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alors avec le plus grand fuccès. Telle étoit la fituation des efprits lorfque

Julien parut.

Nous favons par l'hiftoire quels furent fon caractère & fes goûts. Paffionné pour les Grecs, nourri jour & nuit de la lecture de leurs écrivains, enthousiaste d'Homère, fanatique de Platon, avide & infatiable de connoiffances; né avec ce genre d'imagination qui s'enflamme pour tout ce qui eft extraordinaire; ayant de plus une ame ardente, & cette force qui fait plus fe précipiter en avant que s'arrêter; d'ailleurs accoutumé dès fon enfance à voir dans un empereur chrétien le meurtrier de fa famille, & dans le fond de fon cœur tendant peut-être la religion complice des crimes qu'elle condamne; placé entre l'ambition & la crainte, inquiet fur le p élent, incertain fur l'avenir; fes goûts, fon imagination, fon ame, les malheurs de fa famille, les fiens, tou: fembloit Tome I.

le préparer d'avance à ce changement qui éclata dans la fuite.

On ne peut douter en le lifant qu'il ne fut féduit par cette efpèce de théologie platonique qui régnoit alors, & dont il parle dans tous fes écrits avec enthousiasme, Son hymne au Soleil Roi eft une hymne au Logos, ou à l'Intelligence éternelle qui joue un fi grand rôle dans Platon.

On ne peut prefque pas douter qu'il n'ait cru aux Génies. Deux fois il crut voir celui de l'empire; l'une en fonge & dans les Gaules, lorsqu'il délibéroit s'il accepteroit le trône; l'autre dans la Perfe, & peu de temps avant fa mort, lorfque pendant la nuit, il méditoit fous fa tente. Alors le Génie de l'empire lui parut trifte & défolé, & la tête couverte d'un voile. Julien luimême raconta ces deux apparitions à fes amis.

Enfin, quand on le voudroit, il feroit également impoffible de douter

qu'il n'eut un penchant profond à la fuperftition. Oracles, préfages, facrifices, mystères, divinations, cérémonies théurgiques, il embraffoit tout; il fe livroit à tout. On le voit; l'idée que la divinité pouvoit fe communiquer à l'homme, idée fi analogue d'ailleurs à fon fiècle & aux idées générales qui occupoient alors l'univers,tourmentoit & agitoit fon efprit. On a beau dire je ne puis croire que fa politique feule fit fa fuperftition. La politique a moins de zèle, & n'a pas fur-tout cette activité inquiète & curieufe. L'intérêt qui veut traîner le peuple aux autels, peut bien se mêler aux facrifices, dans les fêtes & les cérémonies publiques; mais l'intérêt ne joue pas l'enthousiasme religieux, tous les jours, tous les inftans, & dans tous les détails de la vie.

Que penser donc de Julien ? qu'il fut beaucoup plus philofophe dans fon gouvernement & fa conduite que

dans fes idées; que fon imagination fut extrême, & que cette imagination égara fouvent fes lumières; qu'ayant renoncé à croire une révélation générale & unique, il cherchoit à chaque inftant une foule de petites révélations de détail; que fixé fur la morale par fes principes, il avoit fur tout le reste, l'inquiétude d'un homme qui manque d'un point-d'appui; qu'il porta, fans y penfer, dans le paganifme même, une teinte de l'austérité chrétienne où il avoit été élevé; qu'il fut chrétien par les mœurs, platonicien par les idées, fuperftitieux par l'imagination, payen par le culte, grand fur le trône & à la tête des armées, foible & petit dans fes temples & dans fes myftères; qu'il eut en un mot le courage d'agir, de penser, de gouverner & de combattre, mais qu'il lui manqua le cou rage d'ignorer; que malgré fes défauts, car il en eut plufieurs, les payens durent l'admirer, les chrétiens durent

le plaindre, & que dans tout pays où la religion, cette grande bafe de la fociété & de la paix publique, fera affermie, fes talens & fes vertus fe trouvant féparés de fes erreurs, les peuples & les gens de guerre feront des vœux pour avoir à leur tête un prince qui lui ressemble.

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