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l'aviliffement. Après la mort de Socrate dont il avoit été le difciple, il ofa paroître en deuil dans Athènes, aux yeux de ce même peuple affaffin de fon maître; & des hommes qui parloient de vertus & de loix en les outrageant, ne manquèrent pas de le nommer féditieux, lorfqu'il n'étoit que fenfible. Ayant perdu des biens confidérables, il ouvrit une école & y acquit des richeffes immenfes. Le fils d'un Roi lui paya foixante mille écus un difcours où il prouvoit très-bien qu'il faut obéir au Prince. Mais bien-tôt après il en composa un autre, où il prouvoit au Prince qu'il devoit faire le bonheur des fujets. Plufieurs de fes disciples devinrent de grands hommes; & comme partout le fuccès fait le mérite, leur gloire ajouta à la fienne. Il avoit eu le malheur d'être l'ami de Philippe, de ce Philippe le plus adroit des conquérans & le plus politique des Princes; aimé de l'oppref

feur de fon pays, il s'en justifia en mourant; car il ne put furvivre à la bataille de Chéronée. Voilà pour fa perfonne à l'égard de fon éloquence, fi nous en jugeons par la célébrité, il fut du nombre des hommes qui honorèrent leur patrie & la Grèce. Les calomnies de fes rivaux nous attestent fa gloire; car l'envie ne tourmente point ce qui eft obfcur. Nous favons qu'on venoit l'entendre de tous les pays, & il compta parmi fes auditeurs des Généraux & des Rois. Aux hommages de la foule, qui flattent d'autant plus qu'ils tiennent toujours un peu de la fuperftition & de l'enthoufiafme d'un culte, il joignit le fuffrage de quelques-uns de ces hommes, qu'on pourroit, au befoin, opposer à un peuple entier. On prétend que Démofthène l'admiroit. Il fut loué Sopar crate. Platon en a fait un magnifique éloge. Cicéron l'appelle le père de l'éloquence. Quintilien le met au rang

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des grands Ecrivains. Denis d'Halicarnaffe le vante comme Orateur Philofophe, & homme d'Etat. Enfin après fa mort on lui érigea deux statues : & fur fon mausolée on éleva une colonne de quarante pieds, au haut de laquelle étoit placée une fyrène, image & fymbole de fon éloquence. Il eft difficile que dans les plus beaux temps de la Grèce, on ait rendu ces honneurs à un homme médiocre. D'un autre côté, Aristote n'en parloit qu'avec mépris. Il eft honteux defe taire, difoit-il, lorfqu'Ifocrate parle. Faut-il penfer qu'un grand homme connut l'envie? Et l'ame qui forma Aléxandre, eut-elle un fentiment bas? Ou bien un Philofophe qui étoit tout à la fois Phyficien, Géometre, Naturaliste, Politique, Dialecticien, qui avoit porté l'analyse dans toutes les opérations de l'efprit, affigné l'origine & la marche de nos idées, cherché dans les paffions humaines toutes les

règles de l'éloquence & du goût, & en qui le concours & l'union de toutes ces connoiffances devoit former un efprit vaste, & une imagination qui aggrandiffoit tous les arts en réfléchiffant leur lumière les uns fur les autres; ne devoit-il pas en effet avoir moins d'eftime pour un Orateur qui avoit plus d'harmonie que d'idées, & pour un Maître d'Eloquence qui favoit mieux les règles de l'art, que l'origine & le fondement des arts même & des règles? Mais Ariftote n'a pas été le feul à penfer ainfi. Au fiècle de Céfar & d'Auguste, plufieurs Romains célèbres ne goûtoient point du tout les ouvrages d'Ifocrate; & sûrement Brutus étoit de ce nombre. Au fiècle de Trajan, Plutarque le peignoit comme un Orateur foible & un citoyen inutile, qui paffoit fa vie à arranger des mots & à compaffer froidement des périodes, Au fiècle de Louis XIV, Fénélon le traitoit encore plus mal.

Ifocrate felon lui, n'est qu'un Déclamateur oifif qui fe tourmente pour des fons, avide de petites graces & de faux ornemens, plein de molleffe dans fon ftyle, fans philofophie & fans force dans fes idées. Ainfi prefque toutes les réputations font des procès indécis, qu'on perd d'un côté & qu'on gagne de l'autre. L'un méprife; l'autre admire. Je me rappelle ce français pendu en effigie à Paris, & dans le même temps Miniftre de France en Allemagne.

il

Pour lever ces contradictions faut avoir recours aux ouvrages même. Je ne parlerai ici que des éloges de cet Orateur. Ils font au nombre de fix.

Et d'abord, qui croiroit que l'homme qui prit le deuil à la mort de Socrate, ait compofé un éloge d'Hélène? Cet ouvrage, comme on le voit par le titre, n'eft & ne peut être qu'un miférable abus de l'efprit. On y fait

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