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nèfe. C'est le même enthoufiafme pour la patrie, & le même fonds pour les idées. Mais le temps approchoit où l'éloquence alloit être employée dans Rome, à louer ceux qui opprimoient les citoyens, & non ceux qui les vengeoient,

Après tous ces éloges de Cicéron pour les autres, il nous refte à parler de ceux qu'il fit pour lui-même. On fait qu'il aimoit la gloire, & qu'il ne l'attendoit pas toujours. Il se précipitoit vers elle, comme s'il eût été moins sûr de l'obtenir. Pardonnons-lui pour. tant, & fur-tout après fon exil. Songeons qu'il eut fans ceffe à combattre la jaloufie & la haine. Un grand homme perfécuté a des droits que n'a pas lę refte des hommes. Il étoit beau à Cicéron au retour de fon banniffement d'invoquer ces dieux du capitole, qu'il avoit préfervés des flammes étant Conful, ce fénat qu'il avoit fauvé du carnage, ce peuple romain qu'il avoit

dérobé au joug & à la fervitude, & de montrer d'un autre côté fon nom effacé, fes monumens détruits, fes maifons démolies & réduites en cendres pour prix de fes bienfaits. Il étoit beau d'attefter fur les ruines même de fes palais, l'heure & le jour où le fénat & le peuple l'avoient proclamé le père de la patrie. Eh! qui pouvoit lui faire un crime de parler de fes grandes actions, dans ces momens où l'ame reclamant contre l'injuftice des hommes, femble élevée au-deffus d'ellemême par le fentiment & le caractère augufte du malheur ? Il est vrai qu'il fe loua lui-même dans des momens plus froids*. On l'a blâmé, on le blâmera encore. Je ne l'accuse, ni ne le

Il avoit compofé des Mémoires Grecs fur fon confulat, qui peuvent paffer pour un éloge hiftorique. Et de plus, il s'étoit célébré luimême dans un poëme latin en trois chants, qui n'eft pas non plus parvenu jufqu'à nous

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juftifie. Je remarquerai feulement que plus un peuple a de vanité au lieu d'orgueil, plus il met de prix à l'art important de flatter & d'être flatté, plus il cherche à fe faire valoir par de pe. tites chofes au défaut des grandes ; & plus il eft bleffé de cette franchise altière ou de la naïve fimplicité d'une ame qui s'eftime de bonne foi & ne craint pas de le dire. J'ai vu des hommes s'indigner de ce que Montefquieu avoit ofé dire, & moi auffi je fuis Peintre. Le plus jufte aujourd'hui, même en accordant fon eftime, veut conferver le droit de la refufer. Chez les anciens, la liberté républicaine per. mettoit plus d'énergie aux sentimens, & de franchise au langage. Cet affoibliffement de caractere qu'on nomme politeffe, & qui craint tant d'offenfer l'amour-propre, c'est-à-dire la foi bleffe inquiète & vaine, étoit alors plus inconnu. On afpiroit moins à être modefte, & plus à être grand. Ah! que

la foibleffe permette quelquefois à la force de fe fentir elle-même : & s'il nous eft poffible, confentons à avoir de grands hommes, même à ce prix.

CHAPITRE X I.

Des Eloges funèbres fous les Empereurs, & de quelques Eloges de Particuliers.

Nous avons vu que

du temps de la république dans Rome, les éloges funèbres furent d'abord la récompenfe de la vertu, & le prix des fervices; qu'enfuite ils furent accordés à prefque tous les citoyens qui occupoient un rang dans l'Etat. Cette inftitution étoit conforme à l'efprit républicain; mais quand le gouvernement vint à changer, quand le monde entier fut dans la main d'un Empereur, & que cet Empereur qui n'étoit prefque jamais appellé au trône par droit de fucceffion, craignant, à chaque inftant, ou des rivaux ou des rebelles, eut l'intérêt funeste de tout écrafer; quand on vint à redouter les talens; quand la renom

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