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Après ce discours, dont la chute est passablement amphigourique, le convoi prit la route de Malines, et fut reçu dans cette dernière ville avec les plus grands honneurs. Un fourgon de l'armée fut mis à la disposition de M. de Keyn pour transporter les corps des deux volontaires jusqu'à Bruxelles. Le fourgon partit de Malines, accompagné d'un détachement des chasseurs du marquis de Chasteler, parmi lesquels Jenneval avait combattu, et qui se trouvait à Malines pour prendre part aux combats qui avaient lieu sur la route d'Anvers.

Le 22 octobre au soir, le corps de Jenneval arriva à Bruxelles. Des prêtres conduisaient le convoi. Le corps fut déposé à Sainte-Gudule, puis au palais du prince d'Orange, où le lit de parade sur lequel il était placé avec celui de Niellon fut tendu dans le grand corridor. Une lyre était suspendue au chevet de Jenneval, et le boulet qui l'avait frappé était posé sur un coussin au pied du lit.

Une foule de monde ne cessa de visiter les restels mortels, qui furent inhumés le 24, après midi, à la place Saint-Michel, avec les plus grands honneurs.

Le même soir avait lieu un concert donné au bénéfice des blessés et des veuves ou mères des morts, et parmi ces dernières devait figurer la mère de Jenneval, dont celui-ci était le soutien. Mme Tonnelier, qui avait chanté naguère à un concert donné au profit des Grecs, et M. Van Capenberg, amateur bien connu, y entonnèrent la Marche bruxelloise (En avant, marchons, du courage! musique de de Bériot), et la Brabançonne, de Jenneval et de Campenhout, qui furent couvertes d'applaudissements. Au couplet de la Brabançonne, écrit par le poëte en l'honneur de ceux qui l'avaient précédé au champ du repos :

Et vous, objets de nobles larmes, etc.,

<< tout le public, dit le Courrier des Pays-Bas, se leva sponta>>nément pour rendre, par cette marque de respect, hommage » à ceux de nos défenseurs qui ont succombé en conquérant » la victoire. En ce moment où toute la salle observait le plus << religieux silence, le brave Jenneval occupait une place dans » la pensée de chaque auditeur... »

Le frère de Jenneval, qui, en apprenant la mort du poëte

soldat, était parti pour rejoindre les volontaires, et venger cette mort avec eux, avait, avant de partir, ajouté un couplet à la Brabançonne :

Ouvrez vos rangs, ombres des braves,

Il vient celui qui vous disait :
Plutôt mourir que vivre esclaves !
Et comme il disait, il faisait.
Ouvrez vos rangs, noble phalange,
Place au poëte, au chasseur redouté.
Il vient dormir loin de l'Orange,

Sous l'arbre de la Liberté.

Nous ne voulons pas citer ici les narrations en vers assez fades, où l'on parlait de la mort de Jenneval; un spécimen en suffira :

Dans les combats nombreux par les Belges livrés,
Que de bons citoyens, que d'hommes dévorés !
Jenneval, Van Eeckhoudt reposent dans la tombe,
Et mille autres encor que moissonne la bombe.

Mais l'hommage suivant, écrit en octobre 1830 sur le rhythme et l'air de la nouvelle Brabançonne de Jenneval, semble digne d'échapper à l'oubli, surtout pour les deux derniers couplets:

AUX MANES DE JENNEVAL.

Il triomphait des vils Bataves,
Et voyait fuir nos ennemis,
Quand ce brave d'entre les braves
Tombe en défendant son pays.

Il n'est plus! mais que sa mémoire

Repose au sein de l'immortalité,

Que son nom s'inscrive avec gloire
Aux fastes de la Liberté!

Avec nous, il courut aux armes
Pour chasser d'indignes tyrans;

Et de la patrie en alarmes
Sa voix ralliait les enfants.

La reconnaissance publique
Ceignit son front d'un laurier mérité;
Et nous le nommions en Belgique
Le chantre de la Liberté.

Un boule a brisé la lyre

Dont les accents charmaient nos cœurs;

Et le soldat-poëte expire

Aux yeux de ses amis vainqueurs.
Ainsi qu'un preux de noble race
Ses compagnons au tombeau l'ont porté,
Et leurs vœux ont marqué sa place
Sous l'arbre de la Liberté.

