avec fes feules forces, foutint pendant dix ans les forces de l'Afie. Ifocrate ajoute qu'il eut le

talent

talent de gouverner; qu'avant lui les habitans de l'Ile de Chypre entièrement féparés des Grecs, étoient tout à la fois efféminés & fauvages, ignorant également la guerre & les arts, & joignant la barbarie à la molleffe; que ce Roi leur donna & le courage qui élève l'ame, & les arts qui l'adouciffent; qu'il créa parmi eux un commerce & une marine, & de ces barbares voluptueux fit tout à la fois des guerriers & des hommes inftruits. C'est à la tête de ce difcours qu'Ifocrate fe plaint que de fon temps on aimoit à louer des héros, qui peutêtre n'avoient jamais exifté, tandis qu'on refufoit quelques éloges à d'excellens citoyens avec qui on avoit vécu. » Accoutumons, dit-il, les >> hommes & l'envie à entendre louer » ceux qui l'ont mérité, & pardon» nons aux grands hommes d'avoir » été nos contemporains

"

[ocr errors]

Le quatrième éloge & en même-
Tome I.

E

temps le plus fameux difcours d'Ifocrate, eft celui qui eft intitulé le Panégyrique. On a prétendu qu'Ifocrate avoit été dix ans, & felon d'autres quinze à le compofer. Malheur à un ouvrage d'éloquence qui auroit coûté quinze ans ! Plus il feroit travaillé, moins il feroit lu. Quoi qu'il en foit jamais peut-être orateur dans aucun pays ne traita un fi beau fujet. Athènes & Lacédémone fe difputoient l'empire de la Grèce. Elles fe déchiroient pour commander, & la Perfe profitoit de leurs divifions pour les rendre efclaves. L'orateur entreprend de prouver en faifant l'éloge d'Athènes, que c'eft à elle qu'appartient naturellement l'empire, & il exhorte les Grecs à s'unir tous ensemble, pour porter la guerre chez leurs communs ennemis. On a dit que c'étoit la lecture de ce difcours, qui avoit décidé Aléxandre à conquérir l'Afie. Je n'en crois rien. Celui qui pleuroit enfant,

en apprenant les conquêtes de fon père, n'avoit pas besoin d'une harangue pour renverfer le trône de Darius. Il y a d'ailleurs certaines lectures analogues à des ames de héros ; & pour un homme tel qu'Aléxandre, il n'y avoit d'Ecrivain qu'Homère.

Ifocrate dans une vieilleffe avancée, compofa un autre éloge,c'étoit le fien. Il avoit quatre-vingt-deux ans ; & depuis cinquante ans peut-être, l'envie le poursuivoit dans Athènes. Des Sophistes qui avoient l'orgueil d'être fes rivaux, fans en avoir le droit, & qui s'indignoient d'une réputation qu'ils n'avoient pas, lui faifoient un crime de fes fuccès. Calomniateurs, parce qu'ils n'avoient pu réuffir à être éloquens, ils l'accufoient en particulier, en public, dans les converfations, dans les tribunaux. Ifocrate prit enfin le parti de répondre. Ce difcours d'un vieillard, qui pour réfuter l'envie, fait la revue de fes penfées depuis quatre

« AnteriorContinuar »