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penhout par M. Bouillon, et ces efforts lui paraissent même valoir titre pour constituer propriété littéraire ou artistique, car il ne manque pas d'indiquer ses réserves à cet égard.

Pourquoi ces efforts et pourquoi cette nécessité d'un intermédiaire entre le poëte et le musicien?

Autre chose non moins singulière, dans l'énorme quantité de Brabançonnes qui ont paru, c'est la diversité de la mesure qui frappe d'abord. L'auteur de celle-là emploie le vers de huit syllabes sans mélange; l'auteur de celle-ci alterne ce vers avec le vers décasyllabique; un troisième a recours à cette dernière forme pour les trois premiers vers de chaque quatrain; tel jette un vers unique de dix syllabes au milieu du second quatrain; tel, au contraire, termine un couplet tout décasyllabique par un vers unique de huit syllabes.

Pourquoi cette multiplicité de rhythmes?

A ces deux questions, la réponse est bien simple: tous ceux qui ont donné la prééminence au vers de huit syllabes, ont pris pour type la Brabançonne de Jenneval, écrite sur cette mesure, tandis que le rhythme de l'air de Campenhout, sauf pour le refrain, comporte évidemment la mesure décasyllabique, comme on peut le voir par le couplet suivant tiré du chant national du Limbourg, récemment publié, couplet qui se chante aisément sur l'air de Campenhout, et pour lequel pas n'est besoin d'arrangeur :

Prenant conseil d'une presse arrogante,

Si l'étranger attentait à nos droits,

Les Éburons de mil huit cent soixante

Accourraient tous au son des vieux beffrois.

Et Léopold que le peuple révère,

Roi citoyen, type de loyauté,

Nous rallierait à ce saint cri de guerre :

Le Roi, Patrie et Liberté.

Comment se fait-il que la mesure des vers et le rhythme de la musique ne concordent pas dans la Brabançonne de Jenneval et dans l'air de Campenhout?

C'est qu'il ne paraît pas que, dans le principe, l'un ait été fait pour l'autre; c'est, ou bien que la Brabançonne a été écrite sur un autre air comportant la mesure de huit syllabes, air

qui fort heureusement a été changé en nourrice, et remplacé par l'air martial que l'on chante aujourd'hui; ou bien que la mélodie primitive, plus simple, a été, après coup, rendue plus large, par l'arrondissement de la période musicale.

Rien de plus facile dès lors à expliquer que les nombreux écarts de la forme primitive, dictés aux poëtes récents par le rhythme de Campenhout, ou les efforts faits pour mettre sur l'air actuel, cette forme primitive par ceux qui ne s'en écartaient pas.

Recherchons les circonstances dans lesquelles la Brabançonne a vu le jour.

I

De Potter, dans sa fameuse Lettre de Démophile au roi Guillaume, écrivait : « Sire, vos courtisans et vos ministres, vos >> flatteurs et vos conseillers vous trompent et vous égarent! » Le système dans lequel ils font persister votre gouverne»ment le perd sans retour et le menace d'une catastrophe » inévitable, à laquelle il sera trop tard de vouloir porter re» mède lorsque l'heure fatale aura sonné... »

L'assemblée des notables, par son adresse du 28 août 1830, signée entre autres des noms suivants : d'Hooghvorst, de Mérode, Ducpétiaux, Jottrand, Plaisant, Lesbroussart, Gendebien, Vande Weyer, soumettait au Roi « de justes doléances, » et ajoutait «< Pleins de confiance dans la bonté de Votre Majesté >> et dans sa justice, ils n'ont député vers vous leurs conci>>toyens que pour acquérir la douce certitude que les maux >> dont on se plaint seront aussitôt réparés que connus. >>

Le 4 septembre, le conseil de régence de Bruxelles annonçait, par une proclamation affichée, qu'il avait adressé au Roi une requête ainsi conçue : « Le conseil... supplie Votre Majesté » d'examiner..., et d'être intimement convaincue que le main>> tien de la dynastie des Nassau n'a cessé d'être son vœu et » celui de la généralité des habitants de cette résidence. (Signé) DE WELLENS. »

La Brabançonne primitive, publiée par le Courrier des PaysBas, le 7 septembre 1830, et qui venait d'être imprimée «< chez Jorez, rue au Beurre, no 6, » où elle se vendait « au bénéfice

» des pauvres, prix cinq cents, » était écrite dans le même » ordre d'idées :

LA BRABANÇONNE.

AIR Des Lanciers polonais.

Aux cris de mort et de pillage
Des méchants s'étaient rassemblés,
Mais notre énergique courage
Loin de nous les a refoulés.
Maintenant purs de cette fange
Qui flétrissait notre cité,
Amis, il faut greffer l'Orange
Sur l'arbre de la Liberté.

