Imágenes de página
PDF
ePub

fur publiquement l'ami de celui dont il avoit été le difciple en fecret. Il paroît que Libanius n'eut que l'ambition des lettres, & de cette espèce de gloire qui eft indépendante de la fortune & des princes. Julien lui offrit une fortune qu'il dédaigna. Pouvant être Préfet du palais, c'est-à-dire avoir une des premières places de la cour, il aima mieux refter orateur & homme de lettres. C'eft un exemple à propofer à ceux qui aviliffent les talens par l'intrigue, & briguent quelquefois de grandes places, parce qu'ils ne savent point honorer la leur.

On voit par l'histoire, qu'il foutint toujours le même caractère. Julien irrité contre les magiftrats d'Antioche, avoit fait mettre en prifon le fénat tout entier. Libanius vint parler à l'Empereur pour fes concitoyens. Comme il mettoit dans fon difcours cet accent fier & vigoureux de la liberté & du courage, un homme pour qui appa

remment

remment cet accent-là étoit nouveau,' lui dit : orateur tu ès bien près du fleuve Oronte, pour parler fi hardiment. Libanius le regarda, & lui dit ; » cour

[ocr errors]

tisan, la menace que tu me fais ne » peut que déshonorer le maître que » tu veux me faire craindre »; & il continua. Julien qui avoit témoigné d'abord beaucoup d'empreffement à le voir, parut dans la fuite le négliger. Libanius ne fe montra plus à la cour. L'empereur, en allant au temple, le vit dans la foule, & fut étonné qu'il ne vint pas à lui. Les princes & tous ceux qui, fans être princes, ont ou croient avoir quelque fupériorité fur les autres, font fujets à porter le defpotisme jufques dans l'amitié. Ils exi. gent beaucoup & donnent peu. Libanius avoit cette fenfibilité fière qui veut qu'il n'y ait plus de rang où eft l'amitié; qui en calcule tous les devoirs, parce qu'elle les trouve tous dans fon cœur ; que l'inégalité révolte;

Tome I.

P

que les marques d'indifférence bleffent; qui ne fe plaint pas, ou ne fe plaint qu'une fois, mais qui emportant dans fon cœur l'amitié outragée, fe tait & fe retire. Julien le fentit, & revint à lui. Quoiqu'empereur, il fit les premières démarches. Comme ils s'eftimoient tous deux, leur amitié fut vraie. Cependant Libanius n'alla jamais depuis au palais de Julien, fans être appellé. Il avoit lui-même exigé cette condition; car on en peut faire avec fes amis, quand l'inégalité des rangs pourroit changer en fervitude les hommages libres de l'amitié.

Plufieurs ouvrages de Libanius se font perdus ; mais il nous en refte encore une partie. De ce nombre font fes éloges ou panégyriques. Il y en a un prononcé devant les deux empereurs Conftantin & Constant; deux en l'honneur de Julien pendant fa vie, & deux après la mort. En 363 il fut choisi par cet empereur, pour

[ocr errors]

faire le panégyrique d'étiquette. Julien y affifta, & applaudit à l'orateur avec transport, oubliant que c'étoit luimême qu'on louoit. C'eft ainfi qu'on a vu un poëte célèbre dont on repréfentoit une pièce, mêler fes acclamations aux cris du public, oubliant également & le théâtre, & les fpectateurs, & lui-même. Je fais que ces fortes d'actions font extraordinaires & doivent le paroître. Mais la nature paffionnée a fon prix, comme la nature réfléchie; & les hommes peutêtre les plus estimables, ne font pas ceux qui règlent froidement & fenfément tous les mouvemens de leur ame, qui avant de fentir ont le loifir de regarder autour d'eux, & fe fouviennent toujours à temps qu'ils ont befoin d'être modeftes. Que ces genslà aient l'honneur d'être fages, & qu'ils laiffent à d'autres l'efpérance d'être grands.

Il faut avouer que les difcours de

Libanius n'exciteroient pas le même enthousiasme aujourd'hui. Je ne parle point des défauts de goût, des citations multipliées d'Homère, de la fureur d'exagérer, d'un luxe d'érudition qui retarde la marche fière & libre de l'éloquence, & annonce plus de lecture que de génie. Ce font-là les défauts du fiècle plus que de l'orateur : mais il en a d'autres qui lui font perfonnels. Son ftyle a quelquefois de l'affectation & de la recherche. Photius lui reproche de laiffer trop appercevoir dans fes difcours l'empreinte du travail, & d'avoir éteint par un defir curieux de perfection, une partie de ces grâces faciles & brillantes que lui donnoit la nature lorfqu'il parloit fur le champ. On lui a reproché auffi de l'obfcurité. Il faut en convenir; ce n'eft pas celle de quelques grands écrivains comme Tacite, qui voyant à une grande profondeur, où raffemblant beaucoup d'idées en peu

« AnteriorContinuar »