Imágenes de página
PDF
ePub

reux, plus les colonnes étoient chargées d'éloges, d'infcriptions & de titres. A la fin un bon Roi ordonna de brifer ces marbres, & d'en difperfer les ruines.

Peut-être il eût été à fouhaiter qu'au moment où le premier orateur se préfenta pour prononcer le premier pané. gyrique devant un prince même vertueux, un citoyen plein de courage, fe mît tout-à-coup entre le prince & l'orateur, & élevant fa voix avec force, s'écriât ; » prince, qu'ofes-tu permet» tre, & que vas-tu entendre? Ferme » l'oreille à des difcours dangereux. »Tu mérites fans doute l'hommage

qu'on va te rendre; achève de le » mériter en le dédaignant. Aujour»d'hui la vérité te loue; demain la flat»terie t'attend. De tous côtés l'or» gueil te tend des pièges & te pourfuit. L'efclavage en filence te trom» pe & te flatte. Iras-tu encore peris mettre à un orateur de te corromprė

» avec art ? Si tu as les vertus dont il » te loue, ton cœur doit te fuffire: » fi tu ne les as point, il t'outrage. » As-tu befoin de vains éloges & de

panégyriques, pour apprendre que » tu nous rends heureux? Tes éloges, » tes panégyriques font nos champs » cultivés, nos villes heureufes, la priè»re fecrette du père de famille aux

[ocr errors]

"

pieds des autels, le vieillard qui lève » fes mains au ciel pour remercier les » dieux d'avoir prolongé fa vie. Quel » difcours prononcé devant toi, fe» roit plus éloquent » !

On ne peut douter qu'un prince ami de l'humanité, fi on avoit eû le courage de lui parler ainsi, avant qu'il entendît un de ses panégyriques, n'eût à l'inftant congédié l'orateur, & que le peuple affemblé n'eût prononcé des imprécations contre le premier citoyen, qui dans la fuite oferoit renouveller cet usage.

Il s'en falloit bien qu'on pensât ainfi

à Rome fous ce gouvernement féroce qu'on appella l'empire. Nous avons vu dans cette époque tout ce qui concernoit les éloges funèbres. Nous avons vu cet honneur accordé quelquefois à des monstres, quelquefois à des princes qui le méritoient. Mais quand on eft puiffant, on ne confent guères à n'être loué qu'après fa mort; & quand on eft efclave, on veut flatter ceux que l'on craint. Ainfi le pou voir d'un côté & la baffeffe de l'autre, firent le plus fouvent naître les panégyriques, que les uns eurent le courage d'entendre, & que les autres eurent l'audace de prononcer.

On eft effrayé, en lifant l'histoire, de la foule énorme de panégyriques dont les Romains accablèrent leurs Empereurs. Ce débordement ne fut pas fubit ; il ne vint que par dégrés. On commença par rendre des actions de graces au prince, lorfqu'on étoit nommé Conful. Quand on remercie,

[ocr errors]

il faut louer; & quand on loue, on veut plaire; rien de plus naturel : & ce qui ne l'eft pas moins, c'est de vouloir ajouter chaque année, à ce qui a été dit l'année précédente. Ce qui n'étoit donc qu'un remercîment, devint peu-à-peu un difcours ; & le difcours devint un panégyrique ; & le panégyrique fut ce qu'il devoit être ; c'est-à-dire qu'on y louoit toujours un peu plus les mauvais princes que les bons. On étoit fouvent en guerre : l'Empereur qui jouiffoit en paix des dépouilles du monde, fouvent ne fortoit point de fon palais; mais des Généraux qui avoient quelquefois la hardieffe d'être de grands hommes, lui gagnoient des batailles. Il étoit établi que ces batailles n'avoient été gagnées à trois cents lieues de lui, que par fes aufpices invincibles. Ainfi on ne difoit mot du Général ; & on prononçoit dans le fénat un panégyrique en l'honneur du prince. Mais fi par hazard l'Empe

reur fortoit de Rome en temps de guerre, pour peu qu'il lui arrivât, comme à Domitien; ou de voir de loin les tentes des armées, ou de fuir feulement l'efpace de deux ou trois lieues en pays ennemi, alors il n'y avoit plus affez de voix pour célébrer fon courage & fes victoires : à plus forte raifon, quand l'Empereur étoit un grand homme, & qu'à la tête des légions,il faifoit refpecter par fes talens la grandeur de l'empire. Le peuple romain de conquérant devenu oifif, & ne pouvant plus fe défennuyer en gouvernant le monde, aimoit les fêtes, & on les lui prodiguoit. Quand un prince avoit régné vingt ans, il falloit célébrer le bonheur de l'empire. C'étoit alors des jeux pour le peuple, & un panégyrique pour le prince. On trouva bientôt l'époque trop reculée. De vingt ans, on la mit à dix; enfuite à cinq. A chaque époque, nouvelle fête, & nouveaux éloges. Au bout du fiècle,

« AnteriorContinuar »