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On fait qu'il eut l'éducation la plus auftère. Il apprit dans la retraite, dans l'étude, dans l'éloignement des plaifirs, à fe former & à commander aux hommes. Il est vrai que peut-être il fut forcé à la vertu par le malheur. La mort de fon père & de fes frères, & leur affaffin fur le trône, l'avertiffoient d'être fimple & modefte; mais auffi environné de meurtres, il eut à lutter contre l'exemple des crimes. Mis à la tête de l'empire, il y foutint fon caractère. On le vit à la cour dédaigner le fafte, fuir la molleffe, combattre fes fens, dompter en tout la nature fe contenter de la nourriture la plus groffière. Souvent il la prenoit debout, fouvent fe la refufoit, dormoit peu, n'avoit d'autre lit qu'une peau étendue fur la terre, & paffoit une partie des nuits ou dans fon cabinet, ou fous fa tente, occupé au travail & à l'étude. Enfin fous la pourpre il eut les maximes, & mena la vie rigide de

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Caton. On dira peut-être que ce font là plutôt des vertus d'un cénobite que d'un prince. On fe trompe. On ne pense point affez combien dans celui qui gouverne, cette vie auftère retranche de paffions, de befoins; combien elle ajoute au temps, combien elle laiffe aux peuples, combien elle diminue les moyens de corruption & de foibleffe, combien par l'habitude de fe vaincre, elle élève l'ame.

Ce qui ajoute à fon mérite, c'est que dur pour lui-même, il n'en fut pas moins compatiffant pour les autres. En rendant la juftice, il tempéra par l'indulgence d'un prince, l'équité d'un juge.

On fait qu'à l'humanité de détail qui foulage dans le moment le malheureux qui fouffre, il joignit cette humanité plus étendue qui prévoit les maux, rétablir l'ordre, fubftitue les grandes vues à la pitié, & fans le fecours de cette fenfibilité d'organes

qui eft auffi fouvent une foibleffe qu'une vertu, fait faire un bien même éloigné, & s'attendrir fur des malheurs qu'elle ne voit pas. Ainfi il s'occupa du foulagement des peuples. Mais d'autres empereurs qui eurent les mêmes vues, n'étant pas contredits fur le trône, purent être humains impunément: Julien long-temps Céfar, affujetti dans fon pouvoir même à un tyran jaloux, qui l'avoit créé par befoin, & le haïffoit par foibleffe; qui lui cût permis de faire le mal pour fe déshonorer, & craignoit qu'il ne fit le bien; qui tout à la fois barbare & lâche, defiroit que les peuples fuffent malheureux, pour que le nouveau Céfar fût moins redoutable: Julien environné dans les Gaules, des miniftres de cette cour qui étoient moins fes officiers que fes ennemis & déployoient contre lui cette audace que donne à des tyrans fubalternes le fecret de la cour, & l'orgueil d'être

inftrumens & complices de la volonté du maître Julien enfin traversé en tout, par ces hommes qui s'enrichiffent de la pauvreté publique, eut bien pius de mérite à arrêter les abus & à foulager les provinces.

Dans un empire tout militaire, & où le foldat féroce & avare vendoit fon obéiffance à prix d'or, il fut réfifter à l'avidité des troupes.

On confpira contre lui, & il pardonna.

A l'exemple de Trajan, il foumit à la loi un pouvoir qui, par la force fecrette de la nature & des chofes, ne tend que trop fouvent à s'affranchir de la loi. Comme lui, il fit la guerre en perfonne; comme lui, combattit en foldat. Enfin en mourant il témoigna la plus grande fermeté, & le courage tranquille d'un homme qui obéit à la nature, & que fes actions confolent de la briéveté de fa vie. *

Voici fes dernières paroles telles qu'on

On voit par toute la vie de Julien, & par quelques-uns de fes ouvrages, que fa grande ambition étoit de reffembler à Marc-Aurèle. Si on regarde les talens, il eut plus de génie. Si on regarde le caractère, il eut plus de fermeté peut-être, & fut plus loin de cette bonté dont on abuse, & qui

les trouve par-tout. « Mes amis, la nature » me redemande ce qu'elle m'a prêté. Je le » lui rends avec la joie d'un débiteur qui s'ac

quitte. L'ame n'eft heureufe que lorsqu'elle » redevient libre ; & pour les gens de bien, » fouvent la mort eft une récompenfe. Je la » reçois comme une grace. Si j'avois vécu plus » long-temps, j'aurois peut-être fait quelque » action indigne de moi. Aujourd'hui je meurs » fans remords, parce que j'ai vécu sans crime. » J'ai gouverné les provinces avec douceur. » J'ai détesté la puissance arbitraire. Je n'ai » fait la guerre que pour obéir à la patrie. Je

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→ remercie le Dieu éternel. Ce feroit être éga» lement lâche & de vouloir mourir quand il » faut vivre, & de regretter la vie quand il eft » temps de mourir ».

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