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mée fut un crime, & qu'il fallut cacher fa gloire, comme dans d'autres temps on cachoit fa honte, on fent bien qu'alors il ne s'agiffoit pas de louer. les citoyens. Les grandes familles aimoient mieux la sûreté & l'oubli, que l'éclat & le danger. Les éloges funèbres des particuliers devinrent donc beaucoup plus rares. Cet honneur ne fut prefque rendu qu'à la famille impériale. Le defpotifme qui dans Rome engloutiffoit tout, se réserva jufqu'au droit d'être flatté pendant la vie & après la mort. On commença à Céfar. Cet homme qui avoit fait tant de mal à fon pays, & qui avoit commis le plus grand des crimes, celui de précipiter la corruption d'un peuple, fut loué fur cette même tribune où l'on n'auroit dû monter que pour flétrir fa mémoire. Tout le monde fait que fon éloge fut prononcé par Antoine; & que pour attendrir les Romains, l'orateur fit apporter fous leurs

yeux le corps de Céfar percé de coups. On peut dire que jamais éloge funèbre n'eut une fi grande influence; car il prépara l'esclavage de vingt nations. Le corps fanglant de Lucrèce avoit fait chaffer les tyrans de Rome; le corps fanglant de Céfar la remit dans les chaînes *.

Après Céfar, cet ufage fe perpétua. L'hiftoire nous apprend qu'Augufte prononça fur la tribune romaine un grand nombre d'éloges. Augufte qui, pendant une partie de fa vie, fut le plus vil des meurtriers, & pendant l'autre, le plus politique des Princes, eut comme prefque tous les Romains célébres de ce temps, le

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* On trouve dans le Jules-Céfar de Shakefpéar une imitation éloquente & forte de ce Difcours d'Antoine ; & le même morceau fort embelli dans la tragédie françoife de la Mort de Céfar, eft sûrement un des difcours les plus éloquens qu'il y ait jamais eu dans aucune langue.

mérite de l'éloquence. Il vécut à peu près autant que Louis XIV, & comme lui, vit périr prefque toute fa famille ; mais Louis XIV ne prononça point dans Paris l'éloge du Grand Dauphin & du Duc de Bourgogne. Augufte fit lui-même l'oraifon funèbre de Marcellus, fon neveu & fon gendre, & de Drufus, le fils de fa femme. On dit qu'à la fin de ce dernier éloge, il demanda aux Dieux la faveur de mourir comme ce jeune Prince, en combattant avec gloire pour le peuple Romain. Un tel langage eût été grand dans la bouche des Scipions; mais il dut paroître ridicule dans la bouche d'octave, qui favoit aff.ffiner & ne favoit point combattre, & ne verfa jamais que le fang des citoyens. Outre ces deux éloges, ce Prince prononça encore celui d'Octavie fa fœur, & il le prononça dans le temple de Céfar qui, pendant fa vie, prêtre & tyran, après sa mort devint Dieu. Il

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ne nous refte aucun des difcours d'Au gufte; nous favons feulement que ce meurtrier avoit un genre d'éloquence plein de fimplicité & de grâce: il faifoit des vers aifément*; & il avoit compofé les mémoires de fa vie. Tout cela s'eft perdu. On fe doute bien qu'il fut loué après fa mort. On célébra fon humanité & fa clémence, fur la tribune où la tête fanglante de Cicéron avoit été attachée.

Après lui vient ce Tibère, d'une politique fombre & d'une cruauté réfléchie; fourbe dans fa haine, & tyran dans fes caprices; auffi ennemi du courage que de la bassesse **; crai

* Il avoit fait un poëme fur la Sicile, & une tragédie d'Ajax.

** Angufta & lubrica oratio fub Principe qui libertatem metuebat, adulationem oderat. TAC. Ann. 2. 87.

Scilicet etiam illum qui libertatem publicam nollet, tam projecta fervientium patientia tadeAnn. 3. 65.

bat.

gnant de commander à des hommes, & s'indignant de ne trouver que des efclaves; bourreau de fa famille, de fes amis, de fes fujets; auffi redoutable par ses favoris que par lui-même. Ce monftre fut auffi orateur; &, à ce que nous apprend Tacite *, il avoit même une éloquence mâle & forte. Il avoit loué Drufus fon frère: il prononça l'éloge funèbre d'Augufte fon beau-père; & dans la fuite il eut le trifte courage de faire l'éloge de fon fils unique empoisonné par Séjan. Mais ce qui eût paffé peut-être pour fermeté dans un autre, ne fut attribué, dans ce cœur fombre, qu'à une dure infenfibilité.

Il y eut encore, fous ce régne, un éloge funèbre qui fit du bruit ; c'étoit celui de Junia, niéce de Caton, fœur de Brutus, & femme de Caffius', morte foixante & trois ans après la bataille

Validus fenfibus.

Ann. 13. 3.

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