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de l'oifiveté, des arts & des vices, nous a laiffé près de quatre-vingt petites pièces, ou épigrammes faites en l'honneur de Domitien. Ce font quatre-vingt monuments de baffeffe. On y apprend qu'il n'y eut jamais dans Rome, ni de temps fi heureux, ni de fuccès fi brillants, ni tant de liberté accordée par le Prince aux citoyens, ni tant d'amour des citoyens pour le Prince, que fous Domitien. On croiroit qu'il eft impoffible d'être plus vil. Martial a trouvé l'art de l'être encore plus; c'eft de répéter les mêmes éloges pour Trajan, & de blâmer alors les crimes de Domitien, qu'il avoit élevé jusqu'au ciel quand il régnoit. Quel est l'efclave étalé dans un marché pour être vendu, qui infpire autant de mépris & de pitié qu'un tel écrivain, qui cependant à la honte de fon fiècle & de Rome, eut de la répu

tation.

CHAPITRE X I V.

Panegyrique de Trajan par Pline le jeune,

Nous voici parvenus au panégy

rique de Pline, le premier & le plus célébre de tous les panégyriques d'Empereurs, que nous ayons. Pline est affez connu. On fait qu'il fut un des premiers orateurs de fon fiècle. Il étoit trop vertueux pour n'avoir rien à craindre fous Domitien; mais la mort du tyran lé fauva, Nerva & Trajan le chérirent; & ce qui met le comble à fa gloire, il fut le rival & l'ami de Tacite. Tous deux également célébres, & tous deux jouiffant de la gloire l'un de l'autre ils goûtoient ensemble dans le commerce de l'amitié & des lettres, ce bonheur fi pur que ne donnent ni les dignités, ni la gloire, & qu'on trouve encore moins dans ce

commerce d'amour propre & de careffes, d'affection apparente & d'indifférence réelle, qu'on a nommé fi fauffement du nom de fociété, commerce trompeur qui peut fatisfaire les ames vaines, qui amufe les ames indifférentes & légères, mais repouffe les ames fenfibles, & qui fépare & ifole les hommes, bien plus encore qu'il ne paroît les unir. Il faut voir dans les lettres de Pline même, tous les détails de cette union fi douce. On partage & l'on envie les charmes de leur amitié : ils vouloient vivre, ils vouloient mourir enfemble; ils défiroient, quand ils ne feroient plus, que la postérité unît encore leurs noms, comme leurs ames l'avoient été pendant la vie. Qu'on me pardonne de m'être arrêté un moment fur le fpectacle d'une amitié fi touchante. Il est doux, même en écrivant, de pouvoir fe livrer quelquefois aux mouvements de fon cœur: & j'aime encore mieux

-un fentiment qui me confole, qu'une vérité qui m'éclaire.

a dit

Pline étoit Conful, quand il prononça ce panégyrique célébre. On que pour le mériter, il n'avoit manqué à Trajan que de ne pas l'entendre. Heureufement il ne fut pas prononcé, comme il eft écrit. Ce n'étoit d'abord qu'un remercîment, avec quelques éloges: mais Pline avant que de Je publier, le retravailla. Il en fit prefque un nouvel ouvrage, & lui donna par dégré cette étendue que la plûpart des hommes ne pardonneroient pas même à une fatyre. Pour bien juger de fon mérite, ou de fes défauts, il faudroit le lire foi-même. Ceux qui ont reçu de la nature une ame forte, ceux qui ont le bonheur ou le malheur de fentir tout avec énergie, ceux qui admirent avec tranfport & qui s'indignent de même, ceux qui voyent tous les objets de très haut, qui les mesurent avec rapidité & s'élancent en

fuité ailleurs, qui s'occupent beaucoup plus de l'ensemble des chofes que de leurs détails, ceux dont les idées naiffent en foule, tombent & se précipitent les unes fur les autres, & qui veulent un genre d'éloquence fait pour leur manière de fentir & de voir, ceux là fans doute ne feront pas contens de l'ouvrage de Pline. Ils y trouveront peut-être peu d'élévation, peu de chaleur, peu de rapidité, prefque aucun de ces traits qui vont chercher l'ame, & y laiffent une impreffion forte & profonde. Mais auffi il y a des hommes dont l'imagination eft douce, & l'ame tranquille, qui font plus fenfibles à la grace qu'à la force, qui veulent des mouvements légers & point de fecouffes, que l'efprit amuse, & qu'un fentiment trop vif fatigue; ceux là ne manqueront pas de porter un jugement différent. Ils aimeront dans Pline la grace du stile, la finesse des éloges, fouvent l'éclat des idées.

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