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ce qu'elles étoient de Socrate: au lieu que Lucien demeura peu en apprentiffage. Il eut le bonheur de caffer bien vîte une table de marbre. Cet accident qui lui fit une querelle, le rendit tout entier à la philofophie & aux lettres. Il avoit ce ta&t du ridicule qui tient à un esprit délié & fin, & cette arme légère de la plaifanterie, qui confifte prefque toujours à faire contrafter les objets, ou en réveillant une grande idée à côté d'une petite chofe, ou une petite idée à côté d'une grande. De ce rapprochement ou de ce contraste naît le ridicule que les peuples fimples ignorent, que les peuples à grand caractère méprisent, mais qui est fi à la mode chez toutes les nations dans cette époque où les vices fe mêlent aux agrémens, & où l'efprit ayant peu de grandes chofes à obferver, multiplie par le loifir fes idées de détail. Lucien avec ce talent s'empara donc de fon fiècle pour en faire justice. Il

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compofa fon efprit de celui de Soľ crate & d'Ariftophane; & dans des Ouvrages courts & dialogués, mit tour à tour en fcène les dieux les hommes, les Rhéteurs les courtifanes & les philofophes. Il attaqua comme la Bruyère les vices & les ridicules de fon temps; mais moins fort & moins ardent que lui, ayant plutôt cette fleur d'efprit qu'eut dans la fuite Fontenelle, avec plus de hardieffe & de faillie dans le caractère, il mêla partout la philosophie à la légèreté, & la fatyre à la grace.

Parmi la foule de fes ouvrages, on a de lui un éloge de Démosthène, qui mérite d'être diftingué. Lucien y est original & piquant comme partout ailleurs. Il ne s'aftreint pas à la forme des éloges. Sa devife, comme il le dit lui-même, est de n'imiter personne. La première partie eftun récit. Lucien en se promenant rencontre un poëte qui travailloit à l'éloge d'Homère. Lui,

de fon côté, rêvoit à l'éloge de Démofthène. La converfation s'engage. En parlant chacun de celui qu'ils veulent louer, une partie de l'éloge se fait. Le refte est un dialogue entre Antipater, tyran de Macédoine, & un officier qu'il avoit envoyé pour s'affurer de Démosthène. L'officier lui apprend que Démosthène, pour ne pas tomber entre fes mains, s'eft empoisonné dans un temple. Alors Antipater quoiqu'ennemi de ce grand homme, ne peut s'empêcher de le louer. On aime à voir le crime rendre hommage à la vertu, & l'homme libre échappé au tyran, célébré par le tyran même, Les derniers difcours de Démofthène à l'officier qui vouloit lui perfuader de venir à la cour de fon maître, font de ce genre d'éloquence qui naît bien plus du caractère que de l'efprit. Ils roulent fur la liberté, fur la fervitude, fur la honte de tenir la vie d'un ennemi de la patrie, fur le déshonneur qu'il cauferoit à Athènes,

s'il renonçoit à être libre pour se faire fe efclave dans fa vieilleffe. « Lâche, dit→il, tu me propofes de vivre de la part » de ton maître! Si je dois vivre, fi » les jours de Démosthène doivent » être confervés, que mes conferva»teurs foient mon pays, les flottes

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que j'ai armées à mes dépens, les » fortifications que j'ai élevées, l'or » que j'ai fourni à mes concitoyens, >> leur liberté que j'ai défendue, leurs » loix que j'ai rétablies, le génie, facré de nos légiflateurs, les vertus » de nos ancêtres, l'amour de mes » concitoyens qui m'ont couronné plus d'une fois, la Grèce entière que j'ai vengée jufqu'à mon dernier foupir; voilà quels doivent être mes » défenfeurs : & fi dans ma vieilleffe, » je fuis condamné à traîner une vie

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importune aux dépens des autres, que ce foit aux dépens des prison» niers que j'ai rachetés, des pères à qui j'ai payé la dot de leurs filles, » des

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» des citoyens indigens dont j'ai acquitté les dettes. Ce n'est qu'à ceux- ́ » là que Démosthène veut devoir: s'ils » ne peuvent rien pour moi, je choi» fis la mort. Ceffe donc de me fé

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duire, &c », J'aime enfuite à voir la pitié de dédain avec laquelle il regarde le courtisan qui le croyoit fans défense, parce qu'il n'avoit autour de lui ni armes, ni foldats, ni remparts, comme fi le courage n'étoit pas la défense la plus sûre pour un grand homme. Antipater admire en écoụtant. Il femble qu'au fpectacle d'un homme libre, fon ame s'élève. Il finit par dire qu'il veut renvoyer à Athènes le corps de Démosthène, & que fa tombe fera un plus grand ornement pour fa patrie, que le tombeau de ceux qui font morts à Marathon.

Telle est à peu près l'idée & le plan de cet éloge. La première moitié a cet agrément qui caractérise presque tous les ouvrages de Lucien ; la dernière Tome I.

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