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de Philippes. Ces noms étoient encore chers aux Romains, & leur rappelloient de grandes idées, à peu près comme les Grecs efclaves d'un Bacha, fe proménent avec orgueil à travers les ruines de leur pays. Germanicus, le modèle des Princes, Germanicus qui eut le tort d'être vertueux dans une

Cour corrompue, & fous Tibère le tort bien plus grand d'être adoré du peuple & de l'aimer, empoisonné en Afie n'obtint pas d'éloge funèbre dans Rome. Mais auffi la mémoire de Tibère ne manqua point d'être célébrée. L'éloge de Tibère fut prononcé par Caligula : c'étoit dignement commencer un règne qui devoit finir par tant de crimes ; & le panégyrifte, & le héros étoient dignes l'un de l'autre.

Il paroît que tous les Empereurs en montant fur le trône, faifoient euxmêmes l'éloge de leur prédéceffeur. C'eft ainfi que Claude fut loué par Néron. On nous a tranfmis fur cet

éloge quelques détails affez curieux. L'orateur commença par vanter beaucoup les ancêtres du Prince mort, comme fi Claude avoit rien de commun avec les ayeux, que d'avoir défhonoré un grand nom par une vie lâ– che. Il parla enfuite de l'application de Claude aux beaux-arts, & de fes étonnans fuccès, lui qui avoit pour tout mérite de s'être mêlé un peu de Grammaire, de parler fa langue avec pureté, & d'avoir donné un édit dont on fe mocqua, pour ajouter deux lettres à l'alphabet. Enfuite il vanta la tranquillité dont l'Etat avoit joui fous fon règne,à laquelle il n'avoit pas plus contribué, que ceux qui vécurent deux cens ans après lui. Enfin il vint à parler de fa rare prudence & de fa profonde fageffe; c'eft-à-dire de la profonde fageffe d'un Empereur qui n'avoit ni une idée dans la tête, ni un fentiment dans le cœur, qui ne fût jamais ni vouloir ni aimer ni

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haïr, toujours prêt à obéir à qui daignoit lui commander, jouet de fes courtisans, efclave de fes efclaves mê& fi ftupide qu'il inspiroit encore plus de pitié que de mépris. A ce mot de la fageffe de Claude, tous les Romains fe mirent à rire ; & l'on oublia pour un moment que l'orateur étoit le maître du monde. Au reste Néron n'étoit pas l'Auteur de cet éloge. Julqu'à lui les Céfars avoient compofé eux-mêmes tous leurs difcours; pour lui il s'étoit perfuadé qu'un Prince a mieux à faire que d'être éloquent ; & le maître de l'univers étoit plus jaloux du titre de joueur de flûte, & de bon cocher que de celui d'orateur. Ainfi lorsqu'il avoit à parler, il empruntoit ordinairement la plume & l'efprit de Sénéque. Nous ne pouvons nous empêcher de rappeller ici que ce même Sénéque prêta fa plume à Néron pour justifier dans le fénat, le meurtre d'Agrippine. Ainfi un orateur philofophe

fit l'apologie d'un pàrricide. Nous ajouterons pour l'honneur de l'éloquence & des lettres qu'il eut mieux valu imiter Papinien, qui cent cinquante ans après, preffé par Caracalla de lui compofer un difcours pour justifier devant le fénat de Rome le meurtre de son frère, dit pour toute réponse: il est plus aifé de commettre un parricide, que de l'excufer ; & aima mieux mourir que fe déshonorer.

Néron prononça fur la tribune un autre éloge; c'étoit celui de Poppée. Nous favons qu'elle étoit la femme la plus belle de fon temps. Elle avoit tout, dit Tacite, hors des mœurs. Elle étoit parvenue au rang d'Impératrice par ce mêlange de coquetterie, d'artifice & de graces, qu'ont eu tant de femmes célèbres. Néron en fit d'abord fa maîtreffe, enfuite fa femme; enfin le même homme fut fon amant, fon époux, fon affaffin. Extrême en toutes fes paffions, il la tua dans un mouvement

de colère, la pleura, fe détefta luimême, la fit embaumer avec les plus riches parfums de l'Furope & de l'Afie, & prononça en grand deuil fon oraifon funèbre fur la tribune romaine. Les Romains de ces temps-là applaudirent à l'éloge de Poppée, comme d'autres Romains fix cents ans auparavant, avoient applaudi à l'éloge du premier des Brutus.

Après cette époque, nous ne trouvons jufqu'à Titus aucune trace d'éloge qui ait été prononcé dans Rome, Quelque penchant qu'euffent les Romains à louer leurs Empereurs, il y a apparence que Néron empoisonneur, incendiaire & parricide, ne fut point loué après fa mort. L'excès des crimes fit difparoître l'excès de la baffeffe. Il peut fe faire qu'on n'ait pas loué davantage Galba, qui ne monta fur le trône que pour en être précipité par fa foibleffe; Othon qui n'eut que le mérite de finir avec courage une

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