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fiècles. On peut dire que par elle le génie s'étend, l'ame s'élève, l'homme tout entier multiplie fes forces; & delà les travaux, les méditations fublimes, les idées du légiflateur, les veilles du grand écrivain; delà le fang verfé pour la patrie, & l'éloquence de l'orateur qui défend la liberté de fa nation.

Il ne faut donc pas s'étonner que les ames ardentes & a&tives aient été toures paffionnées pour la gloire. On connoît le mot de Philippe, à qui un courtifan féroce confeilloit de détruire Athènes; & par qui feronsnous loués? Ces mêmes Athéniens étoient les maîtres & les tyrans d'Alexandre qui étoit le maître du monde; c'étoit pour eux qu'il combattoit qu'il détrônoir, qu'il faifoit des Rois. Il fe précipitoit fur les champs de bataille, pour que les poëtes, les muficiens & les ouvriers d'Athènes diffent en fe promenant fur la

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place, qu'Alexandre étoit grand *. Ce fentiment est un aiguillon pour les uns, eft un frein pour les autres. Souviens-toi, difoit un Philosophe à un Prince, que chaque jour de ta vie eft un feuillet de ton hiftoire. Et il faudroit que tous les matins ce fût la première parole qu'on fit entendre aux Princes, à leur réveil. L'amour de la gloire veilleroit autour d'eux pour en repouffer les foibleffes & les vices tar tel eft le caractère de ce fentiment; il eft fier, délicat, févère à lui-même. A chaque penfée, à chaque action qu'il médite, il s'environne de témoins. L'univers eft fon cenfeur, & la postérité fon juge.

D'où naît ce fentiment? de la nature même de l'homme. Ambitieux & foibles, mélanges d'imperfection & de grandeur, une eftime étrangère

*O Athéniens, difoit-il, qu'il en coûte pour être eftimé de vous !

peat feule justifier cellé que nous tâchons d'avoir pour nous-mêmes. Elle met un prix à nos travaux, elle nous fait croire à nos vertus, elle nous raffure fur nos foibleffes. Elle occupe de plus notre activité inquiète qui a befoin de mouvement, & qui cherche à fe répandre au dehors. L'amour de la gloire nous pouffe & nous précipite hors de nous. Nous échappons à l'ennui & à nous-mêmes; nous volons au devant du temps; nous vivons où nous ne fommes pas. La calomnie fiffle dans un coin; mais la gloire parcourt la terre; elle acquitte la dette du genrehumain envers la vertu & le génie.

On a beaucoup déclamé contre la gloire; cela eft naturel: il eft beaucoup plus aifé d'en dire du mal que de la mériter. Tacite étoit plus ingénu; il convenoit que c'étoit la dernière paffion du fage, & apparemment la fienne. Il y a des hommes qui fe vantent de la méprifer, & pour qu'on

n'en doute pas, ils le répètent: c'eft une raifon de plus pour ne les point croire. Chacun en fecret y prétend; mais l'un s'affiche, & l'autre fe cache. L'un a la vanité des petites choses, & l'autre l'orgueil des grandes. Corneille mettoit fa gloire à faire Cinna; un courtifan de fon fiècle, à paroître avec grâce dans un ballet.

Voulez-vous favoir ce que peut le fentiment de la gloire? ôtez-la de deffus la terre. Tout change. Le regard de l'homme n'anime plus l'homme; il eft feul dans la foule. Le passé n'eft rien. Le préfent fe refferre. L'avenir difparoît. L'inftant qui s'écoule périt éternellement, fans être d'aucune utilité pour l'instant qui doit suivre.

En parcourant l'hiftoire des empires & des arts, je vois par-tout quelques hommes fur des hauteurs, & en bas, le troupeau du genre-humain qui fuit de loin & à pas lents. Je vois la gloire qui guide les premiers, & ils guident l'univers.

En méchanique, on préfère les machines qui produifent les plus grands effets par les plus petits moyens. En politique on doit faire de même; or telle eft cette paffion: Sparte a befoin de trois cents hommes qui meurent; ils fe dévouent. Sparte fait graver quelques lettres fur les rochers teints de leur fang; voilà leur récompense. C'eft peut-être avec deux ou trois cents couronnes de chêne que Rome a conquis le monde. Mais ces illufions fublimes n'appartiennent ni à toutes les ames, ni à tous les fiècles.

Le fentiment de la gloire fuppofe le retranchement des paffions communes. Ou il n'existe pas, ou il occupe l'ame toute entière. Ne l'atten

dez pas d'un peuple chez qui domine: l'intérêt la gloire eft la monnoie des Etats, mais la gloire ne repréfente rien où l'or repréfente tout. Nè l'attendez pas d'un peuple. voluptueux : ce peuple n'a que des fens; il ne fait

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