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d'entrer. Enfin en le quittant, & le quittant pour jamais, on lui difoit pour foi & pour tout le peuple, le long & éternel adieu. Tout cela enfemble, furtout chez une nation auftère & grave, devoit affecter profondément & infpirer des idées auguftes de religion & de morale.

On ne peut douter que ces éloges, avant qu'ils fuffent prodigués & corrompus, ne fiffent une forte impreffion fur les ames. Leur institution reffembloit beaucoup à celle de nos oraifons funèbres mais il y a une différence remarquable, c'eft qu'ils étoient accordés à la vertu, non à la dignité. Le laboureur & l'artifan y avoient droit comme le fouverain. Ce n'étoit donc point alors une cérémonie vaine, où un orateur que perfonne ne croyoit, venoit parler de vertus qu'il ne croyoit pas davantage, tâchoit de fe paffionner un inftant pour ce qui étoit quelquefois l'objet du mépris public & du

fien, & entaffant avec harmonie des menfonges mercénaires, flattoit longuement les morts, pour être loué lui-même, ou récompenfé par les vivans. Alors on ne louoit pas l'humanité d'un général qui avoit été cruel, le défintéreffement d'un magiftrat qui avoit vendu les loix: tout étoit fimple & vrai. Les Princes euxmêmes étoient foumis au jugement, comme le refte des hommes; & ils n'étoient loués que lorfqu'ils l'avoient mérité. Il est jufte que la tombe foit une barrière entre la flatterie & le Prince, & que la vérité commence où le pouvoir ceffe. Nous favons par l'hiftoire, que plufieurs des Rois d'Egypte qui avoient foulé leurs peuples pour élever ces pyramides immenfes, furent flétris par la loi, & privés des tombeaux qu'ils s'étoient eux-mêmes conftruits. Lorsqu'un de ces Princes étoit mort, & que le peuple étoit affemblé, il paroiffoit alors différens

accufateurs pour dépofer contre fa mémoire. L'un venoit en habits de deuil, & difoit: il a fait périr ma femme & mes enfans; j'apporte ici les dernières plaintes qu'ils prononcèrent en mourant; ô juges, vengeznous. Un autre; il m'a ravi ma liberté & j'étois innocent; voilà mes chaînes; elles dépofent contre lui; & je viens les fecouer fur fa tombe. Des malheureux, en lambeaux, difoient: nous avons été arrachés de nos maifons pour bâtir ces pyramides & ces palais: fur chacune de ces pierres que vous voyez, a coulé quelqu'une de nos larmes. Et fouvent des milliers d'homde femmes & d'enfans, étendant leurs bras à la fois, s'écrioient tous enfemble: il a caufé la mort de nos pères, de nos frères, de nos époux, qui tous ont péri dans une guerre injufte; ô juges, en prononçant fur lui, fongez à leur fang. Ainfi, aux pieds de ce tribunal de l'Egypte, retentifCy

mes,

foient les plaintes des malheureux : mais il manquoit quelque chofe à la justice ; il eût été à fouhaiter que l'oppreffeur entendît fous fa tombe, & que fa froide cendre pût friffonner. Mais auffi lorfqu'un Prince humain & bienfaifant, tel qu'il y en eut plufieurs, avoit ceffé de vivre, & que les prêtres récitoient fes actions en préfence du peuple, les larmes & les acclamations fe mêloient aux éloges; chacun béniffoit fa mémoire, & on l'accompagnoit en pleurant, vers la pyramide où il devoit éternellement repofer.

Depuis trois mille ans, ces ufages ne fubfiftent plus : & il n'y a dans aucun pays du monde, des magiftrats établis pour juger la mémoire des Rois. Mais la renommée fait la fonction de ce tribunal: plus terrible, parce qu'on ne peut la corrompre, elle dicte les arrêts, la postérité les écoute, & l'hiftoire les écrit.

CHAPITRE V.

Des Grecs, & de leurs Eloges funèbres en l'honneur des Guerriers morts dans les combats.

DE

Es Egyptiens, les arts passèrent chez les Grecs, & bientôt les éloges naquirent en foule. De tous les peuples du monde, les Grecs font peutêtre ceux qui ont été les plus paffionnés pour la gloire. La beauté du climat, en développant leur imagination, leur donnoit un caractère enthousiaste & fenfible. La liberté élevoit leurs ames. L'égalité des citoyens leur faifoit mettre un grand prix à l'opinion de tous les citoyens. La loi, en permettant à chacun d'aspirer aux charges, & de décider des affaires de l'Etat, leur défendoit de fe mépriser eux-mêmes. Les arts vils abandonnés à des mains d'efclaves, les empê

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