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avec le ciel, un pacificateur entre Dieu & l'homme, un nouvel ordre de justice, une vie à venir, & de grandes efpérances, ou de grandes craintes au delà des temps; tel étoit le tableau que cette éloquence préfentoit aux hommes. L'orateur qui parloit au nom de Dieu, devoit avoir nécessairement un ton plus augufte. Les idées religieufes, en Afie fur-tout, & dans l'époque d'une religion naiffante, devoient communiquer plus de chaleur à l'imagination. Des principes qui tendoient à élever la foibleffe, à rabaiffer l'orgueil, à égaler les rangs par les vertus, devoient donner à l'éloquence un mêlange de force & de douceur. Enfin l'étude & la méditation des livres facrés, répandirent fouvent fur ces difcours une teinte orientale, inconnue jufqu'alors aux orateurs de l'empire. D'un autre côté, le mépris d'une vaine gloire, l'absence des paffions, l'impreffion que l'orateur fai

foit fouvent par la feule idée du Dieu dont il étoit le miniftre, enfin la perfuafion qu'entre les mains dela Divinité tous les inftrumens font égaux, durent ou retarder, ou affoiblir les progrès de ce genre d'éloquence. Les orateurs Chrétiens, par leurs principes même, devoient négliger l'art. Plufieurs auroient cru outrager la vérité en l'ornant, & affoiblir la cause de Dieu, en recherchant trop les vains fecours de l'homme. De tout cela ensemble, dut naître un mêlange de beautés & de défauts; de négligence dans le ftyle, & de grandeur dans les idées ; quelquefois toute la force & toute l'impétuofité du zèle religieux; quelquefois toute la foibleffe d'une morale froide & monotone; ce qui peut fouvent frapper l'imagination; ce qui doit fouvent révolter le goût.

Conftantin fut loué également par les orateurs des deux religions. Rome payenne en fit un Dieu; Rome chré

tienne en fit un faint: il étoit le bienfaiteur de l'une; il étoit pour l'autre un homme tout puiffant, & un prince qui avoit eu de grands fuccès. Son goût pour les fciences, multiplia encore fes panégyriftes; car c'est une espèce de féduction à laquelle les philofophes même ne résistent pas. Enfin fon règne fut long; ce qui ajoute à cette idolâtrie des cours, qui naît encore plus de l'habitude que du fentiment. Il ne faut donc pas s'étonner fi en Italie, dans la Grèce, dans les Gaules, en Afie, dans les villes, dans les camps, partout les panégyriques le poursuivoient. A chaque fuccès, à chaque pas, il étoit puni d'une victoire par un éloge.

De cette foule innombrable, heureufement il ne nous en reste aujourd'hui que fix ou fept. Je me donnerai bien de garde de parler de tous; mais il y en a un qui m'a paru affez fingulier pour mériter d'être connu. L'orateur

commence par dire que jufqu'alors n'ayant pas manqué une occafion de célébrer tout ce qui avoit été fait de grand par la divinité de Conftantin, il regarderoit comme un facrilege, de paffer fous filence quelque chofe de bien plus grand que tout le refte, c'est la victoire fur Maxence. Il fent bien que fes talens font peu de chofe, furtout fi on les compare à ceux de tant de célèbres orateurs : » mais dans un » combat, dit-il, au milieu du fon des » clairons & des trompettes, on mêle » auffi quelquefois le fon de la flûte ». Après ce début il entre en matière. Il eft étonné que fon héros avec fi peu de forces, ait tenté une guerre fi importante; affurément, lui dit-il, vous » avez quelqu'intelligence fecrette » avec l'ame univerfelle & divine, qui » daigne fe manifester à vous feul, » tandis que nous, que nous, ce font des dieux » fubalternes & du fecond ordre, qui

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» font chargés de nous conduire ».

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Enfuite il ne peut comprendre qu'il fe foit trouvé dans l'univers des hommes qui aient en l'audace de réfister à Conftantin, » eux qui auroient du, lui dit» il, céder, je ne dis pas à la présence » de votre divinité, mais en entendant » feulement prononcer votre nom ». Bientôt après ce che orateur fait un crime à fon héros d'avoir combattu lui-même, de s'être mêlé au milieu des ennemis, & d'avoir par-là, dit-il, prefque caufé la ruine de l'univers. C'est la première fois fars doute qu'un orateur romain a donné des leçons de lâcheté à un prince. C'eft bien le moins quand on fait la guerre pour difputer un trône, de combattre foi même, & de fe mêler dans fa propre caufe à ceux qui veulent bien combattre & mourir pour elle. On feroit tenté de fe rappeller ici le mot d'un fameux Anglois fur Philippe V & l'Archiduc

* Milord Péterborough.

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