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louer fon père devant le peuple. Dion Caffius, en parlant d'un Romain diftingué, nous dit que le fénat, après fa mort, lui décerna une ftatue, & l'honneur d'un éloge public. On voit par ces paffages qu'il n'étoit pas permis de louer indiftin&tement tous les morts. On célèbroit les grandes actions ou les vertus, & non pas les titres; & le patricien qui n'avoit pour lui qu'un grand nom, n'avoit à espérer que le mépris pendant fa vie, & l'oubli après fa mort. Ces éloges étoient le plus fouvent prononcés par un citoyen de la famille, mais quelquefois auffi par les magiftrats. C'étoit, pour ainfi - dire, alors la patrie elle-même qui montoit fur la tribune, pour y exprimer fa reconnoiffance. Le premier éloge de ce genre qui fe prononça dans Rome, fut celui de Brutus qui chaffa les tyrans.

Dans la fuite une inftitution fi noble dégénéra. Les familles qui ont leur

orgueil comme les hommes, pour illuftrer les vivans, briguèrent à l'envi des éloges pour les morts. Bientôt cet honneur devint commun. La flatterie & le menfonge ne tardèrent point à le corrompre. On exagéra le bien; on fit difparoître le mal; on fuppofa des actions qui n'avoient point été faites; on créa de fauffes généalogies; enfin à l'aide de la reffemblance des noms, on fe gliffa dans des familles étrangè res ; tant la fureur d'exifter par ce qui n'ett plus, & de prendre un nom pour du mérite, a été commune à tous les fiècles! Cicéron qui nous apprend tous ces détails, fe plaignoit même que ces éloges euffent jetté de l'embarras & de l'obfcurité dans l'histoire*. De fon temps on avoit encore

*Nifi quem nonnullæ mortuorum laudationes fortè delectant; & Hercules, ha quidem exftant. Ipfa enim familia fua quafi ornamenta as monumenta fervabant, & ad ufum fi quis

plufieurs de ces difcours. Les familles les confervoient comme des titres de nobleffe; & la vanité vigilante tranfmettoit fouvent à la pareffe ce dépôt de l'orgueil. Tous ces monumens font aujourd'hui perdus. De tant de milliers d'éloges prononcés fur la tribune romaine, il ne nous refte qu'une feule phrafe de l'éloge de Scipion, deftructeur de Carthage. L'orateur, en louant ce grand homme, nous dit Cicéron « remercia les Dieux de ce qu'ils » avoient fait naître Scipion dans Ro» me, plutôt que par-tout ailleurs "parce qu'il falloit que l'empire du

"

ejufdem generis occidiffet, & ad memoriam lau dum domefticarum, & ad illuftrandam nobilita tem juam. Quamquam his laudationibus hiftoria rerum noftrarum eft facta mendofior. Multa enim fcripta funt in eis,qua facta non funt, falfi triumphi, plures co fulatus, genera etiam falsa, & à plebe tranfitiones, quum homines humiliores in alienum ejufdem nominis genus infunderentur, CICER. de clar. Orator. 61, 62

» monde fût où étoit Scipion ». Cette idée eft grande, & elle devoit le paroître encore davantage dans la boùche d'un fils de Paul-Emile, qui étoit l'orateur.

Je franchis les temps pour parvenir à Cicéron même. Je ne répéterai point tout ce qui a été dit de ce grand homme. Né dans un rang obfcur, on fait qu'il devint par fon génie l'égal de Pompée, de Céfar, de Caton. Il gou verna & fauva Rome, fut vertueux dans un fiècle de crimes, défenfeur des loix dans l'anarchie, républicain parmi des grands qui fe difputoient le droit d'être oppreffeurs. Il eut cette gloire, que tous les ennemis de l'Etat furent les fiens. Il vécut dans les orages, les travaux, les fuccès & le malheur. Enfin après avoir foixante ans défendu les particuliers & l'Etat, lutté contre les tyrans, cultivé au milieu des affaires la philofophie, l'éloquence & les lettres, il périt. Un homme à

qui il avoit fervi de protecteur & de père, vendit fon fang; un homme à qui il avoit fauvé la vie, fut fon affaffin. Trois fiècles après, un Empereur * plaça fon image dans un temple domestique, & l'honora à côté des dieux.

Pendant fa vie, il s'attacha moins fans doute à louer les grands hommes qu'à les imiter. Cependant il célébra prefque tous les hommes fameux de fon fiècle, à commencer par lui. Son premier ouvrage fut un éloge en vers, en l'honneur de Marius. Ce paysan d'Arpinum qui parvint fept fois à la première place du monde, n'étoit pas fans doute un modèle de vertus pour Cicéron. Mais un Romain devoit louer en lui les talens & les victoires; & un républicain pouvoit louer ce caractère altier qui ofa braver tous les grands de Rome; qui leur reprochoit avec

* Alexandre Sévère.

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