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thène fur la tribune, entendoit derrière lui les chaînes que traînoit l'ambition des tyrans; il avoit fa liberté & celle de fon pays à défendre; mais pour les fophiftes, tout étoit fiction, menfonge. Il s'agiffoit d'amufer un peuple oifif, & d'attirer quelques battemens de mains à l'orateur.

Ces applaudiffemens même dont ils étoient fi jaloux, & après lefquels ils couroient, devoient corrompre leur éloquence. Tout homme qui veut être applaudi, dénature fa penfée. Ou il en cache une partie pour faire davantage briller l'autre ; ou il faifit un rapport qui étonne & qui eft plus fingulier que vrais ou il détache ce qui devroit être fondu dans l'enfemble, & le met en faillie; ou pour avoir l'air de s'élever & de voir de plus haut, il généralife un fentiment qui ne conferve fa force qu'autant qu'il eft lié à une fituation; ou il ajoute au fentiment même, & pour étonner exagère; ou par une

genre d'éloquence amolli comme les habitans. Il femble que cette efpèce de vigueur qui donne un mouvement rapide à l'efprit & du nerf aux idées, ait toujours manqué à l'Afie. Le voifinage du defpotifime, l'influence même du ciel, la multitude des fenfations douces & calmes, plus de fenfibilité pour les plaifirs, moins de difpofition à l'exercice violent & actif de la penfée, & le defir d'un certain repos de l'ame, tout cela ensemble, dans des climats plus chauds, a dû nuire à l'éloquence. Auffi les orateurs d'Europe ont eu fur les orateurs de l'Afie, les mêmes avantages que les guerriers du nord eurent de tout temps fur ceux du midi.

D'ailleurs pour être vraiment éloquent, il faut un fujet qui intéreffe l'orateur; il faut un peuple qui s'intéreffe au fuiet. Les orateurs de l'ancienne Grèce défendoient tous, en parlant, de grands intérêts. Démof

thène fur la tribune, entendoit derrière lui les chaînes que traînoit l'am-bition des tyrans; il avoit fa liberté & celle de fon pays à défendre; mais pour les sophistes, tout étoit fiction, menfonge. Il s'agiffoit d'amufer un peuple oifif, & d'attirer quelques bats temens de mains à l'orateur.

Ces applaudiffemens même dont ils étoient fi jaloux, & après lefquels ils couroient, devoient corrompre leur: éloquence. Tout homme qui veut être applaudi, dénature fa pensée. Ou il en cache une partie pour faire davantage briller l'autre ; ou il faifit un rapport qui étonne & qui eft plus fingulier que· vrais ou il détache ce qui devroit être fondu dans l'enfemble, & le met en faillie; ou pour avoir l'air de s'élever & de voir de plus haut, il généralife un fentiment qui ne conferye fa force qu'autant qu'il eft lié à une fituation; ou il ajoute au fentiment même, & pour étonner exagère; ou par une

cle, au moins dans les premiers fiècles de l'empire, agitoit fortement les efprits & les ames. L'orateur le philofophe & le poëte devoient donc avoir l'ame bien plus exercée à Rome, & être bien plus réveillés par le mouvement & le choc des idées, qu'au fond de la Grèce & de l'Afie, où les impreffions arrivoient affoiblies par la distance.

Les défauts même des écrivains devoient être différens. A Rome tout devoit tendre à un certain excès, & dans les villes grecques à une certaine molleffe. La corruption du goût qui naît des vices & des paffions fortes, eft différente de celle qui naît du défaut d'énergie, & de l'oifiveté qui s'amufe de tout. L'une fait trop d'efforts; l'autre n'en fait pas affez. Ainfi l'une exagère, l'autre affoiblit. Et par là même peut-être le goût à Rome étoit plus près d'une décadence entière que dans la Grèce & dans l'Afie: car celui

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qui ne va point où il peut aller, eft bien plus près de la nature que celui qui eft emporté au delà. En fait de goût, il faut moins de force pour remonter au but, que pour y redefcendre.

Parmi ces orateurs ou fophiftes Grecs dont nous venons de parler, un très-grand nombre composèrent des éloges de particuliers, de villes & d'empereurs. Il nous en refte un fur Trajan, mais dans un genre tout-à-fait différent de celui de Pline. L'auteur étoit Dion Chrisoftôme, furnommé ainfi à caufe de fon éloquence. Il parut à Rome fous Domitien; mais comme il avoit autant de vertu que d'éloquence, il eut ou le courage ou le malheur de déplaire. Dans un pays d'esclaves, il fut libre; & parmi les menfonges des cours, il fut vrai. Dès que la vérité condamne, elle est regardée comme un outrage, & bientôt comme un crime. Sur le point d'être profcrit, il fut obligé de fuir. Il dé

Tome I,

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