Oui. fiers enfants de la Belgique
Qu'un beau délire a soulevés,
A notre élan patriotique

De grands succès sont réservés.
Restons armés, que rien ne change,
Gardons la même volonté,

Et nous verrons fleurir l'Orange,
Sur l'arbre de la Liberté.

Et toi, dans qui ton peuple espère,
Nassau, consacre enfin nos droits;
Des Belges, en restant le père,
Tu seras l'exemple des rois.
Abjure un ministère étrange,
Rejette un nom trop détesté,
Et tu verras mûrir l'Orange
Sur l'arbre de la Liberté!

Mais, malheur! si de l'arbitraire
Protégeant les affreux projets,
Sur nous du canon sanguinaire
Tu venais lancer les boulets.
Alors tout est fini, tout change,
Plus de pacte, plus de traité,
Et tu verras tomber l'Orange
De l'arbre de la Liberté.

A la suite de la convocation des états généraux pour le 19 septembre, Bruxelles avait repris son aspect accoutumé; le théâtre avait été rouvert le 13 septembre, des drapeaux aux couleurs nationales étaient arborés dans la salle, où l'on remarquait un grand nombre de volontaires liégeois. L'acteur Lafeuillade chanta la Brabançonne, dont on applaudit à outrance le dernier couplet :

Mais, malheur! si de l'arbitraire...

Et chacun des jours suivants, le nouveau chant populaire fut entonné au théâtre, et de là répété dans les estaminets et les réunions publiques.

Les journées de Septembre arrivèrent les combattants, disent les historiens, laissaient la nuit les barricades à la garde de l'ennemi, et s'en allaient « faire leur estaminet » dans les lieux publics, qui toute la nuit retentissaient de chants patriotiques. Ce n'était plus le moment de chanter la Brabançonne primitive; aussi celle-ci subit-elle, sous le coup des événements, une transformation inévitable.

Cette modification, improvisée par tous, prit forme sous la plume de l'auteur, dans la ferveur même des journées de Septembre, ou bien peu de temps après, car le Courrier des PaysBas, le 1er octobre, en donne le texte chanté publiquement l'avant-veille.

« L'auteur de la Brabançonne, dit le Courrier, M. Jenneval, qui avait donné aux Nassau des conseils qu'ils n'ont pas eu la prudence de suivre, vient de publier un nouvel hymne patriotique. »

Cet hymne patriotique commence, comme chacun l'avait fait sans doute dans les trois journées, par la paraphrase du dernier couplet de la Brabançonne primitive; en voici le texte tel qu'il fut imprimé dans le principe :

LA NOUVELLE BRABANÇONNE.

AIR Des Lanciers polonais.

Qui l'aurait cru?... de l'arbitraire
Consacrant les affreux projets,
Sur nous de l'airain militaire, (sic)
Un prince a lancé les boulets.

C'en est fait! oui, Belges, tout change,

Avec Nassau plus d'indigne traité,

La mitraille a brisé l'Orange

Sur l'arbre de la Liberté.

Trop généreuse en sa colère,
La Belgique, vengeant ses droits,
D'un roi, qu'elle appelait son père,
N'implorait que de justes lois.
Mais lui, dans sa fureur étrange,
Par le canon que son fils a pointé,
Au sang belge a noyé l'Orange
Sous l'arbre de la Liberté !

Fiers Brabançons, peuple de braves,
Qu'on voit combattre sans fléchir,
Du sceptre honteux des Bataves,
Tes balles sauront t'affranchir.

Sur Bruxelle, au pied de l'archange,
Ton saint drapeau pour jamais est planté,
Et, fier de verdir sans l'Orange,
Croit l'arbre de la Liberté.

Et vous, objets de nobles larmes,
Braves, morts au feu des canons,
Avant que la patrie en armes
Ait pu connaître au moins vos noms,
Sous l'humble terre où l'on vous range,
Dormez, martyrs, bataillon indompté,

Dormez en paix, loin de l'Orange,
Sous l'arbre de la Liberté.

Cette nouvelle Brabançonne publiée à part, et insérée dans la quatrième livraison, de novembre 1830, d'un Recueil de chants patriotiques belges, imprimé par Lelong, libraire près du Poids de la ville, porte pour timbre l'air Des Lanciers polonais, comme la Brabançonne chantée par Lafeuillade, au théâtre, le 13 septembre. Mais l'édition du Courrier des Pays-Bas est sans timbre d'air. Ce journal, après avoir rapporté la nouvelle Brabançonne, ajoute « Ces couplets, chantés avant hier soir à l'Aigle d'or, par >> M. Campenhout, auteur de la musique des deux Brabançonnes,

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