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vie efféminée; Vitellius qui fut le plus vil des hommes & des princes. Tous trois d'ailleurs périrent dans les guerres civiles : mais Vespasien dont on fit un Dieu, & qui par dix ans de fageffe. répara les cinquante-fix ans de tyrannie qui avoient précédé fon règne, dût être sûrement honoré d'un éloge funèbre, & le mérita.

On eft fâché d'apprendre que celui de Titus fut prononcé par Domitien. Soupçonné d'avoir empoisonné fon frère, il ofa mêler des larmes à fon éloge; mais il révolta les Romains au lieu de les tromper. Ses pleurs ne pafferent

que pour un outrage, & fa douleur, pour une hypocrifie barbare. On fait que ce prince voulut étouffer toutes les vertus avec tous les talens. Sous lui on publia les éloges de deux grands hommes ; c'étoient Thraféas & Helvidius. Tous deux dans des temps malheureux, avoient déployé de la hauteur d'ame, & une ri

gueur inflexible de vertu. Citoyens, fénateurs, amis, pères, époux, fidèles à tous les devoirs, au-deffus de l'intérêt, au-deffus de la crainte, opiniâtres dans le bien, & dédaignant une fa veur qu'on ne pouvoit gagner que par des baffeffes, ils avoient étonné Rome corrompue, & rappellé Rome ancienne. La récompenfe de tant dé vertus fut telle qu'on devoit alors s'y attendre, la mort. Elle fut auffi le prix de ceux qui eurent le courage de les louer; non- feulement les auteurs des éloges périrent, mais on voulut détruire jufqu'à leurs ouvrages. «Eh » quoi! dit Tacite, croyoit-on étouf» fer dans les mêmes flammes & la » voix du peuple Romain, & la liberté » du fénat, & le cri de l'univers *?

* Legimus, cum Aruleno Ruftico Patus Thrafea, Herennio Senecioni Prifcus Helvidius laudati effent, capitale fuiffe, neque in ipfos nodo auctores, fed in libros quoque corum favi

Cependant l'ufage de louer les Empereurs après leur mort, fubfiftoit toujours. Jamais cette inftitution ne dut paroître plus noble, que lorfque l'éloge funèbre d'Antonin fut prononcé dans la tribune par Marc-Aurèle, C'étoit la vertu qui louoit la vertu ; c'étoit le maître du monde qui faifoit à l'univers le ferment d'être humain & jufte, en célébrant la justice & l'humanité fur la tombe d'un grand hom me. De tous les honneurs rendus à la mémoire d'Antonin, ce fut là fans. doute le plus grand. On avoit décerné à ce Prince un culte & des autels; mais les Romains profanèrent plus d'une fois leur apothéofe en l'accordant à

tum, delegato Triumviris minifterio ut monumenta clariffimorum ingeniorum in comitio aq, foro urerentur. Scilicet illo igne vocem populi Romani, & libertatem fenatus, & confcientiam generis humani, aboleri arbitrabantur.

T4c, Yit. Agric. 2,

des tyrans; au lieu que la louange donnée par l'homme vertueux, eft un honneur qui ne fur jamais proftitué

au crime.

L'histoire nous parle encore de l'éloge d'un Empereur, prononcé par un autre Empereur; & Dion Caffius nous en a même confervé un fragment. Il eft agréable, mais plein de contrastes & d'antithèses: il paroît d'un genre d'éloquence où il y a plus d'efprit que de goût. L'orateur étoit Septime Sévère, qui avoit cultivé la philofophie & les lettres, homme d'état, homme de guerre, aufli actif que Céfar, auffi implacable dans fes vengeances que Sylla, enfin l'un de ces hommes qui nés pour le malheur & la gloire de leur pays, ont été tout à la fois grands & cruels.

Le Prince dont il fit l'oraison funèbre étoit Pertinax. Quoiqu'il n'eût régné que trois mois, il avoit laiffé une mémoire chère à tous les Romains,

On ne pouvoit guères parvenir d'un rang plus bas, à un plus élevé; car il étoit fils d'un affranchi, & devint Empereur. Quoique guerrier il fut humain, & fur le trône du monde il fut modefte. Malgré fes vertus, il fot affaffiné. Sévère ne prononça son éloge, qu'après avoir terminé les guerres civiles qui le mirent fur le trône. Il paroît que fon difcours étoit écrit avec foin: il le lut au lieu de le réciter. Il fut interrompu par beaucoup d'acclamations, car il étoit Empereur; & il n'y a point d'éloquence qui ne gagne, à être soutenue par dixmille gardes prétoriens.

Depuis cette époque, on ne trouve guères plus d'éloges d'Empereurs pro→ noncés par des Empereurs. Sur une trentaine de princes qui régnèrent de Septime Sévère à Conftantin, près de vingt-cinq périrent de mort violente; & ceux qui montoient fur le trône étoient pour la plupart des foldats de

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