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vingt ans, & avant de defcendre au tombeau, rend compte à la patrie & aux loix, de l'ufage qu'il a fait de fon éloquence, n'étoit pas moins fufceptible de pathétique que de force. Mais l'ouvrage, avec des beautés, eft bien loin d'avoir ce caractère. Le fujet eft grand, l'exécution eft foible.

Enfin à quatre-vingt quatorze ans, il eut le courage de commencer un fixième & dernier éloge, & il le finit à quatre-vingt dix-fept. C'est le Panathénée. On peut le regarder comme un adieu qu'il voulut faire à fes concitoyens, car c'est un second éloge d'Athènes. Sans ceffe il y compare Lacédémone & fa patrie. Il n'est pas néceffaire de dire à qui il donne la préférence. L'ame de l'orateur n'étoit pas fufceptible d'enthoufiafime pour Sparte. Les arts & les plaifirs d'Athènes, un peuple facile, un caractère brillant, les graces jointes à la valeur, la volupté mêlée quelquefois à l'héroisme,

de grands hommes populaires, des loix qui dirigeoient plus la nature qu'elles ne la forçoient, enfin des vertus doucés, & des vices même tempérés par l'agrément, devoient plaire bien da vantage à un genre d'efprit qui ornoit tout, & préféroit la grace à la force. Au reste cet éloge, comme on s'en doute bien, porte le caractère de P'âge où il fut compofé. C'eft l'abandon de l'ame dans un fonge tranquille. On voit fe fuccéder lentement & doucement les mouvemens de l'orateur. On voit les impreffions arriver jusqu'à lui par des fecouffes infenfibles; & fes idées reffemblent à ces lumières affoiblies & pâles qui fe réfléchiffent de loin, & confervent de la clarté fans chaleur.

Tels font, à peu près, les éloges que nous avons d'Ifocrate. Malgré le fanatifme des réputations, il faut convenir de bonne foi, que l'effet qu'on

éprouve en les lifant, eft bien au deffous de l'ancienne célébrité de l'ora

teur.

Tâchons d'en trouver les raifons. D'abord un des principaux mérites d'Ifocrate étoit l'harmonie. On fair combien les Grecs y étoient sensibles. Nés avec une prodigieufe délicateffe d'organes, leur ame s'ouvroit par tous les fens à des impreffions vives & rapides. La mélodie des fons excitoit chez eux le même enthoufiafme que la vue de la beauté. La mufique faifoit partie de leurs inftitutions politiques & morales. Le courage même & ia vertu s'infpiroient par les fons. Qu'on juge, chez un peuple ainfi organifé, combien devoit être estimé un orateur qui, le premier, créa l'harmonie de la profe. Pour nous, ce mérite eft prefque étranger. Nous fommes des Scythes qui voyageons, un bandeau sur les yeux, à travers les ruines de la Grèce.

Un autre grand mérite de cet orateur, c'étoient des fineffes & des grâces de ftyle. Or ces fineffes & ces grâces tiennent ou à des idées, ou à des liaisons d'idées qui nous échappent. Elles fuppofent l'art de choisir précisément le mot qui correspond à une fenfation ou délicate, ou fine; d'exprimer une nuance de fentiment bien diftincte de la nuance qui la précède ou qui la fuit; d'indiquer par un mot, un rapport ou convenu, ou réel entre plusieurs objets ; de réveiller à la fois plufieurs idées qui fe touchent. Il en eft d'un peuple qui entend parfaitement une langue, & de l'orateur qui lui parle, comme de deux amis qui ont paffe leur vie ensemble, & qui converfent. Les lieux, les temps, les fouvenirs, attachent pour eux, à chaque mot, une foule d'idées dont une feule eft exprimée, & dont les autres fe développent rapidement dans l'ame fenfible. Admettez un tiers à

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cette converfation; il ne concevra point ce que ces mots ont de touchant, ni pourquoi ils excitent une émotion fi tendre, & font peut-être verfer les plus douces larmes. Telle eft l'image du différent effet que produifent les beautés acceffoires & les fineffes d'expreffion dans une langue vivante, ou dans une langue norte. Plus un écrivain a de ce genre de beautés, plus il doit perdre.

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Enfin, le philofophe attache par l'étendue & la profondeur des idées; l'orateur ne peut attacher que par les paffions fortes. L'effet des mouvemens doux & tranquiles fe perd, & n'arrive à la postérité, que comme le reffouvenir d'un fonge à demieffacé. Les paffions feules raniment tout; les paffions traverfent les fiècles, & fe communiquent, après des milliers d'années, fans s'affoiblir. L'homme a befoin d'orages; il veut être agité. C'est pour cela que Dé

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