Imágenes de página
PDF
ePub

que comme ces monuments gothiques qui fervent à faire connoître un fiècle, & empêchent un vuide dans l'histoire des arts.

Tout tomboit alors; bientôt l'empire d'Occident, ébranlé pendant trois fiècles, difparut. Les conquérans du nord qui avoient fi fouvent pillé Rọme, mêlèrent enfin la politique à la fureur,& voulurent s'établir dans cette ville qu'ils avoient ravagée. Le dernier monument que nous ayons de l'éloquence romaine, eft le panégyrique d'un de ces barbares. Il eft vrai que ce barbare étoit un grand homme. C'est le célèbre Théodoric, contemporain de notre Clovis, & Roi des Goths. Elevé à Conftantinople où il avoit été livré comme ôtage, il y prit les connoiffances des Grecs & leur

[ocr errors]

laiffa leurs vices & leur molleffe. Renvoyé dans fa patrie, le spectacle d'un peuple fier & libre acheva fon éduca

tion. Il devint conquérant & homme d'Etat, protégea Bifance, fubjugua Rome, la répara & l'embellit après l'avoir conquife, joignit partout les lumières au courage, établit différents tribunaux pour juger les Italiens & les barbares, & fit en même temps une multitude de loix fages pour réunir les deux nations divifées, à peu-près comme le vainqueur de Darius eut le projet de réunir les Grecs & les Perfes. Il eft affreux qu'il n'y ait prefque pas un prince célèbre qui n'ait des taches. Alexandre fut déshonoré par le meurtre de Clitus & le fupplice bien plus barbare de Califthène; Auguste par les profcriptions; Vefpafien par fes rapines & le meurtre d'Helvidios Prifcus; Trajan par fes excès dans le vin; Adrien par fes mœurs; Conftantin par le meurtre de prefque toute fa famille ; Julien par

fes fuperftitions;

Théodofe par le maffaere de Theffa

lonique, & Théodoric dont nous par lons, par le meurtre de Simmaque : tant parmi les hommes, & furtout ceux qui ont le malheur d'être puiffans, on trouve peu de vertus qui foient pures, & de grands caractères fans foibleffes! Heureufement dans les grandes ames, pour fuppléer aux vertus; le ciel a placé les rémords. Théodoric dans les derniers moments de fa vie croyoit voir, dit-on, la tête fanglante de Simmaque qui le poursuivoit. Il feroit à fouhaiter pour le bonheur dur genre humain, que cette hiftoire füt vraie, & qu'après les grands crimes, des spectres vengeurs pourfuiviffent du moins ceux qui par leur place & leur pouvoir font au-deffus des loix.

Tel étoit ce Théodoric fur lequel nous avons un panégyrique latin. Souvent les panégyriques valent mieux que les rois : ici c'eft le contraire. L'orateur, comme tous ceux que nous

4

avons cités depuis le règne de Dioclé tien, étoit originaire des Gaules. Il naquit en 473, & fe nommoit Enno→ dius. Il fe maria, entra dans le clergé du vivant de fa femme, fe rendit cé lèbre dans les lettres, fut Evêque de Pavie en 510, entreprit deux voyages en Orient pour réunir les deux Eglifes, & n'y réuffit point. On dit qu'Anaftafe, Empereur de Conftantinople, le renvoya dans un vaiffeau à demi brifé & prêt à faire naufrage, avec défenfe de le laiffer aborder dans aucun port de la Grèce. Cet affaffinat de la part d'un lâche qui veut faire périr l'ob jet de fa haine, & qui n'ofe le faire ou vertement, étoit bien digne de la cour de Bizance, où de tout temps l'efprit général fut un mélange de cruauté & de foibleffe. Quoi qu'il en soit, Ennodius échappé au danger mourut trois ans après en 521. Il étoit hiftorien, poëte, orateur; & fa réputation

le fit choifir pour prononcer l'éloge du conquérant & du pacificateur dé l'Italie. Cet ouvrage, comme je l'ai dit, eft parvenu jufqu'à nous; mais ces fortes de lectures reffemblent aux voyages des Antiquaires parmi des ruines. On ne fait dans quelle langue il eft écrit. La douce harmonie du lan gage des Cicéron & des Virgile a difparu. Déja on fent partout l'influence des dialectes fauvages du nord. Chaque phrafe eft prefqu'une énigme à deviner. On voit qu'alors, c'eft-à-dire au commencement du fixième siècle, l'éloquence étoit en proie aux barbares comme l'Italie. Ainfi dans l'efpace de près de cinq cents ans, les loix, les mœurs, les arts, le gouvernement, la religion, le langage même, tout avoit changé ; & dans le pays où Céfar & Caton, Cicéron & Augufte avoient parlé aux maîtres du monde, en atteftant fouvent les dieux de l'empire

« AnteriorContinuar »