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leurs émules continuent d'habiter les régions sereines de l'art idéal, descendront au milieu des réalités de la société et ne croiront pas déroger en devenant utiles.

» Messieurs, il y a comme un pressentiment dans cette association de l'art belge et de l'industrie belge, réunis dans un triomphe fraternel! Que ces deux puissances viennent, au bruit de nos acclamations, sceller leur féconde et immortelle alliance! Que l'art apporte à l'industrie les mille ressources de ses combinaisons, les mille variétés de ses formes! Que, par lui, l'élégance et le goût président aux créations de l'industrie! En un mot, que l'art se substitue au métier et que, sous son souffle inspirateur, la matière se fasse pensée!

» A ce prix, la Belgique se maintiendra à la hauteur des destinées que lui présagent ses succès actuels; à ce prix, elle peut accepter, avec une légitime fierté, le verdict qu'ont prononcé, dans ces solennelles assises du génie moderne, les hommes éminents que la confiance de leurs gouvernements a constitués les juges des nations représentées à l'exposition universelle de Paris. »

Outre l'absence d'un enseignement bien organisé, ce qui nuit aux progrès du dessin industriel en Belgique, c'est le peu d'encouragements que lui donnent les fabricants. Quels que soient les motifs qui les guident, ils se bornent à imiter servilement ou à modifier quelque peu les dessins étrangers qui leur font connaître les articles les plus nouveaux. Ce manque d'originalité, de caractère distinctif, est funeste à l'industrie. Plusieurs industriels ont déjà attaché à leur établissement des dessinateurs de talent, connaissant les besoins de la fabrication et travaillant dans ce sens pour peu qu'ils veuillent s'efforcer d'être originaux et inventifs, le succès leur est assuré.

Depuis assez longtemps déjà on a compris, en Belgique, l'importance de l'application des arts à l'industrie, et l'on s'est efforcé d'en réaliser le succès en fondant une Association pour l'encouragement et le développement des arts

industriels quelques articles des statuts feront connaître la pensée intelligente des créateurs de l'œuvre :

« ART. 1er. L'association se propose, comme but, de stimuler le génie de la création artistique dans ses rapports avec les applications industrielles; de contribuer à répandre l'étude et le sentiment du beau dans la production des objets d'industrie qui empruntent à la forme une partie de leur valeur; de faciliter et d'encourager les efforts individuels des artistes industriels et des artisans pour la conception et l'exécution d'œuvres originales et de bon goût.

>> ART. 2. L'association se propose, comme moyen d'atteindre ce but :

>> A. D'instituer des expositions périodiques pour les œuvres des artistes industriels et artisans, telles que dessins, modèles, articles finis, comprenant toutes les applications de l'art aux diverses industries, et d'accorder des récompenses aux exposants qui se sont le plus distingués;

» B. De fonder des collections des produits des beaux-arts industriels, où trouveront place, indépendamment des objets acquis aux expositions, des spécimens achetés à l'étranger, des modèles ou dessins des ornements, meubles, ustensiles, etc., les plus parfaits que nous aient légués les âges précédents, les dons faits par les membres de l'association, etc.;

» C. De distribuer aux artisans et artistes industriels qui annoncent des dispositions particulières, des ouvrages techniques, des recueils de dessins, etc., propres à favoriser le développement de leurs talents;

» D. De poursuivre l'adoption de mesures pour la protection des modèles et dessins de fabrique. >>

Etc., etc.

A la suite de ces encouragements, on a vu figurer plusieurs fois des dessins remarquables aux expositions de l'industrie à Bruxelles, notamment à celle de 1855. L'ameublement d'une salle à manger de M. Charles Albert attestait quelque progrès; les dessins de joaillerie et de

bijouterie, branches de travail qui offrent tant de ressources à l'imagination de l'artiste, exposés par MM. A. Brunschwig, Narcisse et G. Puttemans, de Bruxelles, et J. Vandenbroek, d'Anvers, manquaient de netteté et de grâce. Trop d'imitation se remarquait dans les dessins d'étoffes et de papiers peints de MM. Vandersyp, directeur de l'école de dessin industriel et de tissage, à Gand, et de ses élèves A. Clavareau, G. De Rycke et J. Stocquart : il est juste d'ajouter que depuis ils ont fait d'immenses progrès. M. Castegnier, de Mons, présenta des dessins élégants à l'usage des menuisiers et des marbriers, pour des parquets, des travaux de marqueterie, des meubles, etc. On vit encore un joli dessin de pendule gothique, par M. Offen, de Gand; d'un autel, par M. Joostens, de Bruges; d'un autel, d'une chaire, d'un banc de communion, etc., par MM. J. Durlet, d'Anvers, et A. Bernard, de Gand. Le dessin de parquet ombré de M. G. Winen, de Brée, parut original, mais les bois n'en étaient pas assortis en teintes égales. On remarquait de l'art et du goût dans les dessins d'indiennes et de foulards de MM. De Rycke, chef d'atelier chez M. Sauvage, à Gand, Audinet, dessinateur de la maison J. Verreyt, à Bruxelles, C. Goossens dessinateur de la fabrique de M. Verhulst, à Stalle.

