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moins rougir le grand homme qui la mérite & craint de l'entendre ; & à l'égard de celui qui ne feroit que vain au lieu d'être grand, elle lui épargneroit encore l'embarras pénible d'être modeste.

Nous n'avons point de panégyrique d'Antonin, qui cependant valoit bien la peine d'être loué; nous favons feulement qu'un orateur Grec nommé Callinicus, auteur de plufieurs autres éloges, avoit fait le panégyrique de ce prince, mais rien de cet orateur ne nous est resté que fon nom.

Ariftide, orateur Grec de la Mafie, & qui vivoit dans le même temps, compofa un éloge d'Athènes, un de Rome, & un panégyrique de MarcAurèle. Nous les avons encore. It étoit établi à Smyrne, & y jouiffoit de la plus grande réputation. MarcAurèle arrivé dans cette ville, fut curieux de l'entendre. Il remarqua qu'il n'avoit point paru dans la foule

des courtisans, & le demanda. Le lendemain Aristide parut. Il s'excufa fur fon travail, de ce qu'il n'avoit point vu l'empereur la veille. Ce prince lui propofa un fujet, & il fut charmé de fon éloquence. Aristide parcourut l'Italie, l'Egypte, une partie de la Grèce, & eut partout des fuccès. Smyrne ayant été renverfée par un tremblement de terre, les habitans le prièrent. d'écrire à l'empereur. Il fit à MarcAurèle une peinture touchante des malheurs de cette ville; Marc-Aurèle attendri, fit rebâtir Smyrne, & les habitans élevèrent une ftatue de bronze à l'orateur. Cette ftatue fubfifte encore. Elle eft affife & drapée placée dans la bibliothèque du Vatican à Rome. Malheureusement les ouvrages d'Ariftide démentent un peu cette réputation & ces honneurs. On auroit pu lui dire, ou brife ta ftatue ou anéantis tes ouvrages. Son panégyrique de Marc-Aurèle fur-tout, el

&

trop inférieur au fujet. On n'y trouve

ni élévation

ni chaleur, ni fenfi

bilité, ni force. L'éloquence en eft foible, & la philofophie commune. Je défie tout homme sensible de penfer une heure à Marc-Aurèle, & de ne faire mieux.

pas

Il y a apparence que dans le même temps ce prince fut loué par un homme plus digne de lui ; c'étoit Cornélius Fronto, un des plus fameux orateurs qu'il y ait eu à Rome. Nous n'avons rien de fes ouvrages, mais Macrobe dans fes fatires, Aufone dans son panégyrique, S. Jérôme & Sidoine Apollinaire dans leurs lettres, en parlent avec la plus grande eftime. Ce qui prouve qu'il n'étoit pas médiocre, c'eft qu'il avoit un genre d'éloquence à lui, & que, comme les peintres célèbres, il fit une école. Ceux des Romains qui jugeoient au lieu d'écrire, & fe contentoient d'apprécier les talens fans en avoir, en claffant leurs

orateurs, citoient Cicéron pour l'abondance, Salufte pour la précision, Pline pour l'agrément, Fronto pour une certaine gravité austère. Antonin le choifit pour donner des leçons à Marc-Aurèle; & Marc-Aurèle fur le trône, lui fit élever une ftatue. De plus il le nomma conful. Ainfi il eut tous les honneurs qui fuppofent &. augmentent la réputation. Nous n'avons qu'une feule phrafe de fon panégyrique; elle nous a été confervée dans un autre ouvrage de ce genre, prononcé cent cinquante ans après. On doit estimer l'orateur qui loua un grand homme; mais on fouhaiteroit que ce grand homme n'eût pas fouffert qu'on le louât de fon vivant.

Ce fut ainfi que penfa un général Romain, qui vingt ans après fut proclamé empereur en Syrie. C'étoit Pefcéninus Niger. Il avoit pour lui fon armée, le fénat & le peuple; mais Septime Sévère l'écrafa par fon acti

vité. Dès que Niger fut proclamé, auffi-tôt un de ces hommes qui fe hâtent les premiers d'être vils, dès qu'un autre devient puiffant, compofa fon panégyrique, & voulut le lui réciter. Niger le regarda en pitié; & voici fa réponse; « orateur, faites» nous l'éloge de Marius, ou d'Anni" bal, ou de quelqu'autre grand homme qui ne foit plus ; & dites-nous » ce qu'il a fait, pour que nous l'imi» tions. Car louer les vivans, est in» térêt ou foibleffe ; & fur-tout louer » les princes, dont on espère, dont > on craint, qui peuvent donner, qui » peuvent mettre à mort, qui peuvent

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profcrire. Pour moi, vivant, je veux » être aimé ; & loué, quand je ne ferai plus ». Celui qui parloit ainfi, méritoit de vaincre en difputant le trône.

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On retrouva depuis le même fentiment dans ce jeune Alexandre Sévère qui empereur à treize ans, & mort à

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