Sous le feu du canon qui tonne,
Nous voyons bourgeois et soldats
Au refrain de sa Prabançonne
Braver à l'envi le trépas.

O vous tous que la gloire enivre,
Qu'en son honneur ce chant soit répété,

Car la Brabançonne doit vivre

Autant que notre Liberté.

Nous ne pourrions choisir une meilleure conclusion de notre article que ces deux derniers vers dont l'histoire a réalisé la prophétie.

H. BOSCAVEN.

Documents consultés : Histoire du royaume des Pays-Bas, de de Gerlache, œuvres complètes, tome III; Nothomb, De Leutre, dans leurs histoires de la révolution de 1830; collection Stevens à la Bibliothèque royale: un volume in-plano contenant toutes les proclamations affichées à Bruxelles en 1830, et deux volumes de Varia, tome I, contenant : no 13, un exemplaire détaché de la nouvelle Brabançonne de Jenneval sur l'air des Lanciers polonais; no 25, trois livraisons de chants patriotiques, édités par Lelong (la collection de ces chants forme six volumes fournis au lieu de pièces de théâtre aux souscripteurs du Répertoire dramatique; les trois derniers volumes, que je possède, manquent à la Bibliothèque royale); no 26, un poëme, Paris et les Pays-Bas, par un Belge ami de sa patrie; tome II, contenant : 1o une brochure sur la ré

volution belge, publiée en 1831 chez Remy, où se trouve, à la page 89, une lithographie représentant l'enterrement de Jenneval, et 2o une seconde brochure intitulée Précis des opérations militaires par le major Kessels, Bruxelles, Meline, 1831; enfin collection du Courrier des Pays-Bas, année 1830, qui se trouve complète au ministère de la justice, numéros des 7 et 14 septembre, 1er, 8, 12, 23, 24, 26, 27 octobre. - M. Labarre a produit récemment une œuvre dramatique intitulée Jenneval.

REVUE LITTÉRAIRE.

ROMANS ET NOUVELLES.

Séraphin, par Émile Leclercq; in-12, Brux. Schnée. Tableaux de genre, par le même; in-12, Brux. Schnée. Le Passeur de Targnon, par Emile Greyson; in-12, Brux. Claassen. - Viart-Bois, par Mme Henriette Langlet; 2 vol. in-18, Brux. Rozez. — Profils et Portraits, par le baron Jules de Saint-Genois; in-12, Paris, Michel Lévy. – Le Conteur bruxellois, par Victor Lefèvre; 2 vol. in-12, Brux. Schuée. Les Ouvriers, par J. Dauby; in-18, Brux. Claassen. Les Passereaux de la France et de la Belgique, par Louisa Stappaerts (Mme Ruelens); in-8°. Brux. Parent. Rêveries d'un célibataire, par Ik. Marvel, traduit par Paul Ithier; in-12; Brux. Schnée. — Rêveries d'un homme marié, par Curtis, traduit par Paul Ithier; 2 vol. in-18; Brux. Van Meenen. Cinq Nouvelles calabruises, par Biagio Miraglia, traduit par A. du Bosch; in-12; Brux. Van Meenen.

Nous avons eu plusieurs fois l'occasion de faire remarquer les progrès rapides de M. Émile Leclercq, comme romancier habile et original, artiste et philosophe. La dernière œuvre du jeune écrivain est d'une force de conception, d'une fermeté d'allures qui dénotent des qualités vraiment supérieures et viennent confirmer pleinement les espérances que l'auteur nous avait données. Séraphin, par le lieu de la scène et le choix des personnages, est un ravissant tableau de genre; par le sujet, c'est un plaidoyer hardi et convaincu contre des préjugés puissants; par l'impression qui en reste, par les idées et les sentiments qui en naissent, c'est mieux encore, c'est une noble action.

Le roman tout entier se passe dans le petit village de Jupignies, sur les bords de la Sambre. Le pays est pittoresque mais l'horizon borné, la vie est simple mais elle tourne dans un cercle étroit que nul ne sent le besoin de franchir. Un pareil

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