Le concours ouvert par l'association pour les dessins de dentelles fut couronné de beaux résultats : une imagination féconde et une habileté rare distinguaient les dessins de M. Vanderdussen, de Bruxelles; l'élégance et la pureté d'expression, ceux de Mile Flora Polak, de Bruxelles; les dessins de volants, mouchoirs et dentelles de M. Dronsard, de Neufbourg, étaient pleins de mérite, et ce ne furent pas là les seuls exposants dont les œuvres attirèrent l'attention et provoquèrent l'admiration des visiteurs.

Plusieurs distinctions ont été accordées par le jury de l'exposition universelle à des artistes que les efforts de l'association avaient formés. C'est un honneur pour elle. C'est en même temps un enseignement pour les jeunes

gens, un encouragement à se livrer aux arts industriels, à entrer dans une carrière où ils pourront récolter gloire et profit; car la plupart de ces artistes sont bientôt arrivés en Belgique à occuper des positions fort avantageuses.

La mesure prise par l'association ne suffit pas à elle seule, si l'on ne travaille à organiser l'enseignement même du dessin sur de larges bases et à développer le goût artistique, dans ses rapports avec l'industrie. De nombreuses écoles de peinture, de sculpture, de gravure, d'architecture existent en Belgique et prouvent combien le sentiment de l'art est encore profondément enraciné dans le cœur du peuple : les beaux-arts y sont enseignés généralement pour les produits de l'art seuls, et sous ce rapport elles ne méritent que des éloges. Mais la mission de l'art ne se borne pas à cela l'art abstrait doit servir de fondement à l'art appliqué, de même que la métaphysique ne donne que des principes théoriques d'où découlent les applications pratiques pour la vie. L'art devrait donc aussi être enseigné, d'une manière toute spéciale, dans son application à l'industrie, dans des écoles particulières que renfermerait chaque centre manufacturier : à Gand, à Verviers, des écoles de dessin industriel et de tissage existent déjà; à Liége, une école de ciselure a été annexée à l'Académie des beaux-arts et forme des graveurs sur armes ; à Malines et à Bruxelles, on devrait enseigner le dessin appliqué à la fabrication des dentelles; Bruxelles posséderait encore une école pour la carrosserie et l'ameublement, etc. Car si nos ouvriers se distinguent par une grande habileté de main, s'ils savent se servir avec bonheur du marteau et du burin, ils ignorent généralement les principes de l'art et de la composition artistique leurs compositions sont souvent détestables, et l'exécution est au-dessus de tout éloge.

On peut le dire avec confiance: si nos armuriers, nos joailliers, nos ornemanistes avaient reçu une plus complète éducation artistique, ils rivaliseraient avec ceux de la France, avec ceux que l'on reconnaît encore pour seuls

maîtres dans le domaine du bon goût et de l'art appliqué. De l'aveu de M. de Laborde, la Belgique marche déjà sur les traces de la France, avec le plus de succès puisset-elle bientôt se mettre sur le même rang qu'elle!

L'enseignement du dessin est aussi important pour l'avenir de l'ouvrier que pour celui de l'industrie. Qui ne voit cette tendance du siècle à répandre partout le bienêtre, l'instruction et le sentiment des arts? Voilà encore un de ces progrès que nous aimons à acclamer, un progrès dont on doit suivre la marche entraînante et auquel il est peu sage de vouloir résister.

Il existe une foule de carrières qui ne s'ouvrent que devant d'habiles dessinateurs : tout homme sensé, en mettant son fils à l'école ou au collége, l'oblige à étudier cet art, entrevoyant pour l'avenir la nécessité de cette étude. A Liége, on a si bien compris le rôle réservé à l'art dans ses applications à l'industrie, que sur plus de cinq cents élèves qui fréquentent l'Académie, huit seulement s'adonnent à l'art pur ce qui n'empêche pas cette institution d'être artistique.

Et l'ouvrier, qui se voit tous les jours arracher une nouvelle part de son travail abrutissant par d'inintelligentes machines, que deviendra-t-il, s'il n'a que ses bras et son bon vouloir à mettre à la disposition du manufacturier? La machine l'emportera sur lui. La science moderne tend à délivrer les hommes de l'oppression des travaux physiques pour les élever aux dignités de la vie intellectuelle, qui est le propre de notre espèce.

A eux restera toujours le rôle intelligent, le travail de la pensée, les combinaisons de l'imagination: tantôt dirigeant en maîtres des forces obéissantes, tantôt préparant la matière qu'elles vont travailler aveuglément. La connaissance des arts peut seule sauver l'ouvrier et le maintenir au rang qu'il doit occuper dans une société civilisée et fécondée par un sage libéralisme.

Si nous jetions un coup d'œil sur l'industrie de notre pays, pendant ces derniers temps, nous pourrions nous

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