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les expriment. Enfin peu accoutumés à méditer, la partie du langage qui peint les idées abftraites & les mouvemens. de l'ame fe repliant fur elle-même, leur devoit être prefqu'inconnue.

C'est le concours des philofophes & des poëtes, qui perfectionne les lan gues. C'eft aux philofophes qu'elles doivent cette univerfalité de fignes qui rend une langue le tableau de l'univers; cette justesse qui marque avec précision tous les rapports & toutes les différences des objets ; cette fineffe qui diftingue tous les progrès d'actions, de paffions & de mouvemens; cette analogie qui dans la création des fignes les fait naître les uns des autres, & les enchaîne comme les idées analogues fe tiennent dans la pensée ou les êtres voifins dans la nature; cet arrangement qui de la combinaison des mots, fait fortir avec clarté l'ordre & la combinaison des idées ; enfin cette régularité qui, comme dans un

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plan de légiflation, embraffe tout, & fuit par-tout le même principe & la même loi. Mais d'un autre côté ce font les poëtes qui donnent aux langues l'éclat, le mouvement & la vie ; ce font eux qui, étudiant la marche paffionnée des idées, apprennent aux fignes des idées à fe paffionner de même. Les poëtes parcourent dans la nature tout ce qui donne des impreffions ou agréables ou fortes, & tranfportentenfuite ces beautés ou ces impreffions dans le langage. Ils attachent par une fenfation un corps à chaque idée, donnent aux fignes immobiles & lents la légèreté & la vîtesse, aux fignes abftraits & fans couleur l'éclat des images, aux êtres qui ne font vus & fentis que par la pensée, des rapports avec tous les fens. Ainfi ce feroit aux philofophes à construire l'édifice des langues, à en jetter les fondemens, à en fixer les proportions & la hauteur, comme les poë.es en

font, pour ainfi-dire, les décorateurs & les peintres. C'eft ce concours des poëtes & des philofophes, qui donna à la langue des Grecs fa perfection & fa beauté. Leurs artistes même, en les accoutumant à porter un œil plus attentif fur la nature, pour bien juger & du dégré d'imitation & du choix des objets, contribuèrent peut-être à étendre les idées de ce peuple & fon langage. Mais les Romains pendant près de fix cents ans, furent privés de tous ces fecours. Il ne faut

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donc pas s'étonner fi l'éloquence qui tient tant à la perfection des langues, & qui chez les Grecs même est née après tous les autres arts naquit fi tard dans Rome. Malgré les orages de la liberté, les grands intérêts, & le plaifir de gouverner par la parole un peuple libre, il n'y eut pas un orateur qu'on put citer avant Caton. Luimême étoit encore hériffé & barbare. Sur deux ou trois cents orateurs qui Gy

fiè

en divers temps parlèrent à Rome, à peine y en eût-il un ou deux par cle, qui put paffer pour éloquent. Peu même eurent le mérite de parler avec pureté leur langue. La grandeur de cet empire qui s'étendoit fans ceffe ; cette ville qui engloutiffoit tout, qui appelloit tous les Rois, tous les peuples; ces Généraux & ces foldats qui alloient conquérir ou gouverner les provinces, & parcouroient fans ceffe l'Afie, l'Europe & l'Afrique; tout cela étoit autant d'obftacles à ce que la langue romaine prît ou confervât une certaine unité de caractère. Peut-être même la facilité qu'eurent les Romains, de puifer chez les Grecs tout ce qui manquoit au fyftême de leur langue ou de leurs idées, retarda leur industrie, & contribua à n'en faire qu'un peuple imitateur. Ils traitèreng la langue & les arts comme un objet de conquête, ufurpant tout fans rien créer.

Cependant la langue d'un peuple guerrier, tendoit à la fierté & à la précision; d'un peuple qui comman doit aux Rois, à une certaine magnificence; d'un peuple qui difcutoit les intérêts du monde à une certaine gravité; d'un peuple libre & dont tou tes les paffions étoient énergiques & fortes, à l'énergie & à la vigueur: & lorfque cette langue fut enrichie de toutes les dépouilles des Grecs, lorfque les conquérans eurent trouvé dans les pays conquis des leçons, des maîtres & des modèles, & que les richeffes du monde en introduifant à Rome la politeffe & le luxe, y eurent fait germer le goût, alors l'éloquence s'éleva à la plus grande hauteur, & Rome put oppofer Cicéron à Démosthène, comme Céfar à Périclès, & Hortenfius à Efchine.

Long-temps avant cette époque, les Romains eurent la coutume de louer leurs grands hommes. Ils ado

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